[Jurisprudence] Impossibilité de modifier unilatéralement le mode de rémunération convenu par les parties et conséquence sur la rupture du contrat de travail



Soumis aux prescriptions de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), le contrat de travail ne saurait faire l'objet d'une modification unilatérale, que celle-ci soit le fruit de la volonté du salarié ou, plus fréquemment, de l'employeur. La mise en oeuvre de cette règle implique que soient d'abord déterminés les éléments essentiels du contrat de travail, ce qui n'est pas sans poser problème en l'absence de contrat écrit, ou lorsque celui-ci est réduit à sa plus simple expression. Il appartient alors aux juges du fond de scruter la volonté des parties afin de déterminer quels peuvent être ces éléments essentiels, sous le contrôle de la Cour de cassation. L'arrêt rendu le 28 septembre 2004 par cette dernière offre une intéressante illustration de cette démarche conduisant, en l'espèce, à interdire la modification unilatérale par l'employeur du mode de fixation de la rémunération convenu entre les parties (1). Cette modification avait entraîné la "démission" du salarié, qui ne pouvait alors qu'être requalifiée, par un enchaînement de cause à effet aujourd'hui bien connu, en licenciement (2).


Décision

Cass. soc., 28 septembre 2004, n° 02-43.968, Société civile d'exploitation Vignoble Jean Vesselle c/ M. Gilles Boyer, F-P+B sur le premier moyen (N° Lexbase : A4767DDW)

Rejet de CA Reims (ch. soc.), 17 avril 2002.

Texte sollicité : article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC)

Salarié à temps partiel ; lissage de la rémunération ; modification unilatérale par l'employeur ; impossibilité ; prise d'acte de la rupture par le salarié ; imputabilité à l'employeur ; licenciement sans cause réelle et sérieuse.

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Faits

1. Un salarié, embauché le 1er novembre 1990 en qualité d'ouvrier vigneron qualifié à la tâche, rémunéré sur douze mois pour un temps partiel, avait donné sa démission le 22 décembre 1997, avec un préavis d'un mois. Estimant que la rupture était imputable à son employeur, qui s'était abstenu de le rémunérer pendant plusieurs mois, il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de rappel de salaires et de congés payés et de diverses indemnités au titre de la rupture, qu'il demandait de requalifier en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2. L'arrêt attaqué ayant donné satisfaction au salarié, l'employeur a formé un pourvoi en cassation, reprochant aux juges d'appel d'avoir considéré que l'employeur avait à rémunérer intégralement le salarié pendant les mois non travaillés d'une année pendant laquelle celui-ci n'avait que partiellement travaillé, en raison d'arrêts pour maladie. L'employeur reprochait encore à l'arrêt d'appel de l'avoir condamné à payer un mois complémentaire d'indemnités de préavis et les congés payés afférents.

Problème juridique

Un employeur peut-il unilatéralement modifier le mode de fixation de la rémunération convenu entre les parties, en raison de la maladie du salarié ?

Solution

1. Rejet

2. "La cour d'appel, qui a constaté que depuis le début de l'exécution du contrat de travail, la rémunération du salarié avait toujours été calculée sur la base d'une moyenne mensuelle de travail, de sorte que les périodes creuses avaient toujours été payées de la même manière que les périodes d'activité, et que la lettre d'engagement ne prévoyait pas que la maladie du salarié ait une incidence sur le niveau de sa rémunération après reprise de son activité a, abstraction faite du motif surabondant critiqué dans la deuxième branche du moyen, justement décidé que l'employeur ne pouvait, au motif de la maladie du salarié, modifier unilatéralement le mode de fixation de la rémunération convenu entre les parties et devait lui assurer à l'issue de son arrêt de travail la reprise des mensualités antérieurement versées".

3. "Ayant relevé que la rupture s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a justement appliqué la durée de préavis applicable aux licenciements".

Observations

1. L'interdiction de modifier unilatéralement le mode de fixation de la rémunération

  • Mode de rémunération convenu entre les parties

Il ressort des faits de l'arrêt commenté que le salarié dont il était question avait été embauché en qualité d'ouvrier vigneron qualifié à la tâche, rémunéré sur douze mois pour un temps partiel. En d'autres termes, le temps de travail du salarié variait sur l'année, par une alternance de périodes travaillées et non travaillées, tout en restant inférieur à la durée légale du travail, à l'image du temps partiel annualisé (1). Plus précisément, il apparaît que le salarié ne travaillait pas certains mois de l'année.

Dans une telle hypothèse, et de manière évidente, les mois non travaillés ne donnent pas lieu à rémunération. Toutefois, les parties peuvent convenir d'un "lissage" de la rémunération conduisant au versement, chaque mois, d'une rémunération mensualisée, indépendante de l'horaire réellement effectué. Tel était précisément le cas en l'espèce, la Cour de cassation relevant, à la suite des juges du fond, que "depuis le début de l'exécution du contrat de travail, la rémunération du salarié avait toujours été calculée sur la base d'une moyenne mensuelle de travail, de sorte que les périodes creuses avaient toujours été payées de la même manière que les périodes d'activité".

Cette formulation conduit à souligner que si le mode de rémunération n'avait pas, en l'espèce, fait l'objet d'une stipulation écrite (2), il résulte des faits que les parties à la relation de travail s'étaient accordées sur celui-ci. En d'autres termes, le mode de rémunération était un élément du contrat de travail, ce que confirme la Chambre sociale en approuvant les juges d'appel d'avoir décidé que le mode de rémunération avait été "convenu entre les parties". Cette solution démontre, à la fois, le pouvoir de qualification des juges du fond sur les éléments du contrat de travail en l'absence, ou dans le silence de celui-ci, et le contrôle exercé par la Cour de cassation sur cette qualification.

  • Interdiction de modifier unilatéralement le mode de rémunération convenu entre les parties

Il n'est guère besoin de s'étendre sur la règle désormais bien connue selon laquelle l'employeur ne saurait modifier unilatéralement un élément essentiel du contrat de travail (sur cette question, v. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 21ème éd., 2002, pp. 361 et s.). Seul l'accord exprès du salarié peut conduire à la novation du contrat de travail souhaitée et, par suite, proposée par l'employeur. Plus précisément, et pour en revenir à l'arrêt commenté, il est aujourd'hui de jurisprudence constante que "la rémunération contractuelle du salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié, même de manière minime, sans son accord ; il en va de même du mode de rémunération prévu par le contrat" (3) (Cass. soc., 19 mai 1998, n° 96-41.573, M. Di Giovanni c/ Compagnie française des produits naturels, publié N° Lexbase : A2891AC3, Dr. soc. 1998, p. 885, obs. G. Couturier ; Cass. soc., 28 janvier 1998, n° 95-40.275, Société Systia informatique c/ M. Bernard N° Lexbase : A5348AC3, Dr. soc. 1998, p. 523, obs. G. Couturier).

Le mode de fixation de la rémunération ayant été, en l'espèce, qualifié d'élément du contrat de travail, l'employeur ne pouvait en aucune façon le modifier unilatéralement et devait, par suite, assurer au salarié la reprise des mensualités antérieurement versées à l'issue de son arrêt de travail. Il est toutefois important de souligner que, selon la Cour de cassation, il aurait pu en aller autrement si les parties avaient prévu que la maladie du salarié aurait une incidence sur le niveau de sa rémunération après reprise de son activité. C'est ce que paraît signifier la Chambre sociale, en relevant l'absence de stipulation en ce sens dans la lettre d'engagement. En d'autres termes, seule une stipulation contractuelle, entendue ici dans un sens large, aurait autorisé l'employeur à modifier le mode de fixation de la rémunération en raison de la maladie du salarié (sur la validité de ces clauses, dès lors qu'elles ne sont pas purement potestatives, v. Ch. Radé, Les clauses de variation sur la sellette, Lexbase Hebdo n° 126 du jeudi 24 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N2074ABG).

2. Modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur et rupture à l'initiative du salarié

  • Requalification en licenciement

Mettant fin à sa jurisprudence critiquable relative à ce que certains avaient pu, à juste titre, qualifier d'"autolicenciement" (J.-E. Ray, Le droit à l'autolicenciement ?, Liaisons soc., Magazine, janv. 2003, p. 52), la Cour de cassation a décidé, dans plusieurs arrêts rendus le 25 juin 2003, que "lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission" (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679 N° Lexbase : A8977C8Y ; n° 01-42.335 N° Lexbase : A8976C8X ; n° 01-43.578 N° Lexbase : A8978C8Z ; n° 01-41.150 N° Lexbase : A8975C8W ; n° 01-40.235 N° Lexbase : A8974C8U, voir Christophe Radé, "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 101 du mercredi 31 décembre 2003 - édition Lettre juridique N° Lexbase : N9951AAS ; Dr. soc. 2003, p. 817, obs. G. Couturier et J.-E. Ray).

On doit relever que, dans l'espèce commentée, le salarié n'avait pas véritablement pris acte de la rupture de son contrat de travail. Il avait plus classiquement démissionné, respectant même un préavis d'un mois. Ainsi, la volonté du salarié de démissionner était non équivoque. Mais encore faut-il qu'elle soit libre (4). Or, on sait que tel n'est pas le cas lorsque le salarié décide de rompre le contrat de travail parce que l'employeur ne lui paie pas les salaires dus (Cass. soc., 22 septembre 1993, n° 92-41.441, M. Quedec, publié N° Lexbase : A3990ACR) ou lui impose unilatéralement une modification du contrat de travail (Cass. soc., 10 avril 1991, n° 87-45.079, M. Petit c/ Société Montages techniques et travaux N° Lexbase : A9157AAE). En d'autres termes, il ne saurait y avoir de démission lorsqu'elle est la conséquence d'un comportement fautif de l'employeur. Dans semblable hypothèse, la démission doit être requalifiée en licenciement, licenciement qui sera lui-même dénué de cause réelle et sérieuse, ne serait-ce qu'en raison de l'absence de lettre de notification.

Par suite, on ne peut qu'approuver les juges du fond d'avoir, en l'espèce, requalifié la démission du salarié en licenciement, en raison de la faute de l'employeur qui, modifiant unilatéralement le contrat de travail du salarié, ne lui avait pas versé les salaires qu'il lui devait.

  • Conséquences de la requalification

Dès lors que la démission fait l'objet d'une requalification en licenciement, voire en licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'employeur sera tenu de verser au salarié toutes les indemnités liées à une telle qualification. Celui-ci pourra, dès lors, prétendre aux indemnités de rupture et de licenciement sans cause réelle et sérieuse. En outre, et ainsi que l'a décidé la cour d'appel en l'espèce, justement approuvée d'ailleurs par la Cour de cassation, devra être appliquée la durée de préavis relative aux licenciements. Ce qui contraindra l'employeur à verser au salarié l'indemnité de préavis que celui-ci n'aura pu effectuer par sa faute.

Si la solution peut apparaître sévère, elle n'est que la conséquence mécanique de la requalification, qui n'est elle-même que le résultat du comportement fautif de l'employeur ; solution sévère, certes, mais juste. On peut, en outre, noter que la requalification pourra avoir des effets encore plus dévastateurs si le salarié ayant "démissionné" était représentant du personnel. Dans ce cas, en effet, l'employeur devra encore réparer la violation du statut protecteur du salarié pour n'avoir pas, par hypothèse, requis une quelconque autorisation de rupture du contrat de travail auprès de l'inspecteur du travail (v. en ce sens, mais à propos d'une rupture à l'initiative du salarié : Cass. soc., 21 janvier 2003, n° 00-44.502, FS-P+B+R N° Lexbase : A7345A4SAdde notre chron., Autolicenciement d'un salarié protégé : réflexions autour de la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Lexbase Hebdo n° 57 du jeudi 6 février 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5763AAP).

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Il convient de préciser que le régime dit du "temps partiel annualisé" a été abrogé par la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 (N° Lexbase : L0988AH3) qui l'a remplacé par celui du temps partiel modulé. Mais les contrats en cours d'exécution sont maintenus en vigueur.

(2) On peut même se demander si un contrat écrit avait été établi, la Cour de cassation se référant par ailleurs à la lettre d'engagement du salarié.

(3) Souligné par nous.

(4) Sur la notion de démission, v. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, ouvrage préc., §. 374.