Décision
Cass. soc., 19 mai 2004, n° 01-44.843, Société Ouest Isol c/ Monsieur Jacques Blin, F-D (N° Lexbase : A1933DCL) Textes applicables : C. trav., art. L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) ; C. trav., art. L.122-13 (N° Lexbase : L5564AC3) ; C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) Liens base : |
Faits
Un salarié refuse la modification de son mode de rémunération. Peu de temps après, il refuse également la modification de nouvelles règles de travail. Après le rejet par l'employeur de sa proposition de rupture amiable, le salarié prend acte de la rupture. Faisant suite à son courrier, la société prend acte de la démission du salarié. Ce dernier estimant avoir fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il saisit la juridiction prud'homale de demandes d'indemnités de rupture. |
Solution
"Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient soit, dans le cas contraire, d'une démission". "En statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si les faits invoqués justifiaient la prise d'acte du salariés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision". |
Commentaire
1. Retour sur un revirement de jurisprudence en matière de prise d'acte de la rupture par le salarié La rupture du contrat de travail peut résulter de la "prise d'acte de la rupture" par le salarié. Cette hypothèse se présente lorsque ce dernier quitte l'entreprise et impute son départ à des actes commis par l'employeur. En d'autres termes, le salarié n'a pas initialement la volonté de démissionner, mais il considère que le comportement de l'employeur l'a amené à cesser les relations contractuelles. C'est donc une situation conflictuelle qui provoque la rupture du contrat et on imagine aisément les difficultés rencontrées par les juges pour déterminer la responsabilité de l'une ou l'autre des parties. Jusqu'à une série d'arrêts du 25 juin 2003 (Cass. soc., n° 01-42.679, FP+P+B+R+I N° Lexbase : A8977C8Y ; n° 01-42.335, F-P P+B+R+I N° Lexbase : A8976C8X ; n° 01-43.578, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8978C8Z ; n° 01-41.150, FPP+B+R+I N° Lexbase : A8975C8W ; n° 01-40.235, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8974C8U, voir "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !", Lexbase Hebdo n° 101 du mercredi 31 décembre 2003 - édition Lettre juridique N° Lexbase : N9951AAS), la position de la Cour de cassation en matière de prise d'acte de la rupture laissait perplexe une grande partie de la doctrine et des employeurs. Selon elle, la prise d'acte impliquait d'emblée que la volonté du salarié de démissionner n'était pas établie, son départ étant le résultat de faits dont l'employeur s'était rendu coupable. Le chef d'entreprise devait donc prendre en charge les conséquences d'une situation qu'il avait créée et supporter l'entière responsabilité de la rupture du contrat. La prise d'acte de la rupture par le salarié était considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en raison de l'absence de mise en oeuvre de la procédure exigée (Cass.soc., 29 novembre 1990, n° 88-44.308, M. Rogie c/ Société Sermaize Distribution, publié N° Lexbase : A9329AAR). La Cour de cassation était même allée plus loin, puisqu'elle n'avait pas hésité à affirmer "qu'une démission ne peut résulter que d'une manifestation non équivoque de volonté de la part du salarié, laquelle n'est pas caractérisée lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat en reprochant à l'employeur de n'avoir pas respecté ses obligations contractuelles même si, en définitive, les griefs invoqués ne sont pas fondés" (Cass. soc., 26 septembre 2002, n° 00-41.823, FS-P+B N° Lexbase : A4896AZD). En prenant acte de la rupture de son contrat aux torts de l'employeur, le salarié était donc assuré de pouvoir obtenir la qualification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans avoir à prouver que ses griefs étaient fondés. C'est une position différente qu'adopte aujourd'hui la Cour de cassation depuis une série d'arrêts accueillis avec soulagement par les employeurs (Cass.soc., 25 juin 2003, n° 01-42.335, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8976C8X ; Cass.soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8977C8Y ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43.578, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8978C8Z). Désormais, "lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission". En d'autres termes, la prise d'acte de la rupture doit être fondée sur de véritables griefs pour pouvoir conduire à la qualification de licenciement. Deux hypothèses doivent aujourd'hui être distinguées. Un salarié peut obtenir la qualification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse s'il parvient à démontrer que des manquements contractuels de l'employeur ont provoqué son départ. C'est le cas notamment si le salarié invoque le non-respect par l'employeur du droit au repos hebdomadaire (Cass.soc., 7 octobre 2003, n° 01-44.635, F-D N° Lexbase : A7184C9X). En revanche, lorsque aucun grief n'est imputable à l'employeur, ce dernier n'a pas à supporter les conséquences de la prise d'acte. La rupture s'analyse en une démission puisque la responsabilité de l'employeur n'est pas démontrée (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8977C8Y). L'arrêt du 19 mai 2004 témoigne une nouvelle fois de cette orientation. 2. De l'intérêt de démissionner Dans l'arrêt précité, la cour d'appel avait condamné l'employeur au paiement d'une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour statuer en ce sens, elle retenait que le salarié "n'avait jamais eu l'intention de démissionner". Ce faisant, la cour d'appel s'engouffrait dans le terrain de l'appréciation de la volonté claire et non-équivoque de la volonté de démissionner. Or, le salarié n'avait pas envoyé de lettre de démission mais il avait pris acte de la rupture. Il reprochait à son employeur différents faits qui, selon lui, devaient justifier la rupture de son contrat. L'examen de la démission devait donc être d'emblée écarté, ainsi que celui de l'authenticité de la volonté de démissionner du salarié. En revanche, les juges de la cour d'appel auraient dû, en toute logique, s'attacher à analyser le comportement de l'employeur pour déterminer si les reproches du salarié étaient fondés. La Cour de cassation casse donc sa décision car les juges auraient dû examiner si les faits qui étaient reprochés à l'employeur "justifiaient la prise d'acte du salarié". Rappelons, en effet, que selon que le salarié démissionne ou prend acte de la rupture, les juges vont se concentrer sur le comportement du salarié, ou sur celui de l'employeur. Lorsque le salarié écrit une lettre de démission à l'employeur, les juges s'attachent à la volonté de démissionner. Dès lors, si le salarié invoque des raisons qui le contraignent à une telle décision, sa volonté claire et non-équivoque n'est pas démontrée, quand bien même l'employeur n'aurait commis aucune faute à son encontre. Ainsi, un salarié pourra obtenir la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors même que les faits reprochés à l'employeur ne sont pas constitutifs d'un manquement contractuel. La Cour de cassation a, par exemple, admis le licenciement sans cause réelle et sérieuse d'une salariée qui prétendait être "contrainte de démissionner", à la suite d'une modification de ses conditions de travail (Cass. soc., 22 octobre 2003, n° 01-41.451, Mme Brigitte Leléon c/ Association Poney-club du Haras, inédit N° Lexbase : A9388C9L). En revanche, lorsque le salarié prend acte de la rupture, l'analyse se concentre sur le comportement de l'employeur. L'enjeu consiste alors à déterminer si ce dernier s'est rendu coupable de faits justifiant la prise d'acte. C'est donc seulement dans cette situation que l'absence de faute de la part de l'employeur peut lui permettre d'éviter de supporter les conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette dernière hypothèse était celle de l'arrêt du 19 mai 2004. La cour d'appel s'étant concentrée sur la qualité de la volonté du salarié, elle n'avait pas recherché si les faits invoqués justifiaient la prise d'acte du salarié. Par conséquent, aucun élément ne permettait au salarié de revendiquer un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La responsabilité de l'employeur n'étant pas établie, la prise d'acte de la rupture devait donc s'analyser en une démission. La position de la Cour de cassation, depuis les arrêts du 25 juin 2003, présente l'avantage de rééquilibrer la situation des parties. L'employeur se voit imputer la rupture seulement si sa responsabilité est établie. Mais elle crée toutefois une disparité sensible entre un salarié qui invoque une démission provoquée par le comportement de l'employeur, et celui qui se contente d'une simple prise d'acte. Le premier à toutes les chances de parvenir à son but en l'absence même de responsabilité de l'employeur, tandis que le second se verra, le cas échéant, opposer l'absence de faute de la part de son cocontractant. |