Cass. soc., 4 avril 2007, n° 06-60.124, M. Vincent Bouaziz, F-P+B (N° Lexbase : A9186DUR)
L'exercice par un salarié de pouvoirs qu'il détient en application d'une délégation écrite d'autorité permettant de l'assimiler au chef d'entreprise l'exclut du droit d'être désigné en qualité de délégué syndical ou de représentant syndical, peu important que la délégation n'ait pas fait l'objet d'une acceptation expresse. |
Commentaire
1. L'incompatibilité entre fonction syndicale et délégation de pouvoir du chef d'entreprise
En rejetant le pourvoi formé contre la décision des juges d'instance annulant la désignation, aux fonctions de délégué syndical et de représentant syndical au comité d'entreprise, d'un salarié titulaire d'une délégation d'autorité permettant de l'assimiler au chef d'entreprise, la Chambre sociale de la Cour de cassation ne fait là que réitérer une solution très classique.
Les textes ne sont pourtant pas très explicites. Ainsi, parmi les conditions exigées pour être désigné délégué syndical, l'article L. 412-14 du Code du travail (N° Lexbase : L6334ACL) ne fait pas figurer celle d'absence de délégation de pouvoir. De la même manière, les articles L. 433-1 (N° Lexbase : L9604GQR) et L. 433-5 (N° Lexbase : L9122HD9) du même code, qui encadrent la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise, restent silencieux quant à cette condition. Seul l'article L. 513-1 II du Code du travail (N° Lexbase : L9618GQB) exclut du collège des salariés aux élections prud'homales ceux qui détiennent une "délégation particulière d'autorité". Mais ce dernier texte ne concerne pas les fonctions syndicales.
Cela n'a pas empêché la Cour de cassation de toujours exclure de tels salariés des fonctions syndicales (1), pour des raisons évidentes d'indépendance du mouvement syndical à l'égard du chef d'entreprise (2). De la même manière, si l'article L. 513-1 ne concernait que les conditions pour être électeur salarié aux élections prud'homales, le principe de l'interdiction du cumul entre institution représentative du personnel et délégation d'autorité du chef d'entreprise a été étendu aux autres mandats électoraux. Ce type de salarié n'est, ainsi, pas éligible aux fonctions de délégué du personnel ou de membre élu du comité d'entreprise (3) ou même à celles de représentant des salariés au conseil d'administration (4).
Si la règle n'est donc visiblement pas nouvelle, les conditions les régissant ne sont pas, à première vue, plus innovantes.
La Chambre sociale reprend une rhétorique classique en la matière. Le salarié ne peut être désigné délégué syndical ou représentant syndical au comité d'entreprise s'il exerce des pouvoirs qu'il détient en application d'une délégation écrite d'autorité permettant de l'assimiler au chef d'entreprise.
La délégation doit être écrite. Cet aspect revêt, tout d'abord, une grande importance d'un point de vue probatoire. Il sera, en effet, plus facile de prouver l'existence de cette délégation si elle est faite par écrit. Mais, c'est surtout d'un point de vue pratique que cette précision avait une grande utilité puisqu'elle permet d'écarter des situations de fait dans lesquelles un salarié exerce des pouvoirs assimilables à ceux du chef d'entreprise sans que la délégation n'ait été officielle. Comme le relevait le Professeur Auzero, une telle mesure a le mérite de la simplicité (5).
La délégation doit, en outre, permettre d'assimiler le salarié au chef d'entreprise. Ce critère a longtemps paru bien plus évasif puisque la notion de chef d'entreprise reste, encore aujourd'hui, bien éthérée. Cependant, l'arrêt de la Chambre sociale du 29 juin 2005 a permis d'éclaircir un peu le débat (6). Ainsi, le salarié doit-il diriger l'activité de l'établissement dont il a l'autorité, il doit avoir autorité sur les services et avoir le pouvoir de recruter du personnel. Comme cela a été justement relevé, il faut donc avoir égard aux pouvoirs de ce salarié bénéficiant de cette délégation d'autorité (7). Quoique l'arrêt ne s'exprime pas sur les qualités de chef d'entreprise que doit recouvrir le salarié pour être privé du droit d'être désigné délégué syndical ou représentant syndical, on peut supposer que ces éléments sont toujours d'actualité.
L'arrêt commenté se présenterait donc comme une simple confirmation de jurisprudence quant à ce type de désignation si, au détour d'une incidente, la Chambre sociale n'avait pas rajouté une formule qui semble receler un certain nombre de questions importantes. En effet, selon elle, il n'importe pas "que la délégation n'ait pas fait l'objet d'une acceptation expresse de l'intéressé". Cette assertion mérite quelques explications.
2. L'acceptation par le salarié de la délégation d'autorité
La Cour de cassation introduit donc une nouvelle précision quant à ces délégations d'autorité, excluant que le salarié puisse exercer des fonctions syndicales : peu importe que cette délégation n'ait pas fait l'objet d'une acceptation expresse de l'intéressé.
Le caractère exprès de l'acceptation ne va pas sans rappeler une terminologie propre au droit des obligations concernant la conclusion du contrat. On sait, en effet, que l'acceptation de l'offre peut être, comme c'est le plus souvent le cas, expresse, mais qu'elle peut également être tacite, voire silencieuse (8). Il n'est donc pas nécessaire, pour la Chambre sociale, que le salarié ait effectué "un acte qui a été spécialement accompli par le destinataire de l'offre en vue de porter son accord à la connaissance de l'auteur de l'offre" (9).
Cette terminologie contractuelle est loin d'être anodine. S'il n'est pas nécessaire que l'acceptation soit expresse, la délégation de pouvoir ne peut alors pas revêtir les caractères d'une modification du contrat de travail du salarié. En effet, on se souvient que, depuis le célèbre arrêt "Raquin" (10), la seule acceptation expresse du salarié permet la modification du contrat de travail (11). La délégation de pouvoir ne serait donc pas une modification du contrat de travail du salarié impliquant son acceptation expresse. Plus probablement, on peut donc estimer que la Chambre sociale opte plutôt pour la théorie du mandat. La délégation d'autorité de la part de l'employeur revêtirait la nature d'un mandat qui, cette fois, pourrait tout à fait être conclu par le jeu d'une acceptation tacite de la part du salarié.
Autrement dit, si l'on ose dire, un mandat chasse l'autre. Le mandat consistant dans la délégation d'autorité existant entre le salarié et l'employeur exclut qu'un "mandat syndical" existe, ce qui paraît finalement assez logique puisque les intérêts représentés sont au mieux divergents, au pire opposés.
La Chambre sociale exigera néanmoins une acceptation tacite, mode de conclusion qui convient plus au mandat qu'à la modification du contrat de travail. Il suffira donc au salarié, qui se sera vu proposer une délégation d'autorité écrite, d'exercer les pouvoirs conférés pour que l'impossibilité d'être désigné ou élu au sein d'une institution représentative du personnel soit active.
Sébastien Tournaux
Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV
Décision
Cass. soc., 4 avril 2007, n° 06-60.124, M. Vincent Bouaziz, F-P+B (N° Lexbase : A9186DUR) Rejet (tribunal d'instance de Paris 12ème, contentieux des élections professionnelles, 27 mars 2007). Textes concernés : C. trav., art. L. 513-1 (N° Lexbase : L9618GQB) Mots-clés : délégué syndical ; représentant syndical ; délégation de pouvoir ; annulation de la désignation. Lien bases : |