Lorsque l'entreprise comporte au moins deux établissements, la mise en place de la représentation du personnel se fera dans chacun d'entre eux. Dans ce cas, en effet, au lieu d'avoir une représentation commune à l'entreprise, donc à l'ensemble des salariés, chaque établissement distinct, à condition de remplir individuellement le seuil et la période d'effectif, peut prétendre à sa propre représentation. La question se posera alors de la reconnaissance du caractère distinct de l'établissement. Il appartiendra ainsi au juge de déterminer si l'établissement constitue une unité de production distincte du siège.
Dans la mesure où cette qualification sert à la mise en place des institutions représentatives du personnel, c'est le juge d'instance qui sera compétent pour statuer sur l'existence d'un établissement distinct. En l'absence de définition légale, cette appréciation sera faite en fonction de critères dégagés par la jurisprudence. Si le seuil d'effectif est atteint (variable selon l'institution), l'existence d'une communauté de travailleurs travaillant sous une direction unique et la présence d'un représentant de l'employeur quels que soient ses pouvoirs seront nécessaires à la reconnaissance d'un établissement distinct.
Ces critères, sous leur apparente neutralité, subissent toutefois l'influence de l'institution pour laquelle la reconnaissance de l'établissement distinct a été demandée. Malgré les efforts de la jurisprudence, la notion reste relative (voir notre commentaire : "La nouvelle définition de l'établissement distinct" : Lexbase Hebdo n° 58 du Jeudi 13 Février 2003 - Edition Sociale N° Lexbase : N5952AAP) ; Cass. soc., 29 janvier 2003, n° 01-60.628, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7668A4R). C'est tout à la fois cette définition et sa relativité que vient confirmer la Cour de cassation dans l'arrêt du 24 avril 2003.
En l'espèce, le tribunal d'instance de Béziers, statuant sur renvoi après cassation (Cass. soc., 2 mai 2001, n° 99-60.477, Société Vivendi c/ Syndicat FO Générale des eaux Vivendi Région Sud, inédit N° Lexbase : A3432ATB), avait relevé que la délégation de pouvoir reçue par le représentant de l'employeur ne lui permettait pas de négocier et d'accorder des droits supplémentaires par voie d'accord collectif. Le juge avait donc conclu que les agences ne pouvaient être considérées comme des établissements distincts ouvrant droit à la désignation d'un délégué syndical.
Cette décision est une nouvelle fois cassée par la Haute juridiction. Pour cette dernière, l'étendue des pouvoirs accordés au représentant de l'employeur n'ayant aucune incidence sur la reconnaissance d'un établissement distinct, le contenu de la délégation de pouvoir donnée par ce dernier ne pouvait servir à exclure cette qualification.
De ce point de vue, la définition retenue est identique à celle récemment appliquée en matière de délégation du personnel (Cass. soc., 29 janv. 2003, n° 01-60.628, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7668A4R - Cass. soc., 12 mars 2003, n° 02-60.037, M. Thierry Cazal c/ Société d'assurance La Mondiale, inédit N° Lexbase : A4257A7S). On pourrait donc conclure à l'existence d'une définition désormais unique de l'établissement distinct pour toute institution représentative du personnel. Pourtant, tant le visa que la formulation de l'attendu de principe viennent infirmer cette position.
D'une part, elle précise que cette définition permet de qualifier un établissement distinct mais "pour la désignation d'un délégué syndical". Les textes visés viennent, d'autre part, confirmer cette limite. La Cour de cassation vise, en effet, à la fois l'article L. 412-11 du Code du travail (N° Lexbase : L6331ACH) relatif aux conditions précédant la désignation d'un délégué syndical et l'article R. 412-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0321ADA) prévoyant le nombre de délégués syndicaux pouvant être désignés par tranche d'effectif. Il est enfin expressément fait référence aux revendications qui sont les prérogatives des délégués syndicaux. Aucun appel ni même aucune allusion n'est en revanche faite ici aux réclamations qui restent légitimement réservées aux délégués du personnel.
Cette différentiation institutionnelle emporte-t-elle nécessairement l'exclusion de toute définition unique de la notion d'établissement distinct ? Faut-il au contraire en conclure que la définition est unique mais que la Haute juridiction se trouve obligée, afin d'appuyer la cassation, de se référer aux pouvoirs propres à chaque institution car ce sont eux qui, comme en l'espèce, avaient déterminé les juges du fond ?
A notre avis, dans la mesure où la personne du représentant de l'employeur est le critère déterminant de la qualification d'établissement distinct à l'exclusion de ses pouvoirs, le fait que la Cour se fonde sur les pouvoirs propres à chaque institution pour casser les décisions rendues par les juges du fond est sans incidence sur l'unité de la notion. Seuls comptent le fait qu'il y ait une communauté de travailleurs ayant des intérêts propres et le fait que soit présent un représentant de l'employeur. La référence négative à l'impuissance de ce représentant ne servant ni à disqualifier ni d'ailleurs à qualifier d'établissement distinct l'unité en cause, la formulation retenue importe peu.
Il semble en outre qu'il soit impossible de donner une définition unique de l'établissement distinct. Il apparaît en effet qu'une telle définition serait susceptible d'emporter, soit un blocage de la reconnaissance de cette unité de représentation, soit au contraire une trop grande ouverture, faisant par là-même perdre tout intérêt à la qualification. On peut confirmer cette affirmation par le silence gardé par le législateur. Compte tenu de l'importance de la notion d'établissement distinct, il semble que s'il avait suffit de donner une définition, le législateur l'aurait déjà fait.
Quoi qu'il en soit, ce qui compte c'est que depuis une année environ, la Haute juridiction retient des critères stables de reconnaissance, ce qui tend à raréfier les divergences arbitraires entre les juridictions ou tout simplement selon l'institution à mettre en place. Souhaitons qu'il en soit de même dans les mois à venir...