[Jurisprudence] La nouvelle définition de l'établissement distinct

par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

La notion d'établissement est une notion relative à un double titre. En premier lieu, il s'agit d'une notion fonctionnelle et, partant, dépendante de l'institution à mettre en place. L'appréciation de l'existence d'un établissement distinct sera différente et indépendante selon qu'il s'agit de procéder à l'élection d'un délégué du personnel ou à la désignation d'un délégué syndical. La relativité de cette notion provient en second lieu des évolutions et modifications qu'elle subit dans le temps. La définition désormais de droit positif a à peine plus d'une année.

Par une décision en date du 29 janvier 2003, la Cour de cassation vient confirmer la définition nouvelle de l'établissement distinct. Elle retient désormais trois critères : un seuil qui, pour la mise en place de délégués du personnel, doit être d'au moins 11 salariés ; ces salariés doivent constituer une communauté de travail avec des intérêts propres et susceptibles de formuler des revendications. Enfin, ils doivent effectuer leur travail sous la direction d'un représentant de l'employeur, quelle que soit la délégation de pouvoir qu'il a reçue. Plus intéressant est le fait que la Cour de cassation profite de cette décision pour rappeler expressément qu'il s'agit toujours d'une notion fonctionnelle donc relative.

L'appréciation de l'existence d'un établissement est variable et oscille entre une notion purement fonctionnelle et une définition unique et précise. Cette relativité est temporelle mais également juridictionnelle. Le Conseil d'Etat qui est parfois amené à connaître de l'existence d'un établissement distinct a dégagé des critères précis d'indépendance (CE, 26 nov. 2001 : RJS 3/02, n° 298 N° Lexbase : A6109AXK - CE, 7 juin 1985 : Dr. soc. 1985, p. 500). La Cour de cassation, quant à elle, ne semble pas vouloir ou pouvoir parvenir à dégager une définition stricte.

Dans un premier temps, la Haute juridiction avait opté pour une définition unique de l'établissement distinct (Cass. civ. 2, 22 juill. 1968 ; Citroën : Dr. soc. 1969, p. 49). Elle a ensuite choisi une approche fonctionnelle de cette notion qui variait en fonction de l'institution à mettre en oeuvre (Cass. soc., 15 janv. 1970 : JCP G 1970 II 16315, note G. Lyon-caen N° Lexbase : A6587AG3).

Il n'existait au départ aucun critère déterminant de la qualification d'établissement distinct (Cass. soc., 25 fév. 1982 : D. 1983, IR p. 203). Les juges du fond décidaient souverainement de l'opportunité d'une telle qualification.

Il en va désormais différemment. La Cour de cassation retient trois critères : un seuil variable en fonction de l'institution, une communauté de travailleurs travaillant sous une direction unique et la présence d'un représentant de l'employeur. Ce dernier critère a récemment subi une évolution. Pendant longtemps, il appartenait aux juges du fond de rechercher si le représentant de l'employeur était qualifié (Cass. soc., 18 déc. 2000 : RJS 3/01, n° 313 N° Lexbase : A2087AI7). En ce sens, ils devaient apprécier s'il avait reçu de la part de son supérieur suffisamment de pouvoir pour être à même de répondre aux attentes des diverses IRP. Elle exigeait ainsi en présence de délégués du personnel que le représentant de l'employeur puisse répondre aux réclamations (Cass. soc., 10 oct. 1990 : Dr. soc. 1990, 40, note J. Savatier N° Lexbase : A3690AAW  - Cass. soc. 18 juill. 2000 : RJS 2001, n° 313) ou aux revendications pour la désignation de délégués syndicaux (Cass. soc, 18 juill. 2000 : Bull. civ. V, n° 302) et y faire droit le cas échéant.

Le critère de l'importance de la délégation de pouvoir a subi petit à petit des assouplissements (en l'absence de compétence pour répondre directement aux réclamations, le représentant de l'employeur devait être compétent pour les faire suivre) pour récemment disparaître (Cass. soc., 2 oct. 2001 : Dr. soc. 2001, p. 1129, obs. J. Savatier N° Lexbase : A1428AWS - Cass. soc., 6 mars 2002 : RJS 7/02, n° 844 N° Lexbase : A1873AYZ). Seule désormais est exigée la présence d'un représentant de l'employeur indépendamment des pouvoirs qu'il a pu recevoir.

C'est cette nouvelle approche de l'établissement distinct dont vient faire application la Cour de cassation dans l'arrêt du 29 janvier 2003. Aux juges du fond qui s'étaient fondés sur la définition ancienne et partant avaient recherché la présence de pouvoirs du représentant de l'employeur, elle rappelle que la nouvelle définition est indépendante des pouvoirs accordés au représentant de l'employeur.

En l'espèce, le syndicat FO avait demandé à ce que soient reconnus quatre établissements distincts pour les élections des délégués du personnel. Le tribunal d'instance avait rejeté cette demande au motif que les directeurs des centres ne détenaient pas de pouvoirs propres.

Cette décision est cassée par la Cour de cassation. La Haute juridiction confirme que la qualification d'établissement distinct pour la mise en place de délégués du personnel dépend de la réunion d'au moins 11 salariés constituant une communauté de travail ayant des intérêts communs et travaillant sous la direction d'un représentant de l'employeur. Elle rappelle en revanche aux juges du fond que l'étendue des pouvoirs du représentant de l'employeur n'est plus déterminante de la qualification d'établissement distinct.

Cette décision confirme les arrêts les plus récents rendus en la matière mais va plus loin. Elle permet à la Cour de cassation de rappeler son attachement à une approche fonctionnelle de la notion d'établissement distinct. Elle précise en effet dans l'attendu de principe que "la communauté de travail doit être susceptible de générer des réclamations communes et spécifiques". Cette référence aux réclamations qui constituent les pouvoirs propres des délégués du personnel permet de lever tous les doutes sur un éventuel retour à l'unité de la notion.

Eu égard aux arrêts antérieurs, on aurait en effet pu s'attendre au retour à une définition unique de la notion d'établissement distinct. Dans un arrêt antérieur du 2 octobre 2001, elle semblait avoir abandonné toute référence aux pouvoirs propres à chaque institution (précité). En l'espèce, il était question de la reconnaissance d'un établissement distinct pour la mise en place de délégués syndicaux. La préservation d'une approche fonctionnelle aurait voulu que les juges fassent référence aux revendications qui font partie de leurs pouvoirs. Or, dans cette espèce, la seule référence propre à cette institution portait sur le seuil d'effectif d'au moins 50 salariés.

On ne peut toutefois que s'interroger sur le bien-fondé de cette précision. Il est en effet quelque peu artificiel d'attacher le terme de réclamation au groupe de 11 salariés et celui de revendications à celui de 50 salariés. Il semble de ce point de vue que le caractère fonctionnel de cette notion malgré les efforts de la Haute juridiction ne tienne plus qu'au seuil d'effectif. On induit de la présence de tel ou tel seuil d'effectif que les salariés en cause ont des revendications ou des réclamations communes.

Il apparaît en effet que la référence aux pouvoirs de chaque institution n'ait aucune incidence. Comment le juge peut-il vérifier que les salariés ont des réclamations communes ? Ne peut-on pas d'un autre côté se trouver en présence d'une communauté de travail d'un effectif moindre et ayant les mêmes prétentions ? Il est désormais temps de choisir entre une définition fonctionnelle et une définition unique. Il semble que sous couvert de fonctionnalité, la Cour de cassation impose aux juges du fond une définition unique de la notion d'établissement distinct, la seule variable étant le seuil d'effectif.

Une clarification s'impose donc.