[A la une] L'enregistrement clandestin d'une conversation téléphonique privée est un procédé de preuve déloyal

par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit




La jurisprudence a, depuis longtemps déjà, déduit de l'article 9 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3201ADW), aux termes duquel "il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention", un principe de loyauté de la preuve prohibant la recherche de la vérité par n'importe quel procédé et interdisant au juge d'admettre une preuve qui aurait été obtenue par un moyen frauduleux. Il y aurait, en quelque sorte, un conflit opposant ici deux intérêts, d'aucuns diront deux droits subjectifs - droit de rapporter la preuve de ce qu'on avance et droit pour celui qui détient éventuellement la preuve d'obtenir qu'elle ne soit pas acquise de manière déloyale - (voir, en ce sens, F. Terré, Introduction générale au droit, 6ème éd., 2003, Précis Dalloz, n° 490), le second constituant la limite du premier (encore que, sur la preuve par testing, voir not. L. Collet-Askri, "Testing or not testing ?, La Chambre criminelle de la Cour de cassation valide ce mode de preuve, serait-il déloyal...", D. 2003, p. 1309). Il est, en tout état de cause, certain que la recherche de la vérité peut menacer l'intimité de la personne et risquer de porter atteinte à sa vie privée ou à son image, ce qui explique que des conditions doivent être posées à l'admissibilité des modes de preuve, particulièrement en raison des progrès de la technique.

Ainsi par exemple a-t-il été jugé que constitue un mode de preuve déloyal, donc illicite, l'enregistrement par l'employeur, quels qu'en soient les motifs, d'images ou de paroles à l'insu des salariés pendant le temps de travail (Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120, Mme Neocel c/ M. Spaeter N° Lexbase : A9301AAQ, D. 1992, p. 73, concl. Chauvy). Dans le même ordre d'idées, la jurisprudence considère que l'employeur ne peut, sans violation de l'intimité de la vie privée du salarié, prendre connaissance des messages personnels émis et reçus par celui-ci grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur (Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, Société Nikon France c/ M. Frédéric Onof N° Lexbase : A1200AWD, Bull. civ. V, n° 291).

On n'ignore pas non plus, dans un autre registre, qu'au sujet de la preuve de l'adultère en matière de divorce, s'il était admis que les lettre missives pouvaient être produites sans le consentement de l'expéditeur et du destinataire malgré le principe de l'inviolabilité de la correspondance, encore fallait-il qu'elles n'aient pas été obtenues "par fraude ou violence" (C. civ., art. 259-1 N° Lexbase : L2630ABZ), règle qui avait été étendue par la Cour de cassation au journal intime (Cass. civ. 2, 6 mai 1999, n° 97-12437, Mme X.. c/ M. Y., N° Lexbase : A3223CGH, Bull. civ. II, n° 85). Le législateur, à l'occasion de la réforme du divorce par la loi du 26 mai 2004 (loi n° 2004-439 N° Lexbase : L2150DYB), a élargi le champ de l'article 259-1 à l'ensemble des "communications échangées entre son conjoint et un tiers" qu'il aurait obtenues par fraude ou violence (N° Lexbase : L2825DZN).

Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, publié au Bulletin, du 7 octobre dernier relève, lui aussi, de ce courant de protection des intérêts de la personne en rappelant l'exigence de loyauté qui transcende le droit de la preuve. En l'espèce, en effet, pour prouver qu'une somme d'argent n'avait pas été donnée mais seulement prêtée, l'une des parties avait versé aux débats une cassette contenant l'enregistrement d'une conversation téléphonique obtenue à l'insu de l'intéressé. Aux visas des articles 9 du Nouveau Code de procédure civile et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - le respect des droits de la défense participant de la question de la loyauté de la preuve - (N° Lexbase : L7558AIR), la Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel qui avait admis ce mode de preuve et énonce que "l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectuée et conservée à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé de preuve déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue" (comp. CA Paris, 2 novembre 1995, D. 1996, IR. p. 18 ; CA Limoges, 23 septembre 2003, D. 2003, p. 2411).

On ne saurait affirmer plus nettement que, qu'il y ait ou non limitation légale des modes de preuve, encore faut-il que soit respecté un principe de loyauté (sur l'ensemble de la question, voir not. A. Leborgne, L'impact de la loyauté sur la manifestation de la vérité ou le double visage d'un grand principe, RTDCiv. 1996, p. 535).