[Jurisprudence] La résolution judiciaire du contrat de travail peut-elle être prononcée à la demande du salarié et aux torts de l'employeur ?

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Alors qu'on la croyait légitimement morte et enterrée, la résolution judiciaire du contrat de travail pourrait bien avoir, contre toute attente, survécu, tout au moins lorsqu'elle est demandée par un salarié et prononcée aux torts de l'employeur. C'est ce qui semble en effet ressortir d'un arrêt rendu le 15 janvier dernier par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Dans cette affaire, un salarié avait été embauché en 1976 et occupait des fonctions de directeur général adjoint, avant d'être licencié pour faute grave. Il avait saisi le juge prud'homal de demandes tendant à faire constater la nullité de ce licenciement et prononcer la résiliation de son contrat, aux torts de son employeur. La cour d'appel lui a donné raison et le pourvoi formé contre l'arrêt se trouve ici rejeté, la Cour de cassation ayant indiqué que "la cour d'appel a relevé à la seule charge de la société Georges Monin un ensemble de manquements à ses obligations dont elle a pu déduire que la résiliation du contrat de travail devait être prononcée à ses torts".

A première vue, l'arrêt ne présente pas grand intérêt et ne sera d'ailleurs même pas publié au bulletin. Il mérite pourtant d'être signalé dans la mesure où la Chambre sociale de la Cour entérine ici une hypothèse de résolution judiciaire du contrat de travail prononcée à la demande du salarié et aux torts de l'employeur, ce qui pourrait surprendre compte tenu des décisions rendues par la Cour de cassation depuis 2001 (I). Une telle solution nous paraît non seulement inutile mais de surcroît extrêmement critiquable sur un plan strictement juridique (II).

I - L'admission de la résolution judiciaire du contrat de travail demandée par le salarié et prononcée aux torts de l'employeur

On sait depuis les arrêts Perrier rendus en 1974 que la résolution judiciaire du contrat de travail des salariés protégés ne peut être demandée par l'employeur dans la mesure où elle aboutirait nécessairement à priver ces salariés de la protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun que leur confère leur statut (Cass. chbre mixte, 21 juin 1974 ; Perrier : D. 1974, p. 593, concl. A. TOUFFAIT N° Lexbase : A6851AGT ).

Progressivement, la mise à l'écart de la résiliation judiciaire du contrat de travail demandée par l'employeur s'est étendue à d'autres hypothèses : faute disciplinaire du salarié (Cass. soc., 9 mars 1999 ; Grignon s/ Sauvage et a. : D. 1999, p. 365, note Ch. Radé N° Lexbase : A4606AGP ; JCP E 1999, jur. p. 1200, note J. Mouly : " Il appartient à l'employeur, s'il estime que le salarié ne respecte pas ses obligations, d'user de son pouvoir disciplinaire et de prononcer le licenciement de l'intéressé "), résolution anticipée du contrat de travail à durée déterminée (Cass. Soc., 22 févr. 2000, Hézard : Dr. Soc. 2000, p. 441, obs. J. Mouly N° Lexbase : A8158AGA), qu'il s'agisse d'ailleurs du contrat de droit commun ou du contrat de qualification (Cass. soc., 15 juin 1999, Sté Tartatou N° Lexbase : A4814AGE - Cass. soc. 4 déc. 2001 ; N° Lexbase : A5809AXG), ou encore du salarié dont le contrat est suspendu en raison d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle (Cass. soc., 13 mars 2001 ; Mulin c/ Sté MFI Créations : Dr. Soc. 2001, p. 624, chron. Ch. Radé N° Lexbase : A0103ATY).

Dans toutes ces hypothèses, la demande de résolution judiciaire émanait de l'employeur qui espérait ainsi faire l'économie d'un licenciement, des procédures associées à cette qualification et des indemnités liées à ce mode de rupture. Dans le dernier arrêt rendu en 2001 (Cass. soc., 13 mars 2001 : préc.), la Cour avait fourni la clef de l'analyse en indiquant que "l'employeur, qui dispose du droit de résilier unilatéralement un contrat de travail à durée indéterminée par la voie du licenciement, en respectant les garanties légales, n'est pas recevable, hors les cas où la loi en dispose autrement, à demander la résiliation judiciaire dudit contrat".

On pouvait légitimement s'interroger sur le sort de la résolution judiciaire du contrat de travail lorsque la demande émane du salarié. Dans une décision rendue en 1998, la Cour de cassation en avait admis le principe mais avait considéré que cette résolution, prononcée aux torts de l'employeur, "produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse" (Cass. soc., 20 janv. 1998 ; Leudière : D. 1998, p. 350, note Ch. Radé N° Lexbase : A4150AAX). En d'autres termes, la procédure de la résolution judiciaire doit être respectée mais les juges attribueront au salarié les indemnités normalement dues en cas de licenciement.

Compte tenu de l'exclusion, sauf autorisation expresse du législateur, de la résolution judiciaire à l'initiative de l'employeur (Cass. soc., 13 mars 2001 : préc.), il était intéressant d'examiner les décisions rendues par la Cour de cassation en la matière.

Or, en rejetant le pourvoi, dans cet arrêt rendu le 15 janvier 2003, sans autre forme d'explication ni même procéder à une quelconque substitution de motif, la Cour de cassation donne nécessairement son aval à l'arrêt par lequel une cour d'appel prononce la résolution judiciaire du contrat de travail à la demande du salarié et aux torts de l'employeur. Cette solution mérite quelques explications et, selon nous, quelques critiques.

II - La reconnaissance critiquable de la résolution judiciaire du contrat de travail demandée par le salarié et prononcée aux torts de l'employeur

On sait que les juridictions du fond continuent à admettre assez largement le recours à la résolution judiciaire du contrat de travail, soit lorsque celle-ci est demandée par l'employeur (CA Pau, Ch. Soc., 26 août 1999 ; Larre c/ Ets Devimieux : CJA 2000 , n° 5544), soit lorsque cette demande émane du salarié (ainsi CA Orléans, 04-10-2001, n° 00/01378, Monsieur Bellard c/ Entreprise Girardeau).

Il est vrai que si le recours à la résolution judiciaire par l'employeur menace directement les droits que le salarié tient de la qualification de licenciement, il en va différemment lorsque la demande émane d'un salarié. Ce dernier peut en effet avoir intérêt à ne pas démissionner et à demander au conseil de prud'hommes de statuer sur la résolution de son contrat de travail aux torts de l'employeur. Certes, la coexistence des parties pendant la phase judiciaire risque de ne pas se dérouler dans la meilleure ambiance qui soit, mais on notera que ce type de demande émane souvent de salariés ne travaillant pas au sein d'un établissement (VRP, commerciaux, etc.) et qui se plaignent d'une modification de leur contrat de travail imposée par leur employeur. Dans ces conditions, ils ne risquent rien à saisir le juge d'une demande de résolution car, si ce dernier estime que l'employeur n'a pas commis de faute, il déboutera simplement le salarié qui reprendra alors le cours normal de l'exécution de son contrat de travail. Si, au contraire, le conseil considère que l'employeur a des torts suffisants pour justifier la rupture du contrat, il rompra alors le contrat et octroiera au salarié des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, puisque telle semble être l'analyse de la Cour de cassation depuis 1998 (Cass. soc., 20 janv. 1998 ; Leudière : préc.).

Si nous comprenons tout l'intérêt pour le salarié de ne pas démissionner et d'attendre la décision du conseil de prud'hommes, nous voudrions souligner ici que cette analyse est doublement critiquable.

L'admission même de la résolution judiciaire comme mode de rupture du contrat de travail est tout d'abord très fortement contestable. On sait en effet que le Code civil n'avait pas, en 1804, retenu ce mode de rupture pour le contrat de louage de service et lui avait préféré la résolution unilatérale, plus rapide et efficace (C . civ., art. 1880 N° Lexbase : L2097ABB). On sait également que depuis 2001, la Cour de cassation interdit à l'employeur de demander la résolution judiciaire du contrat de travail en dehors des hypothèses où la loi l'y autorise, et ce dans la mesure où il dispose du mode de rupture institutionnel qu'est le licenciement (Cass. soc., 13 mars 2001 : préc.). Il n'y a alors aucune raison de raisonner différemment pour le salarié. Ce dernier dispose également d'un mode de rupture institutionnel du contrat de travail, la démission, et de cette qualification dépend l'application d'un régime, certes simplifié en comparaison du droit du licenciement. Le salarié devra en effet un préavis à l'employeur (C. trav., art. L. 122-5 N° Lexbase : L5555ACQ) et ne bénéficiera en principe pas de l'assurance-chômage. Pourquoi, dans ces conditions, interdire à l'employeur le recours à une technique, au nom de l'autonomie du droit du travail, et ne pas l'interdire au salarié ?

Les conséquences que la jurisprudence attache au prononcé de la résolution judiciaire aux torts de l'employeur nous paraissent également contestables. En affirmant que "la résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse" (Cass. soc., 20 janv. 1998 ; Leudière : préc.), la Cour de cassation mélange en effet deux techniques pourtant bien distinctes. En effet, soit il s'agit d'une résolution judiciaire, et donc pas d'un licenciement, et le juge accorde au salarié une indemnité dans les conditions prévues à l'article 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA), soit il s'agit d'un licenciement et il est inutile de faire référence à la résolution judiciaire comme mode de rupture. En associant la résolution comme mode de rupture et le licenciement comme mode d'indemnisation, la Cour de cassation permet au salarié de jouer sur deux tableaux différents, au mépris de l'orthodoxie juridique.

Nous pensons que le recours même à la résolution judiciaire doit être proscrit toutes les fois que le Code du travail n'a pas consacré cette technique comme mode de rupture du contrat de travail, comme c'est aujourd'hui le cas pour le contrat d'apprentissage (C. trav., art. L. 117-17 N° Lexbase : L5410ACD) et le contrat de travail à durée déterminée en cas d'impossibilité pour l'employeur de procéder au reclassement du salarié inapte à reprendre son emploi à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle (C. trav., art. L. 122-32-9 N° Lexbase : L5527ACP). Le salarié qui souhaite rompre son contrat de travail doit démissionner ou, s'il considère que l'employeur doit être reconnu responsable de la rupture, saisir le conseil de prud'hommes qui déterminera si la rupture du contrat de travail doit s'analyser comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 4 déc. 2001, n° 99-46.364 N° Lexbase : A5809AXG ; M. Wissam Bayeyh c/ Mlle Maud Baldacchino N° Lexbase : A5809AXG).