[Jurisprudence] Importance des statuts de l'organisation syndicale désignant un représentant de la section syndicale

par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Inévitable, tant pour des raisons de droit que de fait, le contentieux relatif à la désignation du représentant de la section syndicale n'aura guère tardé à être soumis à la Cour de cassation. Rendu le même jour que quatre autres décisions récemment commentées dans ces mêmes colonnes (1), l'arrêt rapporté présente une importance certaine, même si, à la différence des autres, il n'aura pas les honneurs du rapport annuel de la Cour de cassation. En affirmant que le représentant de la section syndicale peut être désigné par une union de syndicats, la Chambre sociale ne fait qu'affirmer une solution qui pouvait aisément s'inférer de sa jurisprudence antérieure. Mais, au-delà, la solution doit surtout retenir l'attention en ce qu'elle invite à accorder un égard particulier aux statuts des organisations syndicales auteurs d'une telle désignation.

Résumé

Mais attendu, d'une part, qu'il résulte de la combinaison des articles L. 2142-1 (N° Lexbase : L3761IBW) et L. 2142-1-1 (N° Lexbase : L3765IB3) du Code du travail, issus de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ), que chaque syndicat, qui satisfait aux critères de respect des valeurs républicaines et d'indépendance, est légalement constitué depuis au moins deux ans, dont le champ professionnel et géographique couvre l'entreprise concernée et qui constitue une section syndicale d'entreprise peut, s'il n'est pas représentatif dans l'entreprise, désigner un représentant de cette section ; d'autre part, que, sauf stipulation contraire de ses statuts, une union de syndicats, à laquelle la loi reconnaît la même capacité civile qu'aux syndicats eux-mêmes, peut exercer les droits conférés à ceux-ci.

Et attendu que le tribunal a relevé que l'union syndicale Solidaires avait plusieurs adhérents dans l'entreprise, qu'elle avait pour objet de rassembler toutes les organisations syndicales et de renforcer la défense des adhérents des syndicats ou fédérations membres et de l'ensemble du monde du travail, ce dont il résultait que son champ de compétence national et interprofessionnel couvrait l'entreprise, et que ces statuts ne lui interdisaient pas d'intervenir directement dans une entreprise en l'absence d'organisation adhérente compétente dans le champ géographique et professionnel couvrant cette dernière ; que sans dénaturer, ni méconnaître les dispositions statutaires, il en a exactement déduit que la désignation était régulière.

Commentaire

I - La désignation d'un représentant de la section syndicale par une union de syndicats

Les syndicats créés localement peuvent se regrouper et constituer, selon la terminologie adoptée par le législateur, des "unions". Si ce dernier reconnaît l'existence de ces regroupements pour les assimiler à des syndicats, il ne leur consacre que trois articles (C. trav., art. L. 2133-1 N° Lexbase : L2129H9Q à L. 2133-3), procédant par renvoi aux articles du code traitant de la constitution et de la capacité des syndicats (2).

Selon l'article L. 2133-3 du Code du travail (N° Lexbase : L2133H9U), "les unions de syndicats jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels par le présent titre". Il est ici renvoyé au titre III du livre Ier de la deuxième partie du Code du travail intitulé "Statut juridique, ressources et moyens". En vertu de ce renvoi, et ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, la loi reconnaît aux unions de syndicats la même capacité civile qu'aux syndicats eux-mêmes. Cela étant, on a pu un temps hésiter sur la possibilité, pour les unions, d'exercer directement les droits syndicaux dans l'entreprise. L'hésitation était permise, eu égard aux dispositions restrictives de l'article L. 2133-3 et, avant lui, de l'article L. 411-23, qui ne renvoient pas aux dispositions du titre IV relatif à l'exercice du droit syndical.

La Cour de cassation n'a, cependant, pas tenu compte de cet argument de texte et a assez tôt admis que les unions pouvaient exercer directement les droits syndicaux dans les entreprises, l'existence ou l'absence d'un syndicat "primaire" local n'étant pas un facteur déterminant de la reconnaissance de prérogatives au bénéfice des unions. Ainsi, une union peut présenter des candidats aux élections professionnelles (3) ou négocier un accord préélectoral (4). De même, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a décidé, dans un important arrêt en date du 30 juin 1995, qu'"une union de syndicats, à laquelle la loi a reconnu la même capacité civile qu'aux syndicats eux-mêmes, peut exercer les droits conférés à ceux-ci, et notamment celui de désigner un représentant au comité d'entreprise" (5).

Cette dernière décision ne laissait plus aucune place au doute quant à l'attribution aux unions de la plénitude des prérogatives reconnus par la loi aux syndicats. Il convenait, par suite, d'en déduire qu'une union pouvait désigner un délégué syndical dans l'entreprise ; ce qu'a admis la Chambre sociale en 2004 (6).

On ne sera, dès lors, pas surpris que la Cour de cassation vienne expressément affirmer, dans l'arrêt sous examen, qu'une union de syndicats est en mesure de désigner un représentant de la section syndicale. Il convient, cependant, d'avoir égard aux stipulations statutaires de l'union concernée.

Si une union de syndicats peut exercer les droits conférés par la loi aux syndicats, ses statuts peuvent le lui interdire. Le juge se doit de tenir compte de cette stipulation restrictive, au demeurant parfaitement conforme à l'ordre public. L'éventualité d'une telle stipulation, qui avait été admis en 1995 par l'Assemblée plénière, se trouve rappelée par la Chambre sociale dans l'arrêt commenté ; celle-ci prenant soin de relever que les statuts de l'union syndicale Solidaires "ne lui interdisaient pas d'intervenir directement dans une entreprise en l'absence d'organisation adhérente compétente dans le champ géographique et professionnel couvrant cette dernière".

Pourtant, à l'appui de son pourvoi, la société contestant la désignation d'un représentant de la section syndicale par l'union arguait que l'article 4 de ses statuts prévoyait expressément que celle-ci s'interdisait d'intervenir dans le champ de compétence propre des organisations sauf demande expresse de ses adhérents. Partant, la désignation des représentants de section relevant de la compétence normale des syndicats adhérents d'une union, l'union syndicale Solidaires ne pouvait désigner de représentant, sauf demande expresse de ses adhérents. Approuvant la décision des juges du fond, la Chambre sociale écarte cet argument pour le motif reproduit ci-dessus, soulignant en outre que ces derniers n'ont pas dénaturé, ni méconnu les stipulations statutaires. Cette solution doit être approuvée. On admettra, avec la Cour de cassation, que la stipulation litigieuse n'interdit pas "directement" à l'union de syndicats d'intervenir dans une entreprise en l'absence d'organisation adhérente. Au contraire, si restriction il y a, celle-ci semble plutôt concerner l'hypothèse dans laquelle existe dans l'entreprise une organisation adhérente à l'union, auquel cas la seconde ne peut intervenir sauf demande expresse de la première.

Cet arrêt démontre, si besoin était, tout l'intérêt qu'il y a pour les rédacteurs des statuts des syndicats à y manifester clairement leur volonté afin de ne pas ouvrir trop largement le champ de l'interprétation et de multiplier ainsi les risques de contentieux inutiles. Par ailleurs, la décision rapportée inspire deux remarques. Tout d'abord, il peut apparaître souhaitable d'introduire dans les statuts des unions ou fédérations des stipulations restrictives quant à l'exercice des prérogatives conférées par la loi aux syndicats. Leur absence peut, en effet, conduire à des situations de concurrence dans l'exercice de ces prérogatives, un syndicat désignant un délégué ou un représentant de la section alors que cela a déjà été fait par l'union à laquelle ils adhèrent, ou inversement. Ensuite, si une union ou un syndicat peut statutairement renoncer à exercer des droits que lui reconnaît la loi, une union ou un syndicat ne saurait interdire à l'une ou à l'autre d'exercer de telles prérogatives. Ainsi, et à titre d'exemple, nous paraîtrait contraire à l'ordre public la stipulation des statuts d'une union lui réservant la faculté de désigner des représentants de section syndicale et l'interdisant par là-même aux syndicats adhérents.

II - Les conditions de désignation d'un représentant de la section syndicale

Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans son motif de principe, il résulte de la combinaison des articles L. 2142-1 et L. 2142-1-1 du Code du travail que chaque syndicat qui satisfait aux critères de respect des valeurs républicaines et d'indépendance, qui est légalement constitué depuis au moins deux ans, dont le champ professionnel et géographique couvre l'entreprise concernée et qui constitue une section syndicale d'entreprise peut, s'il n'est pas représentatif dans l'entreprise, désigner un représentant de cette section.

Ces exigences légales, dont on sait qu'elles ont été, d'ores et déjà, précisées par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts d'importance également rendus le 8 juillet 2009 (7), concernent au premier chef les syndicats, expressément visés par la loi. Mais, et nous l'avons vu, dans la mesure où une union de syndicats est en droit, sauf stipulations contraires de ses statuts, d'exercer les droits conférés par la loi aux syndicats, ces mêmes exigences lui sont par définition applicables.

Ainsi, la désignation d'un représentant de la section syndicale réalisée par une union ne sera valable que si celle-ci, conformément aux dispositions de l'article L. 2141-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6059IAN), n'est pas représentative dans l'entreprise. Or, dans la mesure où, désormais, et sauf exceptions, la représentativité n'est plus présumée, deux problèmes doivent être évoqués. En premier lieu, il nous semble que ce n'est pas parce qu'un syndicat est jugé représentatif dans l'entreprise que l'union à laquelle il appartient l'est. Ne peut-on, dès lors, pas considérer que l'union peut désigner un représentant de la section, alors que le syndicat, lui, ne le peut pas ? La réponse est clairement négative, car une union ne saurait avoir plus de droits qu'un syndicat. Plus exactement, et ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans le présent arrêt, une union de syndicats peut exercer les droits conférés par la loi à ceux-ci. Or, la loi ne donnant pas à un syndicat représentatif le droit de désigner un représentant de la section syndicale, l'union à laquelle il l'adhère ne peut procéder à semblable désignation.

En second lieu, il convient de tenir compte des dispositions transitoires de la loi du 20 août 2008 maintenant la présomption de représentativité jusqu'à la première mesure de l'audience électorale des syndicats. Cela étant, ces dispositions ne concernent pas l'union syndicale Solidaires qui n'a jamais été présumée représentative au niveau national et interprofessionnel.

Pour pouvoir constituer une section syndicale et, par voie de conséquence, désigner un représentant de celle-ci au sein de l'entreprise, le "champ professionnel et géographique" du syndicat doit couvrir l'entreprise concernée (C. trav., art. L. 2142-1). Cette exigence n'est pas des plus claires, faute pour le législateur de ne pas avoir qualifié le "champ" en question. On saura donc gré à la Cour de cassation d'avoir suppléé cette regrettable carence en soulignant, dans l'arrêt sous examen, qu'il s'agit du "champ de compétence" de l'organisation syndicale.

Pour savoir si ce "champ de compétence" couvre bien l'entreprise, il importe de se reporter encore une fois aux statuts du syndicat, à l'exclusion selon nous de toute autre considération et, notamment, à l'implantation effective du syndicat. En l'espèce, et ainsi que le relève la Cour de cassation, l'union syndicale Solidaires "avait pour objet de rassembler toutes les organisations syndicales et de renforcer la défense des adhérents des syndicats ou fédérations membres et de l'ensemble du monde du travail" (8). On s'accordera, dès lors, avec la Cour de cassation pour considérer qu'il résulte de cette stipulation que le champ de compétence national et interprofessionnel couvrait l'entreprise.

A dire vrai, une telle conclusion ne faisait guère de doute, l'union syndicale Solidaires pouvant être assimilée à une confédération syndicale. En revanche, les syndicats auront intérêt à veiller à la façon dont leur objet est décrit par les statuts, sous peine de se heurter à des contestations de l'employeur ou des autres syndicats de salariés.


(1) Cass. soc., 8 juillet 2009, 4 arrêts, n° 09-60.015, Syndicat Solidaires G4S, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7070EIP) ; n° 09-60.011, Société Okaidi, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7069EIN) ; n° 08-60.599, Société Véolia transport Bordeaux c/ M. Christian Picoche et a., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7068EIM) ; et n° 09-60.048, Syndicat Sud banques solidaires, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7071EIQ). Voir notre numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1126BLB).
(2) V. l'étude Union de syndicats, J.-Cl. Travail Traité, Fasc. 12-22, par J. Frossard.
(3) Cass. soc., 6 juillet 1982, n° 81-60.933, Syndicat CFDT Métaux de Saint-Chamond, Syndicat Métaux FO de la Loire c/ SA Creusot-Loire, SA Clesid, publié (N° Lexbase : A3484CG7).
(4) Cass. soc., 21 juillet 1993, n° 92-60.380, Union locale CFDT, Bourse du travail c/ Crédit Lyonnais, direction du groupe particuliers et professionnels Artois Littoralnord et autres, inédit (N° Lexbase : A2144CY3).
(5) Ass. plén., 30 juin 1995, n° 93-60.026, Groupement d'intérêt économique Pari-Mutuel hippodrome, publié (N° Lexbase : A2100AAZ), JCP éd. G, 1995, II, 22481, avec les concl. du Premier Av. gén. M. Jéol et les obs. de Y. Saint-Jours.
(6) Cass. soc., 8 décembre 2004, n° 03-60.445, M. Michel Gouiran c/ Fédération FO de la Métallurgie et autres, F-P+B (N° Lexbase : A3752DEP) et nos obs., La désignation concurrente, dans une même entreprise, de délégués syndicaux par une union départementale et une fédération de syndicats appartenant à la même confédération !, Lexbase Hebdo n° 148 du 23 décembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N4061ABZ).
(7) V. l'édition spéciale de la présente revue consacrée à ces arrêts, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1126BLB).
(8) Pour être tout à fait précis, et ainsi qu'il est indiqué dans les moyens annexés à l'arrêt, l'article 2 des statuts de l'union syndicale stipule qu'elle a pour objet de "rassembler toutes les organisations syndicales et à travers elles tous les salariés qui pensent que la faiblesse du syndicalisme français réside en premier lieu dans ses divisions, pour peser davantage en faveur de rapprochements interprofessionnels encore plus larges, de renforcer la défense des adhérents des syndicats ou fédérations membres et de l'ensemble du monde du travail par tous les moyens".
Décision

Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.012, Société Vigimark surveillance c/ M. Abdellah Bhar et a., FS-P+B (N° Lexbase : A7602EIE)

Rejet, TI Poissy, contentieux des élections professionnelles, 5 janvier 2009

Textes concernés : C. trav., art. L. 2142-1 (N° Lexbase : L3761IBW), L. 2142-1-1 (N° Lexbase : L3765IB3) et L. 2133-3 (N° Lexbase : L2133H9U)

Mots-clefs : représentant de la section syndicale ; conditions de la désignation ; désignation par une union de syndicats ; stipulations statutaires

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