Deux questions peuvent essentiellement se poser au sujet du domaine de la délégation de pouvoir : qui peut assumer de telles fonctions (A) et quel sera le champ de ses compétences (B). Il faudra, enfin, dire un mot de la controverse née de la question de la délégation de pouvoir dans le cadre des sociétés par actions simplifiée (C).
A - Le choix du délégataire de pouvoir
La délégation de pouvoir implique, comme nous le verrons, le transfert de droits et de responsabilités qui devraient normalement incomber à l'employeur au salarié délégataire. Par conséquent, le délégant doit justifier avoir délégué ses pouvoirs à son préposé et lui avoir confié les compétences, l'autorité et les moyens nécessaires pour assumer ces fonctions. La réunion de ces critères de compétence du délégataire doit être effective, comme l'a rappelé la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 8 avril 2008 (2). La délégation trop générale ou dont les pouvoirs délégués ne sont pas clairement identifiables ne pourra être admise (3). Ainsi a-t-il par exemple été jugé qu'il n'était pas suffisamment démontré qu'un salarié, présent dans l'entreprise depuis moins d'un an, âgé de 21 ans au moment de la mise en place de la délégation, disposait des compétences et de l'autorité suffisante pour assumer les fonctions de délégataire de pouvoirs (4). De la même manière, un contrat qui se borne à déterminer les attributions qu'un salarié tient de sa position hiérarchique n'emporte pas de délégation écrite particulière d'autorité permettant d'assimiler le salarié au chef d'entreprise auprès du personnel (5).
La délégation de pouvoir ne nécessite pas d'avoir été établie par écrit, l'écrit ne constituant qu'une simple modalité permettant de faciliter la preuve de la délégation (6). La délégation de pouvoir est en effet une forme particulière de mandat répondant, dès lors, principalement aux règles du consensualisme (7). Il est en somme généralement considéré que la délégation de pouvoir doit être expresse, précise, effective et qu'elle doit, bien évidemment, avoir été acceptée par le délégataire.
B - Les missions du délégataire de pouvoir
Si le délégant peut confier au délégataire n'importe lequel de ses pouvoirs, il ne devrait logiquement pas pouvoir transférer de manière globale l'ensemble de ceux-ci. Les missions déléguées peuvent, par exemple, être relative au pouvoir de détermination des conditions de travail (8) ou au pouvoir disciplinaire (9).
Parmi les pouvoirs qui peuvent être délégués prend place un pouvoir très particulier, celui d'opérer une subdélégation. En effet, à la condition que la délégation principale l'autorise, le délégataire pourra, à son tour, déléguer une partie des pouvoirs qui lui ont été consentis à un subdélégataire (10). La Cour de cassation semble même être allée plus loin, autorisant une subdélégation en dehors de toute prescription de la délégation initiale, à la condition toutefois que le subdélégataire dispose de la compétence, de l'autorité et des moyens lui permettant d'accomplir sa mission (11).
C - Délégation de pouvoir et SAS
Une vague de décisions rendues par les juges du fond en matière de licenciement dans les sociétés par actions simplifiées a suscité de nombreuses interrogations sur la compatibilité ou, pour le moins, les spécificités de la délégation de pouvoir attribuée dans ce cadre sociétaire (12).
L'article L. 227-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6161AIZ) dispose que la société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Jusqu'à l'adoption d'une loi du 1er août 2003 (13), seul le président pouvait donc représenter la société. La loi de 2003 a étendu cette liste au directeur général ou au directeur général délégué, à condition que les statuts de la société le permette. A l'exception de ces trois personnes, nul ne pourrait donc engager la société et, pour ce qui nous intéresse, nul ne pourrait procéder au licenciement d'un salarié dans la société.
Les décisions rapportées, en annulant des licenciements prononcés par des délégataires de pouvoir, paralysent la technique de la délégation de pouvoir dans les sociétés par actions simplifiées.
Malgré l'ambiguïté des textes du Code de commerce, la confirmation de l'impossibilité d'user de la technique de la délégation de pouvoir dans les SAS aurait un effet potentiellement dévastateur sur l'ensemble des décisions prises quotidiennement par divers délégataires dans ces sociétés. Les fondements de ces solutions étant pour le moins controversés, il est aujourd'hui difficile de prédire quelle sera la position qu'adoptera la Chambre sociale de la Cour de cassation sur la question. Il n'en demeure pas moins qu'il convient de suivre assidûment l'actualité jurisprudentielle des prochains mois sur ce point.
II - Les conséquences de la délégation de pouvoir : droits et responsabilités
La détermination des droits dont dispose le délégataire de pouvoirs n'appelle pas de longues observations. En effet, ces droits sont intimement liés à la mission qui lui est confiée puisque, rappelons-le, il ne peut s'agir d'une mission générale. Par conséquent, seuls entreront dans les prérogatives du délégataire celles qui auront pour objet de satisfaire l'objet de leur mission.
Il y a certainement plus à dire en matière de responsabilité.
Lorsque est instituée une délégation de pouvoir, celle-ci ne permet pas à l'employeur de s'exonérer de sa responsabilité civile. En sa qualité de commettant, le chef d'entreprise reste responsable au titre de l'article 1384, alinéa 5, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS).
Sur le plan pénal en revanche, par l'effet du principe de personnalité des peines tiré de l'article 121-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2225AMD) et l'absence de responsabilité pénale du fait d'autrui, le délégataire de pouvoir pourra assumer la responsabilité pénale de ses actes sans que l'employeur soit inquiété.
Les domaines dans lesquels le délégataire peut engager sa responsabilité pénale en lieu et place de l'employeur sont nombreux. On trouve des applications de cette règle dans tous les champs du droit pénal du travail. Ainsi, à titre d'exemple, le délit de travail dissimulé (14) ou l'infraction aux dispositions prescrivant la fermeture hebdomadaire de l'entreprise (15) permettent d'engager la responsabilité pénale du délégataire de pouvoirs.
Mais c'est en particulier en matière d'hygiène et de sécurité que de nombreuses condamnations pénales ont été prononcées à l'encontre de délégataires de pouvoir. La délégation en la matière est très souvent générale, comme l'illustre un arrêt récent par lequel la Chambre sociale relevait que le salarié "était titulaire d'une délégation de pouvoirs en vue d'appliquer et faire appliquer les prescriptions en matière d'hygiène et de sécurité" (16).
Si de nombreuses infractions peuvent donc être commises par le délégataire de pouvoir, il semble que la jurisprudence demeure relativement prudente en matière de délit d'entrave. Il est en effet assez courant qu'un employeur soit condamné pénalement alors même qu'il avait tenté de s'exonérer de sa responsabilité en invoquant la délégation de pouvoir confiée à l'un de ses subordonnés en matière de représentation du personnel (17). La plus grande partie des arrêts rendus sur la question portent sur le défaut d'information ou de consultation des institutions représentatives du personnel. Il n'est cependant pas certain qu'il soit possible de tirer de conclusions trop absolues de ces jurisprudences. En effet, l'étude minutieuse de ces solutions montre que la Cour de cassation identifie systématiquement le défaut d'une condition de la délégation de pouvoir.
(1) V., tout de même, l'article L. 1253-15 du Code du travail (N° Lexbase : L1684H9A) issu de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 (N° Lexbase : L0198G8T) qui traite explicitement, dans l'hypothèse particulière du groupement d'employeur, de la délégation de pouvoir.
(2) Cass. crim., 8 avril 2008, n° 07-80.535, F-P+F (N° Lexbase : A5440D8Y).
(3) V., par ex. Cass. crim., 2 septembre 2008, n° 08-80.408, F-D (N° Lexbase : A8432ECB) ; Cass. crim., 16 septembre 2008, n° 07-86.213, F-D (N° Lexbase : A8431ECA).
(4) Cass. crim., 8 décembre 2009, n° 09-82.183, FS-P+F+I (N° Lexbase : A0973EQ4).
(5) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-60.595, F-P+B (N° Lexbase : A7576EIG) et nos obs., Rappels relatifs à l'incompatibilité entre mandat syndical et délégation d'autorité dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 361 du 30 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1447BL8).
(6) Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07-44.200, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3386ELY), et les obs. de Ch. Radé, Nullité des clauses de mobilité au sein d'un groupe ou d'une UES : une jurisprudence excessive, Lexbase Hebdo n° 366 du 8 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0795BME) ; JCP éd. S, 2009, 1535, note S. Béal et P. Klein.
(7) Pour l'application des règles du mandat, v. par exemple Cass. soc., 18 mai 2008, n° 07-40.002, F-D (N° Lexbase : A5406D8Q) et les obs. de G. Auzero, Du bon usage de la délégation de pouvoir, Lexbase Hebdo n° 306 du 29 mai 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9818BED). Il est cependant parfois soutenu que la délégation de pouvoir est une technique autonome différente du mandat, v. par ex. F. Marmoz, La délégation de pouvoir, préf. Y. Reinhard, Litec, 2000.
(8) Cass. crim., 7 décembre 2004, n° 03-87.015 (N° Lexbase : A8562E9Y).
(9) Cass. crim., 21 août 1995, n° 94-80.915, inédit au bulletin (N° Lexbase : A2392CYA).
(10) Par ex. Cass. crim., 25 juin 1991, n° 90-83.846, inédit au bulletin (N° Lexbase : A1649C3H).
(11) V. par ex. Cass. crim., 30 octobre 1996, n° 94-83.650 (N° Lexbase : A4469AGM).
(12) V. notamment CA Colmar, 4ème ch., sect. B, 13 janvier 2009, n° 08/01150 (N° Lexbase : A2129EN8), CA Versailles, 5ème ch., 24 septembre 2009, n° 08/02615 (N° Lexbase : A2125ENZ) et CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 3 décembre 2009, n° 09/05422 (N° Lexbase : A6415EPB). Lire C. Michelet-Quinquis et A.- F. Léon-Oulié, Quand la signature de la lettre de licenciement dans une SAS devient risquée, Lexbase Hebdo n° 391 du 15 avril 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N7508BNE). Sur cette question, lire également P. Morvan, Nullité en droit du travail et délégation de pouvoirs dans la SAS, JCP éd. S, 2010, 1239 ; A. Lyon-Caen, Le pouvoir entre droit du travail et droit des sociétés, RDT, 2010, p. 494.
(13) Loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB).
(14) Cass. crim., 5 mars 2002, n° 01-85.242, inédit au bulletin (N° Lexbase : A9042CMT).
(15) Cass. crim., 11 mars 2003, n° 02-82.578.
(16) Cass. soc., 23 juin 2010, n° 09-41.607, F-P+B (N° Lexbase : A3367E34) et les obs. de Ch. Radé, L'obligation de sécurité du salarié, Lexbase Hebdo n° 402 du 8 juillet 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6188BPU), Dr. soc., 2010, p. 954, note F. Duquesne.
(17) V. par ex. Cass. crim., 14 octobre 2003, n° 03-81.366, F-P+F (N° Lexbase : A9484C97).