Décision
Cass. soc., 16 juin 2004, n° 01-43.124, Société Les Biscottes Roger c/ M. Jean Dailliez, FS-P (N° Lexbase : A7322DC8) Rejet (CA Nîmes, ch. Soc., 27 mars 2001) Textes visés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Clause de variation ; nullité ; modification du contrat de travail ; résolution judiciaire aux torts de l'employeur Liens base : |
Faits
1. Un salarié avait été engagé en qualité de représentant exclusif par la société Les Biscottes Roger par contrat du 2 décembre 1971. Son contrat de travail contenait une clause qui réservait à la société le droit de modifier le secteur du salarié et la possibilité de consentir directement des fournitures aux nouvelles formes de distribution de masse. Le 23 janvier 1998, il a saisi le conseil de prud'hommes afin qu'il prononce la rupture judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur. Il a été mis à la retraite par lettre du 18 décembre 1998. 2. La cour d'appel de Nîmes a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts et l'a condamné au versement de diverses sommes à ce titre, après avoir constaté que la clause qui réservait à la société le droit de modifier le secteur du salarié et la possibilité de consentir directement des fournitures aux nouvelles formes de distribution de masse avait eu, lors de sa mise en oeuvre, une incidence sur la rémunération du salarié. Elle en a exactement décidé que le contrat de travail avait été unilatéralement modifié par l'employeur. |
Problème juridique
La clause par laquelle l'employeur se réserve le droit de modifier le secteur du salarié, et la possibilité de consentir directement des fournitures aux nouvelles formes de distribution de masse, peut-elle valablement entraîner, lors de sa mise en oeuvre, une modification de la rémunération contractuelle du salarié ? |
Solution
1. Rejet 2. "Une clause du contrat de travail ne peut permettre à l'employeur de modifier unilatéralement la rémunération contractuelle du salarié". 3. "La cour d'appel, qui a constaté que la clause qui réservait à la société le droit de modifier le secteur du salarié, et la possibilité de consentir directement des fournitures aux nouvelles formes de distribution de masse, avait eu, lors de sa mise en oeuvre, une incidence sur la rémunération du salarié, a exactement décidé que le contrat de travail avait été unilatéralement modifié par l'employeur". |
Commentaire
1. La portée limitée des clauses de variation
La Cour de cassation a élaboré, depuis l'arrêt Raquin rendu en 1987 (Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, M. Raquin et autre c/ Société anonyme Jacques Marchand, publié N° Lexbase : A1981ABY Dr. ouvrier 1988, p. 259, note P. Tillie ; Dr. soc. 1988, p. 140, note J. Savatier ; D. 1988, jur. p. 58, note Y. Saint-Jours), le régime prétorien de la modification du contrat de travail. La pratique a réagi très tôt et tenté de redonner à l'employeur, grâce à des clauses contractuelles l'autorisant à modifier unilatéralement le contrat de travail, le pouvoir que la jurisprudence s'était efforcée de lui retirer. En 2001, la Chambre sociale de la Cour de cassation a affirmé que de telles clauses étaient nulles comme contraires au droit reconnu au salarié, sur le fondement de l'article 1134, alinéa 2, du Code civil, et d'ordre public, de refuser les modifications de son contrat de travail (Cass. soc., 27 février 2001, n° 99-40.219, Groupe des assurances nationales (Gan Vie) c/ M. Rouillot, publié N° Lexbase : A0505ATU Dr . soc. 2001, p. 514, chron. Ch. Radé). La clause n'est donc pas opposable au salarié qui peut valablement refuser la modification de son contrat de travail (Cass. soc., 18 décembre 2001, n° 98-46.160, FS-P N° Lexbase : A7125AX8 : clause autorisant le passage d'un travail de jour à un travail de nuit).
La technique contractuelle n'est pas totalement paralysée par cette prohibition. La jurisprudence admet en effet la validité des clauses qui font varier certains éléments du contrat, à condition toutefois que leur mise en oeuvre dépende d'éléments objectifs étrangers à la seule volonté de l'employeur. C'est ainsi que les clauses de mobilité sont valables, dès lors qu'elles répondent à la double exigence de nécessité et de proportionnalité de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI) (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 96-40.755, M. Spileers c/ Société Omni Pac, publié N° Lexbase : A4618AG7 Dr. soc. 1999, p. 287, obs. J.-E. Ray ; RJS 1999, pp. 9497, chron. J. Richard de la Tour ; D. 1999, p. 645, note J.- Marguénaud et J. Mouly), et que leur mise en oeuvre se réalise conformément à l'intérêt de l'entreprise (Cass. soc., 23 janvier 2002, n° 99-44.845, F-D N° Lexbase : A8169AXT ; Cass. soc., 2 juillet 2002, n° 00-13.111, M. Robert Saucier c/ Société Fiduciaire juridique et fiscale de France (FIDAL), FS, publié N° Lexbase : A0669AZS Dr. soc. 2002, p. 998, obs. Ch. Radé, "une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération du salarié dès lors qu'elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur, ne fait pas porter le risque d'entreprise sur le salarié et n'a pas pour effet de réduire la rémunération en-dessous des minima légaux et conventionnels"). En matière de rémunération, également, le contrat de travail peut prévoir l'existence de primes de rentabilité dont le montant sera fixé par l'employeur en fonction de variables déterminées à l'avance et objectives (Cass. soc., 8 janvier 2002, n° 99-44.467, FS-P N° Lexbase : A7796AXZ Dr. soc. 2002, p. 358, obs. Ch. Radé ; Cass. soc., 2 juillet 2002, n° 00-13.111, précité).
Cet arrêt, rendu le 16 juin 2004, confirme le principe de la prohibition des clauses de variation purement potestatives. Dans cette affaire, le contrat de travail du salarié contenait une clause qui réservait à l'employeur "le droit, dans le cas où l'évolution des modes de distribution lui en imposerait l'obligation, de consentir directement des fournitures aux magasins hypermarchés, grandes surfaces, chaînes coopératives ou toute autre organisation commerciale orientée vers la distribution de masse". La validité de cette clause n'était pas directement contestée par le salarié. Il prétendait simplement que sa mise en oeuvre ne pouvait se traduire par une baisse de sa rémunération contractuelle. Or, la Cour de cassation, faisant sienne l'interprétation des juges du fond, lui donne raison. Selon la Haute juridiction, en effet, "une clause du contrat de travail ne peut permettre à l'employeur de modifier unilatéralement la rémunération contractuelle du salarié". La solution semble donc conforme à la jurisprudence en vigueur même si, en l'espèce, on pouvait douter de l'affirmation puisque la clause litigieuse ne concernait pas directement la rémunération du salarié. Ce que conteste la Cour est donc l'effet induit de la clause sur la rémunération. Sont donc interdites les clauses qui ont pour objet ou pour effet d'entraîner une modification unilatérale de la rémunération du salarié. Cette solution n'est pas à proprement parler nouvelle. S'agissant, par exemple, des clauses de mobilité, la jurisprudence considère que leur mise en oeuvre ne peut se traduire que par une modification du lieu d'exécution du contrat de travail. Si la mobilité s'accompagne de la modification d'un autre élément essentiel du contrat de travail, comme l'identité de l'employeur (Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-44.410, M. Marie c/ Société Davigel, publié N° Lexbase : A6371AG3), la qualification ou la rémunération du salarié, alors ce dernier sera en droit de s'y opposer. C'est exactement ce qui se passe dans cette affaire. L'employeur peut, en application de la clause contractuelle, "modifier le secteur d'activité et la possibilité de consentir directement des fournitures aux nouvelles formes de distribution de masse", mais à la condition, toutefois, que ces modifications ne se traduisent pas par une modification de la rémunération contractuelle du salarié. La solution est logique. Le principe désormais admis est que le salarié a le droit de s'opposer à toute modification de son contrat de travail. L'exception résulte de la présence, dans le contrat de travail, d'une clause de variation répondant aux conditions que nous avons évoquées. Or, l'exception doit s'interpréter strictement. L'employeur ne peut donc pas s'appuyer sur une clause ayant un objet précis pour modifier, par ricochet, d'autres éléments du contrat. 2. La résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur comme sanction de la modification du contrat de travail
Dans cette affaire, le salarié contestait la modification de sa rémunération contractuelle consécutive à la mise en oeuvre de la clause de variation et avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, qui lui avait été accordée, avec la bénédiction de la Cour de cassation. La résiliation judiciaire du contrat de travail à la demande d'un salarié n'est pas une nouveauté et continue d'être régulièrement admise (Cass. soc., 15 janvier 2003, n° 00-44.799, F-D N° Lexbase : A6864A4Y Ch. Radé, La résolution judiciaire du contrat de travail peut-elle être prononcée à la demande du salarié et aux torts de l'employeur ?, Lexbase Hebdo n° 56 du jeudi 30 janvier 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5702AAG).
Cette admission est doublement contestable. En premier lieu, elle crée une différence de traitement entre les employeurs qui ne disposent pas de ce droit, à moins que la loi ne le permette expressément (Cass. soc., 13 mars 2001, n° 98-46.411, Mulin c/ Société MFI Créations, publié N° Lexbase : A0103ATY Dr. soc. 2001, p. 624, chron. Ch. Radé). Cette inégalité est d'autant plus surprenante que l'argument retenu pour justifier l'irrecevabilité de la demande émanant de l'employeur devrait logiquement valoir aussi pour le salarié. Si, en effet, comme l'affirme désormais la Chambre sociale de la Cour de cassation, "l'employeur, qui dispose du droit de résilier unilatéralement un contrat de travail à durée indéterminée par la voie du licenciement en respectant les garanties légales, n'est pas recevable, hors les cas où la loi en dispose autrement, à demander la résiliation judiciaire dudit contrat", pourquoi le salarié le pourrait-il ? La question est d'autant plus pertinente que la Cour de cassation considère qu'en présence d'un manquement avéré de l'employeur à ses obligations légales ou contractuelles, le salarié est en droit de saisir la juridiction prud'homale d'une demande visant à faire constater l'existence d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ouvrant droit aux indemnités afférentes à cette qualification (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP+P+B+R+I N° Lexbase : A8977C8Y Dr. soc. 2003, p. 814, avis. P. Lyon-Caen, p. 817, chron. G. Couturier et J.-E. Ray ; Dr. soc. 2004, p. 90, chron. J. Mouly ; JCP G 2003, II, 10138, note E. Mazuyer ; RJS 2003, p. 647, Chron. J.-Y. Frouin ; Ch. Radé, "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison ! Lexbase Hebdo n° 78 du jeudi 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9951AAS). Certes, la Cour de cassation considère que la résolution judiciaire, lorsqu'elle est prononcée aux torts de l'employeur, produit également les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de telle sorte que le recours à ce mode de rupture du contrat de travail issu du Code civil ne lèse pas le salarié dans ses droits (Cass. soc., 20 janvier 1998, n° 95-43.350, M. Leudière c/ Société Trouillard, publié N° Lexbase : A4150AAX D. 1998, jur. p. 350, note Ch. Radé). Mais alors, si la résolution judiciaire prononcée aux torts de l'employeur produit les mêmes effets qu'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, pourquoi continuer à admettre formellement le recours à l'article 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA) que le Code du travail n'a pas entendu consacrer d'une manière générale, et ne pas systématiquement qualifier la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse ? |