[Jurisprudence] Les salariés qui exercent des fonctions différentes n'effectuent pas un travail de valeur égale

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale



Même si l'affirmation pourrait sembler relever de l'évidence, l'affirmation, par la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 26 juin 2008, du principe selon lequel "n'effectuent pas un travail de valeur égale des salariés qui exercent des fonctions différentes" constitue une première qu'il convient de saluer (I). Cet arrêt permet, également, d'affirmer que la consécration récente d'un principe général d'égalité de traitement entre salariés n'a pas fait disparaître les autres principes issus du principe général d'égalité (II).


Résumé

Si l'employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes, n'effectuent pas un travail de valeur égale des salariés qui exercent des fonctions différentes.

Commentaire

I - La consécration d'un principe de justification tiré de la différence des fonctions exercées par les salariés

Dans cet arrêt en date du 26 juin 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel, "si l'employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes, n'effectuent pas un travail de valeur égale des salariés qui exercent des fonctions différentes".

Ce n'est, bien entendu, pas la première fois que l'analyse des fonctions respectives exercées par les salariés, dont on compare la situation, conduit à exonérer l'employeur de l'accusation que portait contre lui un ou une salariée qui s'estimait victime d'une discrimination (1). Dans de nombreuses décisions, en effet, la Cour de cassation avait justifié la mise hors de cause de l'employeur par le fait qu'un salarié "au sein [de l'entreprise], avait des fonctions et responsabilités autres que celles reconnues à" l'autre salarié avec lequel il était comparé, suffisait à établir "la preuve d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination, justifiant la différence de classement indiciaire dont se plaignait le salarié" (2), ou, au contraire, censuré des juges du fond qui le condamnaient "sans se livrer à une analyse comparée de la situation, des fonctions et des responsabilités de la demanderesse avec celles des autres membres du comité de direction, et sans rechercher, comme il lui était demandé, si les fonctions respectivement exercées par les uns et les autres étaient de valeur égale" (3).

Mais, c'est la première fois que la Cour de cassation affirme, sous la forme d'un principe, que "n'effectuent pas un travail de valeur égale des salariés qui exercent des fonctions différentes".

Dans cette affaire, la cour d'appel de Poitiers avait fait droit aux demandes d'une salariée, qui s'estimait victime de discrimination en comparaison de ses collègues masculins, après avoir relevé que "les autres salariés masculins exerçant une fonction de directeur spécialisé [directeur industrie, directeur études projet, directeur commerce], au même niveau hiérarchique avec la même qualité de membre du comité de direction et la même classification, bénéficiaient de rémunérations sensiblement supérieures à l'intéressée et disposaient, en outre, d'un véhicule de fonction qu'elle n'avait pas, que la salariée présente, ainsi, des faits laissant supposer l'existence d'une discrimination à son préjudice et que la société ne précise pas en quoi ses fonctions n'étaient pas comparables à celles des autres directeurs". En d'autres termes, et même si les fonctions exercées étaient différentes, la cour d'appel de Poitiers avait considéré que ces fonctions étaient "comparables". Or, c'est précisément pour cette raison que l'arrêt est cassé, dans la mesure où le constat que les fonctions exercées étaient différentes devait conduire à considérer la différence de traitement comme justifiée.

La solution retenue nous semble justifiée. Si la Cour de cassation laissait les juges du fond se livrer à des comparaisons de situations pour évaluer l'importance respective de la situation des salariés dans les entreprises et, alors que ces salariés exercent des fonctions différentes, plus aucune entreprise ne connaîtrait de trêves et le nombre des procès en discrimination exploserait. Par ailleurs, l'employeur doit disposer d'un certain pouvoir d'individualisation des rémunérations et n'être sanctionné que lorsqu'il porte manifestement atteinte au principe d'égalité de traitement. Il doit donc demeurer libre des critères à mettre en oeuvre pour fixer le niveau de rémunération de ses salariés, singulièrement lorsque les fonctions exercées ne sont pas exactement les mêmes. Toute autre solution ne pourrait que se traduire par une emprise excessive du juge sur la vie des entreprises.

Cette solution, et sa consécration de manière aussi claire et générale, mérite d'être approuvée.

En premier lieu, il semble évident que des salariés, qui exercent des fonctions différentes, peuvent être payés différemment. Le salaire versé varie, certes, en fonction du temps consacré à l'exécution du contrat de travail, dans une approche purement quantitative, mais la valeur du travail fourni dépend essentiellement des fonctions exercées et de la qualité du travail accompli. Dans ces conditions, il est évident que les fonctions ou le niveau des responsabilités tenues dans l'entreprise (4) -ce qui revient, en définitive, à viser le même critère- justifient pleinement les différences de degrés de rémunération entre salariés, ne serait-ce que parce que le Code du travail, lui-même, en son article L. 3221-2 , vise, on ne peut plus clairement, les "responsabilités" exercées par les salariés comme établissant la différence de valeur entre le travail accompli.

En second lieu, l'affirmation, sous la forme d'une règle générale, que "n'effectuent pas un travail de valeur égale des salariés qui exercent des fonctions différentes" est de nature à clarifier le régime du principe d'égalité de traitement, ce dont on ne pourra que se réjouir.

II - La pérennité des dispositions spécifiques à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes

La consécration, très récente, d'un principe d'égalité de traitement, nous avait conduit à nous interroger sur la pérennité des principes et règles voisins, qu'il s'agisse du principe "à travail égal, salaire égal", dont le périmètre semblait moindre et qui pouvait, à terme, se trouver absorbé par ce nouveau principe plus général, ou du principe d'égalité salariale entre les femmes et les hommes, qui relève de la législation réprimant les discriminations (5).

Cet arrêt en date du 26 juin 2008, rendu quelques jours plus tard par la Chambre sociale de la Cour de cassation et destiné à être publié au bulletin, apporte une réponse immédiate : la consécration d'un principe d'égalité de traitement, qui a vocation à s'appliquer dans des hypothèses où les autres principes existants semblent difficilement applicables, ne se traduit pas par l'absorption des solutions existantes, mais par l'addition d'un nouveau principe.

Ce maintien des solutions propres à l'égalité entre les femmes et les hommes (6) est, sans doute, souhaitable pour ne pas troubler un peu plus salariés et employeurs, qui guettent chaque dernière production de la Haute juridiction pour y trouver de nouveaux indices permettant de mieux appréhender ce principe aux contours encore assez flous.

Il n'est, toutefois, pas certain que cette accumulation de principes soit parfaitement satisfaisante, dans la mesure où le sentiment d'éparpillement est assez fort et les incertitudes, sur les champs d'applications et les régimes respectifs, également grandes.

Il convient, tout de même, de relever, ici, que le principe d'égalité salariale entre les femmes et les hommes résulte directement des termes de la loi, d'ailleurs visée, ici, dans cet arrêt de cassation partielle (7) et qu'il semble, pour cette seule raison, délicat de le faire disparaître au profit d'une formule, certes, plus large et, partant, englobante, mais qui n'a aucune base textuelle directe. Gageons, simplement, que la Cour de cassation saura, à la fois, dégager des éléments communs à ces différents principes, tout en en préservant la spécificité ; la voie n'est pas aisée, mais elle est nécessaire.


(1) Dernièrement Cass. soc., 12 mars 2008, n° 06-40.999, inédit (N° Lexbase : A3976D7E) : "Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur rapportait la preuve d'éléments objectifs tenant à la nature des fonctions exercées, au rang hiérarchique, au niveau de formation et à l'expérience professionnelle respectifs de M. X... et des autres salariés auxquels il se comparait, a pu décider que ces éléments pertinents justifiaient la différence de traitement entre les salariés ; que le moyen n'est pas fondé".
(2) Cass. soc., 20 juin 2001, n° 99-42.092, M. Albert Jeanton, inédit (N° Lexbase : A5614AGZ).
(3) Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-41.742, Société TMS Contact, FS-D (N° Lexbase : A3137DXH).
(4) Par exemple, Cass. soc., 6 avril 2004, n° 01-46.371, Mme Sylviane Léger c/ Société Aventis Pharma, F-D (N° Lexbase : A8268DBT) : "Mais attendu que la cour d'appel, qui a retenu qu'il découlait des éléments objectifs communiqués par l'employeur, que la salariée ne fournissait pas la même prestation de travail avec un même niveau de responsabilité que les autres salariés du groupe de référence choisi par elle-même, a pu décider, sans encourir les griefs du moyen, que l'employeur n'était pas tenu de lui assurer une rémunération identique à celle des autres salariés ; que le moyen n'est pas fondé" ; Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-45.592, Société d'exploitation mixte des transports de l'agglomération de Montpellier (TAM), F-D (N° Lexbase : A8554DPI) : "l'employeur n'établissait pas l'existence d'éléments objectifs en termes de coefficient, classification, qualification, ancienneté, connaissances professionnelles, diplômes, expérience, responsabilité, justifiant la différence de rémunération". Egalement, CA Paris, 18ème ch., sect. A, 4 décembre 2005, n° 03/35237, Mme Marie Tecedeiro c/ SARL Décolletage D.A. (N° Lexbase : A9734DGM) : "il résulte des éléments produits par les parties que l'existence d'une discrimination salariale entre Madame X et Monsieur Y n'est pas établie, la différence de rémunération s'expliquant par les tâches spécifiques confiées à ce dernier".
(5) Cass. soc., 10 juin 2008, n° 06-46.000, Société Air France c/ Syndicat UGICT CGT Air France, FS P+B+R (N° Lexbase : A0540D9U) et nos obs., Le principe d'égalité de traitement, nouveau principe fondamental du droit du travail, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4879BGS).
(6) On notera que l'ancien article L. 140-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5726AC3) visait l'égalité entre les hommes et les femmes et que le nouvel article L. 3221-2 , issu de la recodification, a inversé l'ordre en mentionnant en premier lieu les femmes et ce, pour mettre l'expression en conformité avec le droit communautaire.
(7) L'arrêt est, en effet, rendu au visa de l'article L. 140-2, recodifié sous les articles L. 3221-2, L. 3221-3 et L. 3221-4 du Code du travail.

Décision

Cass. soc., 26 juin 2008, n° 06-46.204, Société Sermo Montaigu, F-P (N° Lexbase : A3621D9Y)

Cassation partielle (CA Poitiers, ch. soc., 17 octobre 2006)

Textes visés : C. trav., art. L. 140-2 (N° Lexbase : L5726AC3), recodifié sous les art. L. 3221-2 , L. 3221-3 et L. 3221-4

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