Résumé Selon l'article L. 4122-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1458H9U), il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. |
I - La reconnaissance de l'obligation de sécurité des salariés
La loi du 31 décembre 1991 a introduit dans le Code du travail, faisant application des dispositions de Directives communautaires (1), l'obligation faite aux salariés de veiller à leur propre sécurité, ainsi qu'à celle de leurs collègues de travail (2).
Cette obligation figure aujourd'hui à l'article L. 4122-1 du Code du travail. Ce texte dispose que, "conformément aux instructions qui lui sont données par l'employeur, dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les entreprises tenues d'en élaborer un, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. Les instructions de l'employeur précisent, en particulier lorsque la nature des risques le justifie, les conditions d'utilisation des équipements de travail, des moyens de protection, des substances et préparations dangereuses. Elles sont adaptées à la nature des tâches à accomplir. Les dispositions du premier alinéa sont sans incidence sur le principe de la responsabilité de l'employeur".
La Cour de cassation a fait une première application de cette obligation en 2002 (3) et en tire, depuis, des conséquences sur le plan disciplinaire pour admettre le licenciement pour faute grave de certains contrevenants (4), à l'instar de ce salarié licencié pour faute grave pour ne pas avoir porté le casque de sécurité obligatoire (5).
Soucieuse de limiter l'application de cette obligation aux cas les plus topiques, la Chambre sociale de la Cour de cassation a dégagé, depuis l'arrêt fondateur, plusieurs indices pour aider les juges du fond dans leur travail de qualification : ces derniers devront vérifier l'existence d'une délégation de pouvoirs, même si les salariés qui ne sont pas délégataires n'en demeurent pas moins responsables de leurs fautes (6) et tenir compte de la nature des tâches confiées au salarié et de la gravité de ses manquements (7) ainsi que de l'activité de l'entreprise (8).
La Cour s'est fondée sur cette obligation pour justifier le licenciement pour faute grave d'un salarié reconnu coupable de faits de harcèlement (9) ou qui tentait de contraindre les salariés placés sous son autorité de se soustraire aux règles de sécurité applicables dans l'entreprise (10).
C'est à une nouvelle illustration de cette obligation de sécurité qui pèse sur les salariés que nous convie la Chambre sociale de la Cour de cassation dans cet arrêt en date du 23 juin 2010, et publié au Bulletin.
II - La consécration de l'obligation d'agir pour assurer l'effectivité du droit à la sécurité des autres salariés
Dans cette affaire, le salarié licencié avait été engagé en 2000 comme chef magasinier, puis promu, en 2001, comme chef de magasin. Dans le cadre de ses nouvelles fonctions, il avait reçu une délégation de pouvoirs à l'effet de prendre toutes mesures et toutes décisions en vue d'appliquer et de faire appliquer les prescriptions d'hygiène et de sécurité pour le personnel et les tiers dans le dépôt. Il avait fait l'objet d'un avertissement en octobre 2002 aux motifs que l'issue de secours était obstruée par des marchandises et que le dispositif de sécurité du portillon était hors d'usage, avant d'être licencié pour faute grave en janvier 2004 pour ne pas avoir fait réaliser des travaux de sécurisation d'une mezzanine, en dépit des nombreuses plaintes des salariés de l'entreprise. Le salarié avait saisi la juridiction prud'homale pour contester la validité de l'avertissement et le bien-fondé du licenciement et pour demander le paiement de diverses sommes.
La cour d'appel lui avait donné raison après avoir retenu, d'une part, que le salarié avait pris l'initiative de contacter le fabricant de la mezzanine pour obtenir un devis pour la mise en conformité de la stabilité de celle-ci, et que, d'autre part, la nature et la modicité de l'intervention préconisée font naître un doute sérieux sur le niveau de danger invoqué par l'employeur pour procéder au licenciement du salarié.
Cet arrêt est cassé. Après avoir rappelé "que, selon l'article L. 4122-1 du Code du travail, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail", la Haute juridiction affirme "qu'en statuant comme elle a fait par des motifs inopérants, alors qu'il résultait de ses constatations qu'une mezzanine sur laquelle étaient entreposées des marchandises et où circulaient des salariés présentait d'importants problèmes de stabilité et nécessitait impérativement la mise en place d'éléments pour la stabiliser et que le salarié, titulaire d'une délégation de pouvoirs en vue d'appliquer et faire appliquer les prescriptions en matière d'hygiène et de sécurité, s'était borné à s'enquérir du coût des réparations sans prendre aucune mesure pour prévenir un accident ni faire procéder aux réparations qui s'imposaient, ce dont il résultait qu'il avait commis un manquement grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
Le moins que l'on puisse dire est que la solution témoigne de la volonté affichée de la Haute juridiction de rendre l'obligation formulée à l'article L. 4122-1 du Code du travail pleinement effective. La lecture de la décision montre que la Cour de cassation impose, par ce biais, aux salariés délégataires d'autorité, ou plus largement en charge de la sécurité des personnes au sein de l'entreprise, d'agir concrètement pour assurer la sécurité des biens et des personnes et de ne pas se contenter de vagues démarches ne débouchant sur aucune action concrète.
Cette sévérité nous semble pleinement justifiée car il s'agit bien ici de la santé et de la sécurité du personnel de l'entreprise dont on peut considérer qu'elles constituent des impératifs absolus. Dès lors, et même si le salarié mis en cause a payé de son emploi sa négligence, le message doit passer : on ne badine pas avec la sécurité dans l'entreprise qui doit être l'affaire de tous, mais aussi, et peut-être surtout, de ceux qui en sont particulièrement en charge.
(1) Singulièrement de l'article 13 de la Directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (N° Lexbase : L9900AU9).
(2) D. Corrignan-Carsin, L'obligation de sécurité du salarié, Mélanges dédiés à B. Bouloc, Dalloz, 2006, p. 233 s..
(3) Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-41.220, M. Roland Deschler c/ Société Textar France, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0693AYC), BICC n° 555 du 1er mai 2002, n° 452 ; D., 2002, Jurispr., p. 2079, note H. Kobina Gaba ; Cass. soc., 24 septembre 2002, n° 00-18.290, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) de Meurthe-et-Moselle c/ Société en nom collectif (SNC) SCREG Est, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A4966AZX), BICC n° 569 du 15 janvier 2003, n° 44.
(4) Cass. soc., 30 septembre 2005, n° 04-40.625, M. Bruno Terrier c/ EURL CTVI, F-P+B (N° Lexbase : A5979DKN), D., 2006, p. 973, note H. Kobina Gaba ; JCP éd. G, 2006, II, 10012, note S. Molla.
(5) Cass. soc., 23 mars 2005, n° 03-42.404, M. Michel Levrat c/ Société SATRAS, F-P+B (N° Lexbase : A4236DHD).
(6) Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-41.220, préc. : "Alors même qu'il n'aurait pas reçu de délégation de pouvoirs, le salarié, tenu en vertu de l'article L. 230-3 du Code du travail de prendre soin de sa sécurité et de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail, répond des fautes qu'il a commises dans l'exécution de son contrat de travail".
(7) Faute grave retenue : Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-41.220, préc. ; Cass. soc., 28 mai 2008, n° 06-40.629, Société Verreries du Courval, F-D (N° Lexbase : A7813D8U) et les obs. de G. Marie, Nouvelle illustration de l'obligation de sécurité du salarié, Lexbase Hebdo n° 308 du 13 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N2492BGE) : le salarié "était responsable du service entretien, [...] il entrait dans ses attributions de passer les commandes relatives à la maintenance des installations de la société, de définir avec les entreprises intervenantes les conditions de leur intervention et de les renseigner sur les mesures de sécurité, ensuite, [...] il n'avait pas correctement établi le plan de prévention lors de l'intervention de la société CRM et ne l'avait pas averti des dangers liés à cette intervention, qu'il connaissait pourtant, notamment en ce qui concernait les particularités du clapet anti-retour à l'origine de l'accident". Faute grave écartée : Cass. soc., 17 mars 2010, n° 08-43.233, Société Bils Deroo poids lourds, F-D (N° Lexbase : A8098ET4) : "le seul manquement du salarié consistait à n'avoir pas signalé au directeur général les anomalies et dysfonctionnements en matière d'hygiène et de sécurité qu'il lui appartenait de constater dans l'exercice de ses attributions contractuelles".
(8) Cass. soc., 30 septembre 2005, n° 04-40.625, M. Bruno Terrier c/ EURL CTVI, F-P+B (N° Lexbase : A5979DKN) et les obs. de N. Mingant, Le licenciement pour faute grave en cas de violation par le salarié de son obligation de sécurité, Lexbase Hebdo n° 185 du 14 octobre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N9527AIP) : le salarié "était chargé d'assurer le respect des règles de sécurité des sites des établissements CTVI et CTT ; ensuite, que, courant 1998, avaient été révélés à son employeur des manquements d'une particulière gravité commis par le salarié sur les deux sites au sujet de l'enlèvement de réservoirs contenant des matières corrosives et dangereuses, de la fermeture des armoires électriques, de la fixation des extincteurs avec leur signalisation dans les lieux aux accès dégagés et du dégagement des issues de secours ; que l'arrêt a, en outre, relevé, d'une part, que, malgré des instructions précises et circonstanciées de son employeur, il avait persisté, jusqu'au 15 juillet 1999, soit la veille de l'engagement de la poursuite disciplinaire, en sorte que la prescription invoquée n'était pas acquise, à ne pas respecter les consignes de sécurité et, d'autre part, que la lourde obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur ne lui permettait pas de tolérer plus longtemps les insuffisances de son directeur technique ; que la cour d'appel a pu déduire de ces éléments, que le salarié avait commis une faute grave".
(9) Cass. soc., 19 mai 2010, n° 09-42.079, Mme Edith Delahaye, F-D (N° Lexbase : A3941EXA) : "la responsabilité de l'employeur n'est pas exclusive de la responsabilité personnelle de l'auteur d'agissements constitutifs de harcèlement moral" (rendu au visa des articles L. 1152-1 N° Lexbase : L0724H9P et L. 4122-1 du Code du travail).
(10) Cass. soc., 21 avril 2010, n° 09-40.069, Société Manutention consignation transit (MCT), F-D (N° Lexbase : A7767EWL) : "constitue une faute grave le fait pour le responsable d'une agence de transit aérien de menacer de sanctions les agents placés sous son autorité qui se conformeraient aux règles de sécurité applicables dans l'enceinte de l'aéroport".
Décision Cass. soc., 23 juin 2010, n° 09-41.607, Société Frans Bonhomme c/ M. Vincent Launay, F-P+B (N° Lexbase : A3367E34) Cassation partielle CA Toulouse, 4ème ch. soc., sect. 2, 13 février 2009 Textes visés : C. trav., art. L. 4122-1 (N° Lexbase : L1458H9U), L. 1232-1 (N° Lexbase : L8291IAC), L. 1234-5 (N° Lexbase : L1307H9B) et L. 1234-9 (N° Lexbase : L8135IAK) Mots clef : santé ; sécurité ; obligations des salariés ; licenciement pour faute grave Lien base : (N° Lexbase : E9171ESH) |