Décision
Cass. soc., 30 septembre 2005, n° 04-40.625, M. Bruno Terrier c/ EURL CTVI, F-P+B (N° Lexbase : A5979DKN) Rejet (CA Lyon, Chambre sociale, 26 novembre 2003) Texte concerné : C. trav., art. L. 230-3 (N° Lexbase : L5947ACA) Mots-clefs : obligation de sécurité du salarié ; manquement constitutif d'une faute disciplinaire ; appréciation de l'existence d'une faute grave ; obligation de sécurité de résultat de l'employeur. Lien bases : |
Résumé
Selon l'article L. 230-3 du Code du travail, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail. Dès lors, alors même qu'il n'aurait pas reçu de délégation de pouvoir, le salarié répond des fautes qu'il a commises dans l'exécution de son contrat de travail. |
Faits
M. Terrier était chargé d'assurer le respect des règles de sécurité des sites des établissements CTVI et CTT. Courant 1998, avaient été révélés à son employeur des manquements d'une particulière gravité commis par le salarié sur les deux sites au sujet de l'enlèvement de réservoirs contenant des matières corrosives et dangereuses, de la fermeture des armoires électriques, de la fixation des extincteurs avec leur signalisation dans les lieux aux accès dégagés et du dégagement des issues de secours. M. Terrier, licencié le 29 juillet 1999, conteste la qualification de faute grave retenue par l'employeur. Il a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir une indemnisation pour violation des articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), L. 122-6 (N° Lexbase : L5556ACR), L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT), L. 122-9 (N° Lexbase : L5559ACU) et L. 122-44 (N° Lexbase : L5582ACQ) du Code du travail. Dans un arrêt du 26 novembre 2003, la cour d'appel de Lyon l'a débouté de l'intégralité de ses demandes d'indemnisation. |
Solution
1. Rejet 2. "Selon l'article L. 230-3 du Code du travail, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail [...] dès lors, alors même qu'il n'aurait pas reçu de délégation de pouvoir, il répond des fautes qu'il a commises dans l'exécution de son contrat de travail". "D'une part, malgré des instructions précises et circonstanciées de son employeur, il avait persisté, jusqu'au 15 juillet 1999, soit la veille de l'engagement de la poursuite disciplinaire, en sorte que la prescription invoquée n'était pas acquise, à ne pas respecter les consignes de sécurité, d'autre part, la lourde obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur ne lui permettait pas de tolérer plus longtemps les insuffisances de son directeur technique [...] la cour d'appel a pu déduire de ces éléments que le salarié avait commis une faute grave". |
Commentaire
1. L'obligation de sécurité du salarié 1.1. L'étendue de l'obligation de sécurité du salarié L'article L. 230-3 du Code du travail (N° Lexbase : L5947ACA) pose le principe selon lequel, conformément aux instructions qui lui sont données par l'employeur ou le chef d'établissement -dans le cadre du règlement intérieur pour les entreprises qui y sont assujetties-, "il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celle des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail". L'obligation de sécurité mise à la charge du salarié est d'abord et surtout une obligation d'obéissance aux ordres de l'employeur en matière de sécurité. Mais, dans le cadre général défini par l'employeur, les salariés doivent, en situation concrète de travail, faire preuve d'une certaine vigilance personnelle afin de préserver la santé et la sécurité de leur propre personne et des autres personnes concernées dans l'entreprise. La Cour de cassation a précisé que l'obligation de sécurité visée à l'article L. 230-3 concernait tous les salariés et pas seulement ceux ayant reçu une délégation de pouvoirs de l'employeur (Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-41.220, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0693AYC). Pourtant, si la loi ne subordonne pas l'obligation de sécurité à l'existence d'une délégation de pouvoirs, elle précise tout de même que l'obligation de sécurité est fonction "de la formation et des possibilités" du salarié. Même si l'expression est particulièrement floue, il semble qu'elle implique de tenir compte de la nature des attributions du salarié. Il convient incontestablement d'apprécier l'étendue de l'obligation de sécurité au regard du poste occupé par le salarié et des obligations contractuelles qui y sont attachées. En l'espèce, M. Texier était contractuellement "chargé d'assurer le respect des règles de sécurité" de deux sites de l'entreprise, ce qui signifie que l'on attendait de lui une vigilance particulière en matière de sécurité. 1.2. Les manquements du salarié à son obligation de sécurité Dans l'espèce commentée du 30 septembre 2005, la Chambre sociale de la Cour de cassation affirme que "le salarié répond des fautes qu'il a commises dans l'exécution de son contrat de travail". Elle rappelle ainsi une nouvelle fois (voir déjà Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-41.220, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0693AYC ; Cass. soc., 23 mars 2005, n° 03-42.404, F-P+B N° Lexbase : A4236DHD, lire les obs. de Gilles Auzero, L'obligation de sécurité du salarié ou l'importance du port du casque !, Lexbase Hebdo n° 162 du 7 avril 2005 - édition sociale N° Lexbase : N2746AIK) le principe selon lequel la violation de l'obligation de sécurité constitue, de la part du salarié, une faute contractuelle. Il s'agit d'une violation des obligations professionnelles qui a la nature d'une faute disciplinaire, ce qui signifie notamment que l'ensemble des règles applicables en cas de prononcé d'une sanction est applicable. En l'espèce, la violation de l'obligation de sécurité consistait en des "manquements d'une particulière gravité commis par le salarié sur les deux sites au sujet de l'enlèvement de réservoirs contenant des matières corrosives et dangereuses, de la fermeture des armoires électriques, de la fixation des extincteurs avec leur signalisation dans les lieux aux accès dégagés et du dégagement des issues de secours". Le salarié, en manquant à son obligation de sécurité, avait manifestement commis une faute disciplinaire, ce qui signifie qu'il pouvait se voir infliger une sanction disciplinaire. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu'il avait commis une faute grave et que l'employeur pouvait le licencier pour faute grave. Il convenait, en effet, de vérifier que les manquements relevés entraient bien dans le cadre spécifique de la faute grave. 2. L'appréciation de la gravité de la faute en cas de manquement du salarié à son obligation de sécurité Si le manquement invoqué à l'encontre du salarié constituait assurément une faute disciplinaire, il convenait également, dans l'espèce commentée, de vérifier que le salarié avait bien commis une faute grave (comme l'indique clairement l'arrêt précité du 23 mars 2005, la violation de l'obligation de sécurité peut constituer une faute grave, ce qui signifie qu'elle peut également ne pas en être une). La faute grave s'entend d'"un fait ou un ensemble de faits qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise" (voir, par exemple, Cass. soc., 18 juin 1991, n° 88-42.008, Mlle Greneau c/ Epoux Castillan, inédit N° Lexbase : A8323AGD). En l'espèce, la gravité de la faute résultait de deux éléments bien différents. D'une part, les manquements du salarié, qui étaient d'une particulière gravité, s'étaient répétés dans le temps malgré les "instructions précises et circonstanciées de l'employeur". Le fait que le salarié soit spécialement chargé d'assurer la sécurité des sites, qu'il n'applique pas les consignes données en la matière par l'employeur et qu'il persiste dans cette attitude étaient certainement suffisants pour caractériser l'existence d'une faute grave. Il n'est, en effet, guère douteux que de tels faits rendent impossibles le maintien du salarié dans l'entreprise. Mais la Cour de cassation apporte une précision : "la lourde obligation de sécurité de résultat de l'employeur ne lui permettait pas de tolérer plus longtemps les insuffisances de son directeur technique". Cette affirmation permet de renforcer la conviction selon laquelle il était impossible de maintenir le salarié dans l'entreprise et, par là même, de valider la qualification de faute grave opérée par l'employeur. On sait, en effet, que la Cour de cassation a posé le principe selon lequel, "en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise [...] le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5300ADN), lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver " (voir, par exemple, Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-21.255, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0773AYB ; le même principe a été posé en matière d'accident du travail, voir Cass. soc., 11 avril 2002, n° 00-16.535, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4836AYR). Il résulte de cette jurisprudence que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat et qu'une faute inexcusable peut être retenue contre lui lorsqu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. L'arrêt commenté du 30 septembre 2005 est probablement une suite nécessaire des arrêts rendus en 2002 à propos de l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur. Il serait en effet paradoxal de faire peser sur l'employeur une obligation de sécurité de résultat et, dans le même temps, de l'empêcher de la respecter en lui refusant le droit d'écarter sans préavis un salarié qui persiste à exposer ses collègues au danger. |