Décision
Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.412, Société ACME Protection c/ Mme Francine Lefebvre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8545DIC) Rejet (CA Versailles, 17ème chambre sociale, 24 avril 2003) Textes concernés : CSP, art. 3511-1 (N° Lexbase : L2799DKU) ; CSP, art. R. 3511-4 (N° Lexbase : L2796DKR) ; CSP, art. R. 3511-5 (N° Lexbase : L2795DKQ) Mots-clefs : prise d'acte de la rupture par le salarié ; non-respect de l'interdiction absolue de fumer ; faute de l'employeur. Liens bases : ; . |
Résumé
L'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme dans l'entreprise. Dès lors qu'il n'a pas satisfait aux exigences imposées par les textes en la matière, les griefs invoqués par le salarié à l'appui de sa prise d'acte justifient la rupture du contrat de travail, de sorte qu'elle produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. |
Faits
Mme Lefebvre a été engagée le 7 avril 1999 par la société ACME Protection. Par courrier du 20 septembre 2000, elle a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur, en lui reprochant de n'avoir pas prescrit d'interdiction générale et absolue de fumer dans le bureau à usage collectif qu'elle occupait. Elle a alors saisi la juridiction prud'homale pour obtenir le paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans un arrêt du 24 avril 2003, la cour d'appel de Versailles a accueilli sa demande et a, notamment, condamné l'employeur à lui payer la somme de 3 430,11 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif. |
Solution
1. Rejet 2. "Selon l'article 1er du décret n° 92-478 du 29 mai 1992, devenu l'article R. 3511-1 du Code de la santé publique, l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif s'applique dans tous les lieux fermés et couverts qui constituent les lieux de travail [...]" ; "En application de l'article 4 dudit décret, devenu les articles R. 3511-4 et R. 3511-5 du Code de la santé publique, dans les établissements mentionnés aux articles L. 231-1 et L. 231-1-1 du Code du travail, il appartient à l'employeur qui entendrait déroger à cette interdiction dans les locaux de travail autres que ceux affectés à l'ensemble des salariés, tels les bureaux à usage collectif, d'établir, après consultation du médecin du travail, du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, un plan d'organisation ou d'aménagement destiné à assurer la protection des non-fumeurs [...]" ; "La cour d'appel a relevé que l'employeur, malgré les réclamations de la salariée, s'était borné à interdire aux autres salariés de fumer en sa présence et à apposer des panneaux d'interdiction de fumer dans le bureau à usage collectif qu'elle occupait [...]" ; "Elle en a exactement déduit que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme dans l'entreprise, n'avait pas satisfait aux exigences imposées par les textes précités et a, en conséquence, décidé que les griefs invoqués par la salariée à l'appui de sa prise d'acte justifiaient la rupture du contrat de travail, de sorte qu'elle produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse". |
Commentaire
1. L'obligation de sécurité de résultat de l'employeur en matière de tabagisme Selon l'article R. 3511-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L2799DKU), il est interdit de fumer dans "tous les lieux fermés et couverts accueillant du public ou qui constituent des lieux de travail". Mais, la réglementation réserve le cas des locaux autres que ceux mentionnés à l'article R. 3511-4 (N° Lexbase : L2796DKR), c'est-à-dire "autres que ceux affectés à l'ensemble des salariés". L'hypothèse recouvre notamment les lieux clos et couverts comme "les bureaux à usage collectif", dans lesquels l'employeur peut assouplir l'interdiction. Mais, en application de l'article R. 3511-5 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L2795DKQ), il ne peut le faire que s'il établit, après consultation du médecin du travail, du CHSCT ou, à défaut, des délégués du personnel, "un plan d'organisation ou d'aménagement destiné à assurer la protection des non-fumeurs". En l'espèce, l'employeur, "malgré les réclamations de la salariée, s'était borné à interdire aux autres salariés de fumer en sa présence et à apposer des panneaux d'interdiction de fumer dans le bureau à usage collectif qu'elle occupait". Il est certain que l'employeur n'avait pas respecté l'intégralité de ses obligations légales puisqu'il n'avait procédé à aucune des consultations obligatoires prévues par la réglementation. Il pouvait cependant se prévaloir des mesures d'interdiction qu'il avait adoptées. Ces mesures, si elles avaient été respectées, étaient de nature à assurer la protection de Mme Lefebvre, puisqu'il était purement et simplement interdit de fumer dans le bureau qu'occupait cette salariée non fumeuse. Il semble, pourtant, que l'interdiction (qui avait été signifiée par des panneaux et par une information de chaque salarié concerné) n'avait pas eu l'effet escompté sur les fumeurs partageant le bureau de Mme Lefebvre. Cette dernière a alors réclamé à l'employeur qu'il assure "effectivement" sa protection. La Cour de cassation, dans l'espèce commentée, pose le principe selon lequel l'employeur est "tenu d'une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme dans l'entreprise". Afin de respecter cette obligation de résultat, l'employeur aurait dû, à la suite des réclamations de Mme Lefebvre, prendre d'autres mesures pour faire disparaître le tabagisme passif. Le contenu des mesures adoptées importe assez peu puisque l'employeur est tenu d'une obligation de résultat. Ce qui compte, c'est que cesse "effectivement" l'exposition des salariés aux fumées de tabac. De ce point de vue, il convient de constater que les mesures radicales d'interdiction ne sont, sans doute, pas les plus adaptées pour respecter l'obligation de résultat. Ces mesures, qui ne tiennent pas compte des fumeurs, manquent de réalisme et font l'objet de nombreuses violations. Il serait probablement plus judicieux de mettre en oeuvre un véritable "plan d'aménagement", permettant de concilier les intérêts des fumeurs et ceux des non-fumeurs. Il était certainement possible pour l'employeur, en l'espèce, de rentrer dans une autre logique et de procéder à une réorganisation des bureaux permettant de protéger efficacement Mme Lefèbvre du tabagisme passif. Mais, s'il souhaitait persister dans sa logique d'interdiction pure et simple, il devait en tirer toutes les conséquences et user de son pouvoir disciplinaire contre les salariés récalcitrants. Le non-respect d'une interdiction de fumer dans certains locaux de l'entreprise est, en effet, constitutif d'une faute disciplinaire qui peut même, dans certains cas, justifier un licenciement pour faute grave (Cass. soc., 11 juin 1998, n° 96-42.244, Gérard Tournerie et autres c/ Société Embe VI, société anonyme, inédit N° Lexbase : A0169AUS). Dès l'instant qu'un salarié est soumis, contre son gré, au tabagisme passif dans l'entreprise, l'employeur se rend coupable d'une violation de la législation anti-tabac. La Cour de cassation affirme, en outre, que ce manquement justifie la prise d'acte de la rupture du contrat par le salarié. 2. Une faute justifiant la prise d'acte du contrat aux torts de l'employeur En matière de prise d'acte de la rupture du contrat par le salarié, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel "lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient soit, dans le cas contraire, d'une démission" (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.335, F-P P+B+R+I N° Lexbase : A8976C8X, lire Christophe Radé, "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8027AAK ; voir, aussi, Cass. soc., 19 mai 2004, n° 01-44.843, F-D N° Lexbase : A1933DCL, lire Chrystelle Alour, Rappel en matière de prise d'acte de la rupture, Lexbase Hebdo n° 123 du 3 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1803ABE). On s'est alors demandé ce que recouvrait la notion de "faits justifiant la rupture". S'il est certain que le salarié doit pouvoir "reprocher" une "faute" au salarié, aucun principe général n'a été posé s'agissant du degré de gravité exigé de la faute. La jurisprudence a admis que le salarié pouvait obtenir des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse dans un certain nombre d'hypothèses. Le non-versement de la rémunération ou le retard important dans le paiement des salaires constitue l'hypothèse la plus évidente dans laquelle le salarié est fondé à prendre acte de la rupture (Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 93-44.298, M. Yvon Gary c/ M. Jacques Tual, inédit N° Lexbase : A8657AGQ). Mais, la jurisprudence a estimé que le non-respect, par l'employeur, du droit au repos hebdomadaire justifiait également la prise d'acte (Cass. soc., 7 octobre 2003, n° 01-44.635, F-D N° Lexbase : A7184C9X), de même que la modification unilatérale du contrat de travail (Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.727, M. Victor Abram c/ Société Zurich assurances, publié N° Lexbase : A6254AGQ) ou le non-respect de la législation en matière de médecine du travail (Cass. soc., 15 octobre 2003, n° 01-43.571, F-D N° Lexbase : A8327C9B). Mais, il n'est pas certain que toute violation par l'employeur de ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles soit de nature à justifier une prise d'acte de la rupture par le salarié. On sait, en effet, que la jurisprudence retient parfois l'absence de "faits suffisamment graves" pour justifier la rupture et qu'elle déboute en conséquence les salariés de leurs demandes d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 03-45.018, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0940DGW, lire Christophe Radé, Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 3 février 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4456ABN). En l'espèce, la Cour de cassation estime que le non-respect de la réglementation anti-tabac constitue de la part de l'employeur un manquement "suffisamment grave" pour justifier la prise d'acte de la rupture par le salarié aux torts exclusifs de l'employeur. La solution s'inscrit dans le cadre d'une jurisprudence très favorable aux victimes du tabagisme passif. Dans un arrêt du 16 mars 2004, la cour d'appel de Rennes avait déjà décidé qu'un salarié exerçait valablement son droit de retrait lorsque les mesures prises pour aménager des espaces non-fumeurs étaient nettement insuffisantes (CA Rennes, 5e, 16 mars 2004, n° 03/03279, Monsieur Benoit Villeret c/ S.A.R.L. Le damier N° Lexbase : A9160DDM). Si le tabagisme passif justifie l'exercice du droit de retrait, c'est qu'il constitue un "danger grave et imminent pour la vie ou la santé" du salarié (C. trav., art. L. 231-8 N° Lexbase : L5969AC3). Dans ces conditions, il n'est guère surprenant qu'il constitue également un motif légitime de prendre acte de la rupture du contrat de travail ! |