[Jurisprudence] La désignation concurrente, dans une même entreprise, de délégués syndicaux par une union départementale et une fédération de syndicats appartenant à la même confédération !



C'est une affaire peu banale que nous donne à commenter un arrêt rendu le 8 décembre 2004 par la Cour de cassation. En effet, en l'espèce, postérieurement à la désignation, dans une unité économique et sociale, de deux salariés en qualité de délégués syndicaux par une union départementale FO, la fédération FO de la Métallurgie avait, elle-même, désigné deux délégués syndicaux dans la structure en cause. Tout le problème était donc de savoir laquelle de ces deux désignations devait être retenue, étant admis qu'une union de syndicats dispose de la faculté d'exercer directement les droits syndicaux dans une entreprise.


Décision

Cass. soc., 8 décembre 2004, n° 03-60.445 M. Michel Gouiran c/ Fédération FO de la Métallurgie et autres, F-P+B (N° Lexbase : A3752DEP)

Cassation de TI Puteaux, 10 octobre 2003

Texte visé : C. trav., art. L. 412-15 (N° Lexbase : L6335ACM)

Mots clés : union de syndicats ; fédération syndicale ; délégué syndical ; désignation ; contestation.

Lien base :

Faits

1. L'Union départementale des syndicats FO des Hauts-de-Seine avait désigné, le 21 février 2003, pour l'unité économique et sociale Vinci, deux délégués syndicaux : MM. Gouiran et Acho. Le 3 juillet suivant, la Fédération FO de la Métallurgie avait désigné, pour la même unité économique et sociale, MM. Gouiran et Chorpeza en qualité de délégués syndicaux. M. Gouiran, agissant en sa qualité de secrétaire de l'Union départementale et de délégué syndical, a alors demandé l'annulation des désignations faites par la confédération FO de la Métallurgie.

2. Pour débouter M. Gouiran de sa demande, le jugement attaqué a, essentiellement, retenu que la Fédération avait, à la différence de l'Union départementale, vocation à désigner des délégués syndicaux dont le mandat s'exerce sur le territoire national.

Problème juridique

La désignation d'un délégué syndical, opérée par une union départementale de syndicats, peut-elle être remise en cause par la désignation postérieure d'un autre délégué syndical par la fédération à laquelle cette union est rattachée ?

Solution

1. Cassation au visa de l'article L. 412-15 du Code du travail (N° Lexbase : L6335ACM).

2. "Attendu, cependant, d'une part, que l'Union départementale des syndicats affiliés, avait vocation à désigner le 21 février 2003 MM. Gouiran et Acho dont la désignation, qui n'a pas été contestée, était devenue définitive, d'autre part que ces désignations antérieures interdisaient à la confédération de procéder au remplacement de ces délégués syndicaux sans qu'au préalable leur mandat ait été révoqué par l'instance qui a désigné leur titulaire".

Observations

1. L'exercice direct des droits syndicaux dans l'entreprise par une union de syndicats

  • Variété et personnalité juridique des unions de syndicats

Les syndicats créés localement peuvent se regrouper et constituer, selon la terminologie adoptée par le législateur, des "unions". En réalité, si le législateur reconnaît l'existence de ces regroupements pour les assimiler à des syndicats, il ne leur consacre que trois articles (C. trav., art. L. 411-21 N° Lexbase : L6323AC8 à L. 411-23 N° Lexbase : L6325ACA), procédant par renvoi aux articles du Code traitant de la constitution et de la capacité des syndicats (V. l'étude Union de syndicats, J.-Cl. Travail Traité, Fasc. 12-22, par J. Frossard).

Concrètement, ces regroupements peuvent être horizontaux ou verticaux. Les premiers, qui se réalisent à un niveau local, permettent à des syndicats correspondant à des professions différentes de s'unir pour constituer des unions interprofessionnelles régionales ou départementales. Les regroupements verticaux visent la réunion, sur le terrain régional ou national, de syndicats réunissant les mêmes professions, pour former des fédérations. Ce regroupement se fait, en principe, par branches d'activités (textile, chimie, bâtiment, etc) (1). Enfin, au niveau national, les confédérations agglomèrent les différents syndicats et leurs regroupements horizontaux et verticaux. Dans l'espèce commentée, étaient en cause deux unions appartenant à une même confédération : l'Union départementale des syndicats FO des Hauts-de-Seine et la Fédération FO de la Métallurgie.

Il ne fait pas de doute que ces différentes unions disposent, au même titre que les syndicats "primaires", de la personnalité juridique. C'est ce que reconnaît explicitement l'article L. 411-23 du Code du travail (N° Lexbase : L6325ACA), en disposant que "ces unions jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels par la section II du présent chapitre et par le chapitre III du présent titre". Au demeurant, la jurisprudence ayant résolument opté pour le principe de la réalité des personnes morales, un texte n'était nullement nécessaire. On sait, en effet, que dès lors qu'un groupement représente un intérêt collectif et qu'il est doté d'une possibilité d'expression pour la défense de cet intérêt, doit lui être reconnue la personnalité morale (Cass. civ. 2, 28 janvier 1954, n° 54-07081, Comité d'entreprise des Forges et Aciéries de la Marine et d'Homécourt c/ Ray, publié N° Lexbase : A2624CKE, D. 1954, p. 21, note Levasseur ; Dr. soc. 1954, p. 161, obs. P. Durand).

  • Prérogatives des unions de syndicats

Ainsi que nous venons de le préciser, les unions de syndicats jouissent, en application de l'article L. 411-23 du Code du travail (N° Lexbase : L6325ACA), de tous les droits conférés aux syndicats professionnels, tant en ce qui concerne la capacité civile que la propriété exclusive des marques et labels. Les unions de syndicats disposent ainsi, notamment, du droit d'ester en justice (C. trav., art. L. 411-11 N° Lexbase : L6313ACS), du droit d'acquérir sans autorisation, à titre gratuit ou à titre onéreux, des biens meubles ou immeubles (C. trav., L. 411-12 N° Lexbase : L6314ACT), ou encore du droit de négocier des conventions et accords collectifs de travail.

Au-delà, on a pu, un temps, hésiter sur la possibilité pour les unions (unions locales ou fédérations) d'exercer directement les droits syndicaux dans l'entreprise. L'hésitation était permise, eu égard aux dispositions restrictives de l'article L. 411-23 (N° Lexbase : L6325ACA). Sans encourir véritablement la critique, la Chambre sociale de la Cour de cassation a résolu le problème en admettant que les unions pouvaient exercer directement les droits syndicaux dans les entreprises, l'existence ou l'absence d'un syndicat "primaire" local n'étant pas un facteur déterminant de la reconnaissance de prérogatives au bénéfice des unions. Ainsi, une union peut présenter des candidats aux élections professionnelles (Cass. soc., 6 juillet 1982, n° 81-60.933, Syndicat CFDT Métaux de Saint-Chamond, Syndicat Métaux FO de la Loire c/ SA Creusot-Loire, SA Clesid, publié N° Lexbase : A3484CG7 ; Cass. soc., 21 mai 1986, n° 85-60.529, Société Unisabi c/ Union départementale des syndicats CGT du Loiret et autres, publié N° Lexbase : A5124AAZ) ou négocier un accord préélectoral (Cass. soc., 21 juillet 1993, n° 92-60.380, Union locale CFDT, Bourse du travail c/ Crédit Lyonnais, direction du groupe particuliers et professionnels Artois Littoralnord et autres, inédit N° Lexbase : A2144CY3).

En outre, mettant un terme à certaines résistances des juges du fond, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a décidé, dans un important arrêt en date du 30 juin 1995, qu'"une union de syndicats, à laquelle la loi a reconnu la même capacité civile qu'aux syndicats eux-mêmes, peut exercer les droits conférés à ceux-ci, et notamment celui de désigner un représentant au comité d'entreprise" (Ass. plén., 30 juin 1995, n° 93-60.026, Groupement d'intérêt économique Pari-Mutuel hippodrome, publié N° Lexbase : A2100AAZ, JCP G 1995, II, 22481, avec les concl. du Premier Av. Gén. M. Jéol et les obs. de Y. Saint-Jours). Il convient de souligner que cette décision pose, toutefois, une limite à l'exercice par une union des droit syndicaux dans l'entreprise, en réservant l'hypothèse d'une stipulation contraire des statuts de l'union de syndicats.

Au regard de ce dernier arrêt, il ne faisait pas de doute qu'une union de syndicats devait être admise à désigner un délégué syndical dans l'entreprise. C'est ce que confirme la Chambre sociale dans l'arrêt commenté, de manière expresse, pour une union départementale et, de façon plus indirecte, pour la fédération à laquelle appartient cette union.

2. La désignation concurrente d'un délégué syndical par une union et une fédération de syndicats

  • La contestation de la désignation

L'intérêt de la décision commentée réside, essentiellement, dans la réponse apportée au problème résultant de la désignation concurrente d'un délégué syndical différent dans une même entreprise par une union départementale et une fédération appartenant à la même confédération. Plus précisément, en l'espèce, une Union départementale FO avait désigné deux délégués syndicaux, MM. Gouiran et Acho, dans une unité économique et sociale. Postérieurement, la fédération FO de la Métallurgie avait elle-même désigné, dans la même structure, MM. Gouiran et Chorpeza comme délégués syndicaux. Cette double désignation ne pouvant, évidemment, être admise, il appartenait aux juges du fond de décider laquelle pouvait être retenue.

Ces derniers avaient validé la désignation opérée par la fédération, retenant essentiellement que cette dernière avait, à la différence de l'union départementale, vocation à désigner des délégués syndicaux dont le mandat s'exerce sur le territoire national. Une telle argumentation ne pouvait prospérer, dans la mesure où le mandat s'exerçant dans une même entreprise, à laquelle doit être assimilée une unité économique et sociale, les deux unions en cause avaient également, sous réserve des stipulations contraires de leurs statuts, vocation à désigner des délégués syndicaux, ainsi qu'il l'a été démontré précédemment.

Le problème posé ne pouvait donc se résoudre de cette manière. S'agissant de la contestation d'une désignation, il convenait de faire application des dispositions de l'article L. 412-15 du Code du travail (N° Lexbase : L6335ACM), ainsi que l'indique clairement le visa de l'arrêt commenté.

Il résulte de cette disposition que la contestation de la désignation d'un délégué syndical est enfermée dans un court délai de quinze jours. Passé ce délai, la désignation est purgée de tout vice et devient définitive. En l'espèce, et ainsi que le relève la Cour de cassation, la désignation de MM. Gouiran et Acho n'ayant pas été contestée, elle était devenue définitive. Par suite, la désignation opérée par la fédération devenait, en quelque sorte, sans objet. Cela étant, la Chambre sociale admet la possibilité d'un remplacement des salariés désignés.

  • Le remplacement des salariés désignés

Le raisonnement de la Cour de cassation suit une logique difficilement contestable, car conforme à une stricte orthodoxie juridique. Il convient, en effet, de ne pas oublier qu'existe entre le délégué syndical et l'organisation qui l'a désigné un contrat de mandat. Par suite, et ainsi que le précise la Cour de cassation, s'il pouvait être procédé au remplacement des salariés désignés par l'union départementale, c'était à la condition que leur mandat ait, d'abord, été révoqué par cette dernière. A partir de là, une nouvelle désignation aurait pu être réalisée par la fédération.

Pour le reste, le processus relève, sans doute, de la discipline syndicale et de la façon dont la Confédération en cause a organisé les rapports entre ses différentes composantes. Cela étant, il semble difficile de reconnaître une quelconque hiérarchie entre une fédération et une union départementale, autrement que par référence aux dispositions statutaires de ces dernières.

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Il convient ici de préciser qu'il existe aussi, plus exceptionnellement, des syndicats de métiers qui peuvent se regrouper en fédérations de métiers.