Résumé
Un salarié ne peut accepter par avance un changement d'employeur. La clause de mobilité par laquelle le salarié lié par contrat de travail à une société s'est engagé à accepter toute mutation dans une autre société, alors même que cette société appartiendrait au même groupe ou à la même unité économique et sociale, est nulle. |
I - Caractère d'ordre public du droit de refuser par avance un changement d'employeur
Le Code du travail ne comporte pas de régime général de la modification du contrat de travail, mais seulement quelques applications particulières qui concernent la modification pour un motif économique (1) ou le salarié dont la durée du travail est réduite en application d'un accord de réduction du temps de travail (2).
Se fondant sur les dispositions de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), la Cour de cassation a consacré, dans l'arrêt "Raquin", rendu en 1987, le droit de refuser la modification du contrat de travail (3), et précisé, en 2001, que ce droit était d'ordre public, ce qui invalidait toute clause par laquelle le salarié renoncerait à son droit de refus ou laisserait à l'employeur le soin d'en décider unilatéralement pour l'avenir (4).
Pour que ce régime prétorien puisse trouver à s'appliquer, encore faut-il préciser ce qu'il convient d'entendre par "contrat de travail".
La jurisprudence a progressivement dégagé sept éléments qui ne peuvent être modifiés sans l'accord du salarié (5). Il s'agit des fonctions, de la rémunération, de la durée du travail, du lieu de travail, de l'organisation convenue, des clauses du contrat et de la personne de l'employeur (6). Dans cette dernière hypothèse, il s'agit, d'ailleurs, moins d'une modification du contrat que d'une cession de celui-ci, dont on sait qu'elle doit, en principe, toujours être autorisée par l'autre contractant (7).
Ce sont ces solutions qui se trouvent ici confirmées.
Dans cette affaire, un salarié avait été engagé, en 1999, par la société Renault France automobile comme responsable service marketing auprès de l'établissement de Caen. Il avait signé, en janvier 2004, un avenant à son contrat de travail par lequel il acceptait une promotion et l'adjonction d'une clause de mobilité stipulant que le salarié pourrait être amené à exercer ses fonctions dans toute autre société de Renault France automobile et que la mise en oeuvre de cette clause donnerait lieu à rédaction d'un nouveau contrat de travail auprès de la société d'accueil. Alors qu'il avait refusé une mutation qui lui était annoncée dans une autre société du groupe, il a été licencié pour non-respect de la clause de mobilité.
Il avait été débouté en appel de l'ensemble de ses demandes par des juges du fond qui avaient fait produire son plein effet à la clause de mobilité et avaient considéré comme fautif le refus de se conformer à la décision de son employeur de la mettre en oeuvre.
C'est cet arrêt qui est cassé, au visa de l'article L. 1222-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0806H9Q). Après avoir exposé le principe selon lequel "un salarié ne peut accepter par avance un changement d'employeur", la Chambre sociale de la Cour de cassation reproche aux juges du fond d'avoir considéré le licenciement comme justifié, "alors que la clause de mobilité par laquelle le salarié lié par contrat de travail à une société s'est engagé à accepter toute mutation dans une autre société, alors même que cette société appartiendrait au même groupe ou à la même unité économique et sociale, est nulle".
C'est la première fois que la Cour de cassation, au visa de l'article L. 1222-1, affirme qu'"un salarié ne peut accepter par avance un changement d'employeur", même si le droit de refuser un changement d'employeur avait déjà été consacré à de nombreuses reprises, qu'il s'agisse de mettre en oeuvre une clause de mobilité, comme c'était le cas ici (8), ou de prétendre imposer à un salarié un changement d'employeur en dehors de l'hypothèse de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y, anciennement L. 122-12, al. 2 N° Lexbase : L5562ACY) (9). Jusqu'à présent, en effet, le régime de la modification du contrat de travail était fondé sur l'ancien article L. 121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5443ACL), devenu l'article L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B), aux termes duquel "le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun", ainsi que sur les dispositions des articles 1134 et 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) du Code civil (10). Or, dans cette décision en date du 23 septembre 2009, le droit de refus est fondé sur les dispositions de l'article L. 1222-1, héritier de l'ancien article L. 120-4 (N° Lexbase : L0571AZ8), siège de l'obligation de bonne foi.
Si pareil changement de fondement ne devrait pas bouleverser le régime de la modification du contrat de travail, il est particulièrement symbolique, d'autant plus que ce moyen a été soulevé d'office (11).
Il marque, en effet, l'effacement du Code civil en ce qu'il servait, jusqu'à présent, de fondement textuel à de nombreux pans du régime du contrat de travail, au profit de dispositions propres du Code du travail. Ce phénomène, particulièrement sensible ces dernières années en matière de responsabilité pécuniaire du salarié ou d'obligation de sécurité de l'employeur (12), s'étend, désormais, à la question de la modification du contrat de travail, qui se détache de l'article 1134 du Code civil pour ne plus être fondée que sur l'article L. 1222-1, siège de l'obligation de bonne foi.
Ce n'est pas la première fois que l'obligation de bonne foi sert de fondement à l'affirmation d'un droit du salarié. On se souviendra, en effet, que l'obligation d'adaptation du salarié aux évolutions de son emploi était, ainsi, née en 1992, avant d'être consacrée en 2000, puis en 2002 par le législateur (13).
Ce mouvement d'autonomisation du droit du travail, qui s'affranchit peu à peu de ses amarres civilistes traditionnelles, est tout à fait logique compte tenu des distances prises par le droit du travail avec les règles du Code civil, les texte visés devenant souvent de simples prétextes. Il n'est, toutefois, pas certain que la référence à la bonne foi contractuelle, qui ravira les adeptes du solidarisme contractuel, soit parfaitement satisfaisante, cette notion étant devenu, qu'on veuille bien nous pardonner cette trivialité, la "bonne à tout faire" du droit du travail.
II - Nullité de la clause de mobilité stipulée au bénéfice d'un groupe ou d'une UES
Cette décision est, également, intéressante en ce qu'elle confirme le caractère finalement très limité de l'avantage conféré à l'employeur par l'existence d'une clause de mobilité. Rappelons que la validité de celle-ci a été contestée lorsqu'elle ne définit pas avec suffisamment de précision son secteur géographique, singulièrement lorsqu'il s'agit de permettre à ce secteur de suivre les évolutions de l'activité de l'entreprise (14). Rappelons, également, qu'à condition que soit vérifiée sa validité, la clause de mobilité doit être mise en oeuvre de bonne foi, être conforme à l'intérêt de l'entreprise et ne pas porter une atteinte injustifiée ou disproportionnée au droit à une vie personnelle et familiale du salarié (15). On ajoutera que la mise en oeuvre de la clause ne doit s'accompagner d'aucune modification du contrat de travail, qu'il s'agisse des responsabilités confiées au salarié ou de son niveau de rémunération, le salarié étant fondé à refuser toute mutation qui l'exposerait à un simple risque de modification de sa rémunération (16), ce qui sera toujours le cas des salariés payés, même pour partie, sur une base variable assise sur un chiffre d'affaires ou des résultats commerciaux, puisque le secteur ou les performances de leur nouveau lieu d'affectation, seront nécessairement différents du précédent (17).
Ajoutons, ce que l'on savait déjà, que la mise en oeuvre de la clause de mobilité ne peut avoir pour effet de contraindre le salarié à changer d'employeur, ce qui en paralyse l'effet dans les groupes ou les UES, ce que confirme cette décision (18).
Si l'affirmation selon laquelle le salarié ne saurait se voir imposer contre sa volonté un changement d'employeur, ce qui s'oppose logiquement à une modification imposée de force en cours d'exécution, la nullité des clauses de mobilité intra-groupe ou intra-UES nous semble des plus contestables, et nous avions déjà au l'occasion de contester à l'époque l'affirmation selon laquelle la clause de variation était nulle, au regard des exigences mêmes de l'article 1134 du Code civil (19).
Cette solution nous semble d'autant plus fâcheuse lorsqu'elle s'applique à des cadres au sein de groupes internationaux ou de grandes entreprises dans lesquelles la mobilité est rendue nécessaire, et constitue d'ailleurs pour les salariés un gage de progression.
Dans la mesure où le droit de refuser la modification de son contrat de travail s'apparente à un droit fondamental du salarié, il nous semble que c'est en termes de conciliation avec les intérêts de l'entreprise qu'il conviendrait de raisonner, et non de prohibition pure et simple. C'est donc vers l'article L. 1121-1 du Code du travail qu'il convient de se tourner, pour vérifier si, compte tenu de la nature des fonctions et de l'activité de l'entreprise, une clause de mobilité au sein du groupe ou de l'UES ne pourrait pas être validée. Pareille solution nous paraîtrait plus juste, pour les entreprises, et plus conforme à l'esprit qui anime le régime général des clauses du contrat de travail où les principes de nécessité et de proportionnalité des atteintes aux libertés des salariés s'appliquent déjà très largement.
(1) C. trav., art. L. 1222-6 (N° Lexbase : L0818H98).
(2) C. trav., art. L. 1222-7 (N° Lexbase : L0819H99) et s..
(3) Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, M. Raquin et autre c/ Société anonyme Jacques Marchand (N° Lexbase : A1981ABY), Bull. civ. V, n° 541, Dr. soc., 1988, p. 140, note J. Savatier.
(4) Cass. soc., 27 février 2001, n° 99-40.219, Groupe des assurances nationales (Gan Vie) c/ M. Rouillot (N° Lexbase : A0505ATU), Dr. soc., 2001, p. 514 et la chron. Ch. Radé ; D., 2001, somm. p. 2166, obs. S. Frossard ; Cass. soc., 5 juin 2001 n° 98-44.781, Me Samson c/ Mme Claudine Lafon (N° Lexbase : A5253ATQ), Dr. soc., 2001, p. 887.
(5) Voir l’Ouvrage "Droit du travail" .
(6) Cass. soc., 5 mai 2004, n° 02-42.580, Mme Dréfa Filali c/ Société Adislor, F-P (N° Lexbase : A0558DCN), Dr. soc., 2004, p. 793, obs. A. Mazeaud.
(7) Cass. com., 6 mai 1997, n° 94-16.335, Société Rougeot c/ Société GSM Côte d'Azur (N° Lexbase : A1519ACA), Bull. civ. IV, n° 117. Jurisprudence constante.
(8) Cass. soc., 5 mai 2004, n° 02-42.580, préc..
(9) CJCE, 7 mars 1996, aff. C-171/94, Albert Merckx et Patrick Neuhuys c/ Ford Motors Company Belgium SA (N° Lexbase : A7247AHU) ; Cass. soc., 2 avril 1998, n° 96-40.383, Société Lafitte c/ Mme Maryse Lesbarrères (N° Lexbase : A6934AHB) ; Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-46.134, M. Jean-François Fabre et a. c/ Société Kodak Pathé, FS-P+B (N° Lexbase : A7707DRU) et nos obs., Le refus du salarié de voir son contrat transféré, Lexbase Hebdo n° 233 du 26 octobre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4275ALW).
(10) Cass. soc., 15 juillet 1998, n° 97-43.985, Mme Pagano c/ Mutuelle générale de l'Education nationale (N° Lexbase : A5687ACM), Bull. civ. V, n° 381 : "Vu les articles L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL) et L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) du Code du travail" ; Cass. soc., 20 octobre 1998, n° 95-44.290, M. Courcelles et autres c/ Caisse régionale d'assurance mutuelle agricole de la Loire (N° Lexbase : A5378AC8), Bull. civ. V, n° 435 : "Vu l'article L. 121-1 du Code du travail, ensemble l'article 1134 du Code civil" ; Cass. soc., 29 juin 1999, n° 97-42.248, Mme Rabhi c/ Caisse des dépôts développement (N° Lexbase : A4750AGZ), Bull. civ. V, n° 306 : "Vu les articles L. 121-1, L. 212-4-2 (N° Lexbase : L9587GQ7) et L. 321-1-2 (N° Lexbase : L8923G7M) du Code du travail, ensemble l'article 1134 du Code civil" ; Cass. soc., 21 mars 2000, n° 97-40.131, M. Santiago c/ Société industrielle de maintenance (SIM) et autre (N° Lexbase : A6388AGP), Bull. civ. V, n° 116 : "Vu les articles L. 121-1 et L. 122-14-3 du Code du travail et l'article 1134 du Code civil" ; Cass. soc., 15 mars 2006, n° 02-46.496, Société Trans'Ova c/ M. Christian Martin, F-P+B (N° Lexbase : A6000DNK), Bull. civ. V, n° 102 : "Vu l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article L. 121-1 du Code du travail" (lire les obs. de G. Auzero, La clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application, Lexbase Hebdo n° 221 du 28 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N0070AL8). Tout dernièrement, Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-40.739, M. Laurent Jacoby-Koaly, F-D (N° Lexbase : A6573EGK) : "Vu l'article L. 121-1, devenu L. 1221-1 du Code du travail, ensemble les articles 1134 et 1147 du Code civil".
(11) Précisons que c'est bien la Cour de cassation elle-même qui a choisi de viser l'article L. 1222-1, car le demandeur s'était fondé sur les dispositions des articles 1134 du Code civil, L. 122-14-3 et L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) du Code du travail.
(12) Sur ce phénomène d'autonomisation, notre chron., Droit du travail et responsabilité civile, RDT 2007, p. 752.
(13) Notre chron., Le solidarisme contractuel en droit du travail : mythe ou réalité ?, dans Le solidarisme, sous la dir. de L. Grynbaum et M. Nicod, Economica-études juridiques n° 18, 2004, pp. 75-93.
(14) Cass. soc., 14 octobre 2008, n° 06-46.400, Union des amis et compagnons d'Emmaüs (UAC Emmaüs), FS-P+B (N° Lexbase : A7990EA8) et nos obs., Clauses de mobilité : la Cour de cassation se mobilise !, Lexbase Hebdo n° 324 du 29 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4917BHL).
(15) Lire l’Ouvrage "Droit du travail" .
(16) Cass. soc., 25 février 2004, n° 01-47.104, Société Casino cafétaria, société par actions simplifiées c/ M. Patrick Moity, F-D (N° Lexbase : A3820DB4).
(17) Cass. soc., 18 mai 2005, n° 03-42.585, M. Noël Bacquias c/ Compagnie d'assurances Gan prévoyance, F-D (N° Lexbase : A3748DIN).
(18) Et comme l'UES, qui n'a pas la personnalité juridique, ne peut être l'employeur des salariés des entreprises qui la composent, le salarié, qui change d'entreprise au sein de l'UES, change juridiquement d'employeur et peut donc s'opposer à la mobilité.
(19) Voir notre chron. préc. sous Cass. soc., 27 févr. 2001, n° 99-40.219, préc..
Décision
Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07 44.200, M. Jean Luc Boussin c/ Société Renault Reagroup, FS P+B+R (N° Lexbase : A3386ELY) Cassation partielle CA Caen, 3ème ch. soc., sect. 2, 29 juin 2007 Texte visé : C. trav., art. L. 1222-1 (N° Lexbase : L0806H9Q) Mots clef : contrat de travail ; modification ; droit de refuser ; changement d'employeur ; ordre public ; nullité de la clause contraire Lien base : |