Cass. crim., 21-08-1995, n° 94-80.915, inédit au bulletin, Rejet



Cour de Cassation

Arrêt du 21er août 1995

Z Sauveur

c/

Président  M. MILLEVILLE conseiller

RÉPUBLIQUE   FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

   LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un août mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant

   Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire ..., les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, et de la société civile professionnelle NICOLAY et de LANOUVELLE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général ... ... de COSTIL ;

   Statuant sur le pourvoi formé par

   - Z Sauveur, contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 7ème chambre, en date du 29 novembre 1993 qui, pour homicide involontaire et infraction aux règles d'hygiène et de sécurité du travail, l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 15 000 francs d'amende, a ordonné l'affichage et la publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils ;

   Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

   Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 263-2 du Code du travail dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal, 5 de l'ancien Code pénal, des articles 520, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

   'en ce que la cour d'appel a omis d'annuler d'office la décision des premiers juges prononçant à l'encontre du prévenu une peine incompatible avec les dispositions des articles L. 263-2 du Code du travail dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, et 5 de l'ancien Code pénal, puis d'évoquer l'affaire pour statuer sur le fond' ;

   Attendu que, dès lors que les premiers juges, régulièrement saisis et compétents, ont, au terme d'une procédure régulière, intégralement tranché le fond, il n'y avait pas lieu à évocation, mais seulement à confirmation ou infirmation ;

   Que le moyen est inopérant ;

   Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l'article L. 263-2 du Code du travail, de l'article 319 de l'ancien Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

   'en ce que l'arrêt attaqué a rejeté le moyen de défense du prévenu invoquant l'existence d'une délégation de pouvoirs régulière au profit de la victime, Roger Y ;

   'aux motifs qu'il n'est pas contesté que Roger Y employé dans l'entreprise depuis 1963 était, au jour de l'accident, chef de l'atelier chaudronnerie selon l'organigramme de la société, et possédait une grande expérience professionnelle ;

   que le seul document relatif à l'organisation du chantier litigieux consiste en une note en date du 4 octobre 1989 émanant de Nicolas Z, le fils du prévenu en sa qualité de directeur général, intitulée 'Dispositions prévues pour le montage d'un atelier blanc' et mentionnant que le montage de cet atelier sera réalisé par une équipe des établissements Ribatti 'sous la responsabilité de Roger Beletti', que 'la gestion de ce montage est confiée au chef d'atelier Roger Y, qui prélèvera le personnel nécessaire pour mener à bien cette opération, que la direction tient à rappeler les consignes de sécurité indispensables pour ce type de travaux ceintures de sécurité obligatoires avec accessoires, échelles et échafaudages conformes, pas de travaux individuels, ni par mauvais temps' ;

   mais qu'un tel document s'avère très laconique quant à la mission générale de surveillance du chantier confiée à Roger Y et surtout sur l'organisation des mesures de sécurité ;

   qu'à ce titre, il n'est fait référence à aucune instruction précise concernant l'exercice d'un pouvoir disciplinaire habituellement exercé par ce salarié ;

   que l'examen des nombreux documents et témoignages versés aux débats par le prévenu lui-même démontre que ce dernier ne pouvait méconnaître chez Roger Y et ce depuis de nombreuses années, ses difficultés de commandement, son manque de souplesse, voire la simple difficulté à dialoguer avec ses 'adjoints' (cf. témoignage Rollero) au point de devoir rappeler ce chef d'atelier à plus de contrôle de lui-même (cf. réunion du 10 octobre 1981) ;

   qu'ainsi une fiche de fonction en date du 18 janvier 1988 signée du prévenu, de la victime et de M. X, définissait le travail de Roger Y en sa qualité de responsable des ateliers chaudronnerie et mécanique, précisant que son intervention n'avait pas un 'but de contrôle' mais était une aide ou une assistance, qu'il avait tout pouvoir de décision quant aux horaires du personnel, à la location de personnel seulement pour de courtes périodes et à la location de matériel ;

   qu'au terme de cette note, il est à nouveau demandé à Roger Y d'avoir un caractère plus souple, d'éviter tout emportement et énervement ; que cet aspect du caractère de la victime est ainsi confirmé par certains témoignages dont celui de Martin W, chef d'atelier, lorsqu'il déclare qu' 'il (Beletti) n'acceptait pas que quelqu'un lui fasse une remarque sur son organisation, sur la sécurité et d'une manière générale sur l'atelier qu'il considérait comme le sien' ;

   que dans ces conditions la preuve d'une délégation invoquée par le prévenu s'avère insuffisamment rapportée en l'espèce ;

   que ce dernier dans le cadre de son obligation générale de sécurité qui pèse sur lui en sa qualité de chef d'entreprise, a méconnu cette obligation du fait des négligences constatées dans l'organisation et le contrôle des conditions d'hygiène et de sécurité au sein de la société ;

   de l'absence de consignes précises dans le cadre du chantier litigieux, de l'absence de définition des moyens donnés à Roger Y pour faire respecter ces consignes, de l'absence de mise en place d'un mode de contrôle de celles-ci ; qu'il ne peut dès lors de manière certaine et exempte de toute ambiguïté, avoir délégué ses pouvoirs à son subordonné Roger Y à l'égard duquel il a volontiers admis à l'audience qu'il était très difficile voire impossible de faire des remarques à ce salarié, ce qui n'est pas sans faire douter de l'autorité réelle que l'employeur lui-même pouvait exercer sur ce dernier ;

   'alors, d'une part, que le chef d'entreprise, qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction, peut s'exonérer de sa responsabilité pénale, notamment en matière d'hygiène et de sécurité des travailleurs, s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ;

   qu'aucune condition supplémentaire relativement à l'exercice d'un pouvoir disciplinaire par le délégataire n'est exigée, le pouvoir disciplinaire étant inclus dans l'autorité elle-même ;

   que la cour d'appel a expressément constaté dans sa décision, l'existence d'une délégation écrite, en date du 4 octobre 1989, émanant de la direction générale des établissements Ribatti pour le chantier en cause, délégation d'où il résultait clairement que Roger Y qui possédait 'une grande expérience professionnelle' et par conséquent la compétence, avait la responsabilité du chantier qu'il devait mener à bien en prélevant comme il l'entendait, c'est-à -dire en fonction des besoins qu'il avait la charge d'apprécier lui-même, la personne de l'entreprise à qui il devait faire appliquer les consignes de sécurité qui lui étaient expressément rappelées et qui par conséquent disposait indubitablement de l'autorité et des moyens nécessaires ;

   que la délégation querellée était dès lors en tous points conforme au principe susénoncé et qu'il en résulte que la cour d'appel ne pouvait refuser d'accueillir le moyen de défense de Ribatti ;

   'alors, d'autre part, qu'en matière de délégation, il faut distinguer la condition de compétence du délégataire et la condition d'autorité ;

   que si la compétence a trait aux qualités professionnelles de la personne, l'autorité, quant à elle, revêt un caractère juridique et s'attache à la mission qui est conférée au délégataire et ne dépend pas de sa psychologie et que dès lors, la cour d'appel ne pouvait, en présence d'une délégation régulière et parfaitement explicite quant à la mission confiée à Roger Y, dénier l'existence de l'autorité qui lui était conférée dans ce document en se référant au fait que, parmi les traits de caractère de celui-ci, elle relevait une certaine susceptibilité ;

   'alors enfin, que la contradiction des motifs équivaut à leur absence et que les énonciations de l'arrêt d'où il ressort tantôt que la délégation en cause existe et est parfaitement conforme à la règle jurisprudentielle susénoncée, tantôt pourrait ne pas exister 'de manière certaine et exempte de toute ambiguïté' doivent être censurées en raison de leur caractère manifestement contradictoire' ;

   Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation de l'article 319 de l'ancien Code pénal, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

   'en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'homicide involontaire sur la personne de Roger Y ;

   'au motif que la cause immédiate de l'accident trouve son origine dans le fait pour Roger Y d'avoir posé son pied sur une tôle non encore fixée, laquelle devait glisser sous son poids et entraîner sa chute au sol alors qu'il venait de détacher son harnais de sécurité afin de l'ancrer à un emplacement différent ;

   'alors que s'il est vrai que l'article 319 de l'ancien Code pénal n'exige pas pour recevoir application qu'un lien de causalité direct et immédiat existe entre la faute du prévenu et le décès de la victime, encore faut-il que l'existence de ce lien de causalité soit certaine et qu'en l'état des motifs de l'arrêt qui ne relèvent pas l'existence d'un lien de causalité certain entre l'inobservation des règlements dont Ribatti a été déclaré coupable et le décès de la victime, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de sa décision' ;

   Les moyens étant réunis ;

   Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'un salarié de la SA établissements Ribatti, dirigée par le prévenu, a trouvé la mort en tombant du toit d'un atelier en réfection, alors qu'il procédait à la pose des tôles de couverture de la charpente métallique ;

   que l'employeur a été poursuivi pour homicide involontaire et infraction aux articles 5, 156 et 159 du décret du 8 janvier 1965 ;

   Attendu que, pour condamner Sauveur Z, les juges du second degré énoncent que le décès résulte du fait que le salarié a posé le pied sur une tôle non fixée, qui a glissé sous son poids, alors qu'il venait de détacher son harnais pour l'ancrer à un emplacement différent ;

   qu'ils relèvent que les dispositions du décret du 8 janvier 1965 relatives à l'organisation d'un travail en hauteur et aux dispositifs individuels ou collectifs destinés à éviter les chutes n'ont pas été respectées ;

   qu'en particulier le chantier était dépourvu de filet de protection, de surface de circulation sur la charpente afin d'éviter tout appui direct sur les tôles ou de tout autre dispositif suffisant et de protection équivalente ;

   que le harnais de sécurité, faute de points d'ancrage sérieux ou d'une 'ligne de vie' permettant le déplacement en restant attaché, était inadapté et constituait une protection illusoire ;

   Que pour écarter le moyen de défense du prévenu tiré de l'existence d'une délégation de pouvoirs consentie à la victime par lettre du 4 octobre 1989, l'arrêt attaqué retient que ce document est particulièrement laconique quant à la mission générale de surveillance du chantier et à l'organisation des mesures de sécurité ;

   qu'il n'est justifié, ni de consignes précises dans le cadre du chantier litigieux, ni des moyens donnés au préposé pour faire respecter ces consignes ;

   que les juges en déduisent que la délégation alléguée n'est pas effective ;

   Attendu qu'en l'état de ces énonciations, les juges ont, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la deuxième branche du deuxième moyen, souverainement apprécié l'absence de toute délégation de responsabilité et caractérisé la faute personnelle du prévenu et son lien de causalité avec l'accident ;

   qu'ils ont ainsi justifié leur décision ;

   Que les moyens ne peuvent, dès lors, être admis ;

   Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 263-6 du Code du travail, des articles 51 et 51-1 de l'ancien Code pénal, des articles 131-10 et 131-35 du nouveau Code pénal, des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

   'en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement déféré sur les mesures d'affichage et de publication et dit que ces mesures s'appliqueront pendant un mois en ce qui concerne l'affichage et selon les modalités ordonnées par le jugement déféré pour la publication, le tout sous forme d'extraits et au frais du condamné ;

   'alors qu'en ordonnant la publication et l'affichage sous forme d'extraits sans déterminer les extraits de la décision qui devront être affichés ou diffusés, la cour d'appel a prononcé une peine indéterminée en violation des dispositions des articles 51 et 51-1 de l'ancien Code pénal' ;

   Attendu que ni l'article L. 263-6 du Code du travail, ni l'article 51-1 du Code pénal alors en vigueur, n'imposent à la juridiction qui ordonne la publication par extraits de la décision, de déterminer ces extraits ;

   Qu'ainsi le moyen ne peut être accueilli ;

   Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

   REJETTE le pourvoi ;

   Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

   Où étaient présents M. ... conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme ... conseiller rapporteur, MM. ..., ..., ... ... conseillers de la chambre, Mme ..., MM. ..., ... ... ... ..., conseillers référendaires, M. ... ... ... ... avocat général, Mme ... greffier de chambre ;

   En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;