Résumé
Pourvoi n° 06-43.209 Si l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n'en est pas de même de l'utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l'auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur. Pourvoi n° 05-17.818 Le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2260AD3) dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées. |
1. Principes fondamentaux du droit de la preuve
Contrairement aux principes qui prévalent en matière pénale, le droit civil subordonne la recevabilité des preuves à de strictes conditions de licéité qui peuvent interdire, si elles ne sont pas respectées, leur production en justice.
La preuve doit, en principe, respecter la vie privée des protagonistes. Selon les termes de l'arrêt "Néocel", qui fait figure de référence en la matière, "si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps du travail, tout enregistrement, quels qu'en soient les motifs, d'images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite" (1).
Désormais, la Cour de cassation vise, depuis 2001 et l'arrêt "Nikon", outre les dispositions de l'article 9 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3201ADW), l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR), l'article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) et l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI) ; à ce titre, il a été jugé "qu'une filature organisée par l'employeur pour contrôler et surveiller l'activité d'un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu'elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d'être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l'employeur" (2).
En second lieu, l'existence de ces modes de surveillance doit avoir été portée à la connaissance des salariés, au nom de l'exigence de loyauté (3). Cette exigence a d'ailleurs été confirmée par la loi du 31 décembre 1992 (4) (loi n° 92-1446, relative à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et à l'assurance-chômage N° Lexbase : L0944AIS). La jurisprudence considère ainsi que "seul l'emploi de procédé clandestin de surveillance est illicite" (5), l'employeur ne pouvant se retrancher derrière le fait que les procédés mis en oeuvre visaient principalement la clientèle du magasin (6) ; les lieux où les salariés n'ont pas à avoir accès sont, en revanche, exclus de cette obligation préalable d'information (7).
L'employeur qui constitue des fichiers avec les informations récoltées doit, également, les déclarer à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), faute de quoi il ne pourra pas produire les éléments ainsi récoltés (8).
2. La production en justice d'un SMS
C'est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation avait à se prononcer sur la possibilité reconnue au destinataire d'un SMS, encore appelé "texto", de produire en justice le texte du message qui lui avait été adressé.
Dans le premier arrêt en date du 23 mai 2007 (n° 06-43.209), c'est la production de SMS qui était en cause, dans une affaire de harcèlement sexuel d'un employeur à l'égard de l'une de ses salariées. La cour d'appel avait admis que la salariée puisse en produire le contenu en justice. Le demandeur prétendait, au soutien de son pourvoi, que "l'enregistrement et la reconstitution d'une conversation ainsi que la retranscription de messages, lorsqu'ils sont effectués à l'insu de leur auteur, constituent des procédés déloyaux rendant irrecevables en justice les preuves ainsi obtenues".
Or, tel n'est pas l'avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi, après avoir établi une différence de régime entre "l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués", qui constitue "un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue", et "l'utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l'auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur" et qui peuvent donc être produits en justice.
Cette solution semble fondée sur une présomption de connaissance de la part de l'auteur contre lequel on prouve, le principe étant celui de la confidentialité de l'enregistrement d'une conversation téléphonique et, partant, de la nécessité d'informer leur auteur de l'enregistrement de cette conversation (9), alors qu'en matière de SMS, le principe serait exactement inverse.
L'usage du téléphone comme moyen d'émission du message ne suffit pas donc à modifier la nature de celui-ci. Reste, toutefois, à déterminer si cette solution aboutit à traiter le SMS comme une simple correspondance privée, dont on sait qu'elle peut être librement produite en justice dès lors qu'elle ne comporte pas d'information confidentielle (10). On sait, cependant, que cette notion, plus étroite encore que la notion de vie privée, n'est pas définie de manière très claire en jurisprudence et qu'elle est appréciée souverainement par les juges du fond. Il conviendra donc d'attendre les prochaines décisions pour savoir si la Cour de cassation poursuivra l'analogie entre SMS et correspondance privée.
Cette assimilation du SMS à la correspondance privée semble logique et parfaitement justifiée. Celui qui rédige et adresse un SMS sait parfaitement que ce dernier est stocké dans le téléphone de son destinataire, et il doit éventuellement s'attendre à ce que le message puisse être lu par d'autres, même par un juge. Il n'est donc alors pas contraire au principe de loyauté d'en faire état, sauf bien entendu si son contenu présente un caractère confidentiel. Le droit pour le destinataire du SMS d'en produire le contenu ne doit, toutefois, pas être étendu aux tiers ; ainsi, le tiers ne peut y avoir accès, comme l'a jugé la Cour de cassation dans l'affaire "Nikon" (11).
Toute autre solution conduirait, d'ailleurs, à des situations choquantes où l'auteur serait protégé par une sorte d'immunité, singulièrement dans des affaires comparables à celle-ci où l'employeur avait utilisé le SMS comme moyen de harcèlement de la salariée.
3. Les mesures d'instruction et l'accès à la messagerie électronique
L'article 145 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2260AD3) dispose que "s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé". Reste à déterminer ce qu'il convient d'entendre par "mesures d'instruction légalement admissibles", notion qui n'est pas sans rappeler l'exigence de licéité de la preuve civile, singulièrement lorsque ces mesures sont de nature à porter atteinte à la vie privée de l'une des parties.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a considéré, en 2006, comme licite la mesure d'instruction ne portant pas atteinte "à une liberté fondamentale" de la personne, tout en affirmant "que le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile dès lors que les mesures ordonnées procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées" (12).
Il était donc particulièrement intéressant de connaître la position de la Chambre sociale confrontée à l'argument tiré de la violation du droit au respect de la vie privée.
Dans l'affaire qui a donné lieu au second arrêt rendu le 23 mai 2007 (n° 05-17.818), un employeur suspectait son salarié de communiquer par courrier électronique avec des tiers et de les aider dans une entreprise de concurrence déloyale. Il avait alors saisi le juge des référés et obtenu une ordonnance sur requête désignant un huissier de justice qui avait eu accès à la messagerie électronique du salarié et aux messages qui l'incriminaient. Ce salarié contestait que ces éléments aient pu être pris en compte par le juge pour justifier son licenciement pour faute. La cour d'appel lui avait donné raison, avait rétracté l'ordonnance et annulé le procès-verbal dressé par l'huissier, après avoir retenu "que la mesure d'instruction sollicitée et ordonnée a pour effet de donner à l'employeur connaissance de messages personnels émis et reçus par le salarié et [...] qu'elle porte atteinte à une liberté fondamentale et n'est pas légalement admissible".
Cet arrêt est cassé. Après avoir relevé que "le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées", la Cour a considéré que "l'employeur avait des motifs légitimes de suspecter des actes de concurrence déloyale et qu'il résultait de ses constatations que l'huissier avait rempli sa mission en présence du salarié".
Ce n'est pas la première fois que la Chambre sociale de la Cour de cassation devait statuer sur le régime applicable aux courriers électroniques. On sait que les mails bénéficient du même régime que les correspondances privées et, qu'à ce titre, l'employeur doit impérativement respecter le secret des correspondances, dans les conditions définies par l'arrêt "Nikon" (13). On sait, également, que ce régime ne profite qu'aux mails, et non aux fichiers électroniques présents sur l'ordinateur du salarié ; pour ces derniers, une présomption de caractère professionnel existe qui permet, en principe, un libre accès par l'employeur (14) ; lorsque les fichiers sont identifiés comme personnels, l'employeur peut y avoir accès, mais à condition de le faire en présence du salarié, à tout le moins de l'en informer, sauf circonstances particulières (15).
Cette fois-ci, l'employeur avait pris la peine de saisir le juge des référés et obtenu une ordonnance sur requête afin de consulter les mails émis et reçus par le salarié sur l'ordinateur mis à sa disposition par l'entreprise. La garantie des droits du salarié était donc assurée, à la fois, par le recours au juge et à un huissier de justice. Dès lors que l'employeur avait évoqué un motif justifiant le recours à la mesure d'instruction (la concurrence déloyale du salarié), et que la mesure était nécessaire (le salarié ne communiquait que par mails avec ces tiers), rien ne venait justifier l'annulation de l'ordonnance sur requête.
Cette solution est heureuse dans la mesure où elle encouragera l'employeur à saisir le juge, plutôt que de faire les choses par lui-même, ce qui est de nature à garantir efficacement les droits du salarié et d'éviter, ainsi, les risques de manipulations des preuves, assez importants en matière informatique.
Christophe Radé
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Décisions
Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209, Société civile professionnelle (SCP) Laville-Aragon, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3964DWQ) Rejet (CA Agen, 5 avril 2006) Mots-clefs : SMS ; vie privée ; preuve. Liens bases : ; Cass. soc., 23 mai 2007, n° 05-17.818, Société Datacep, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3963DWP) Cassation (CA Douai, 18 mai 2005) Mots-clefs : vie privée ; fouille ; huissier. Liens bases : ; . |