Décision
Cass. soc., 19 octobre 2004, n° 02-45.742, Société Ateliers Industriels Pyrénéens (AIPSA), F-P+B+R+I (N° Lexbase : A6216DDL) Cassation de CA Nîmes (chambre sociale), 4 juillet 2002 Textes visés : articles L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP), L. 122-13 (N° Lexbase : L5564AC3) et L. 122-14-3 (N° Lexbase : L6530DIP) du Code du travail Mots clefs : démission ; rupture imputée à l'employeur ; requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse - office du juge ; vérification de la réalité des fautes imputées à l'employeur Lien base : |
Faits
1. Mlle Hekimian, qui avait été engagée le 7 février 1994 par la société Ateliers Industriels Pyrénéens, en qualité de VRP exclusif chargée de commercialiser des articles destinés aux viticulteurs, a présenté le 21 juillet 1999 sa démission, en faisant état de la détérioration de ses relations avec son employeur et de la pression insupportable qu'il lui faisait subir depuis le mois de février, portant préjudice à son travail comme à sa santé. Elle a demandé une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. 2. La cour d'appel de Nîmes a condamné l'employeur à payer diverses indemnités au titre de la rupture, et relève, par substitution de motifs, que la rupture du contrat de travail motivée par des fautes que la salariée impute à l'employeur ne procède pas d'une volonté claire et sans équivoque de démissionner, peu important le caractère réel ou non des fautes alléguées. Cette rupture ne peut donc s'analyser qu'en un licenciement réputé sans cause réelle et sérieuse. |
Problème juridique
Lorsque le salarié démissionne, puis impute la rupture à l'employeur, le juge doit-il s'intéresser au comportement de l'employeur ou vérifier le caractère non-équivoque de la volonté du salarié ? |
Solution
1. Cassation 2. "Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire, d'une démission". 3. En considérant la démission de la salariée comme équivoque, "alors que seuls les faits invoqués par le salarié à l'appui de sa prise d'acte de la rupture permettent de requalifier la démission en licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés". |
Commentaire
1. La confirmation de la jurisprudence relative à l'autolicenciement
Le 25 juin 2003, la Chambre sociale de la Cour de cassation a précisé les conditions dans lesquelles un salarié peut prendre l'initiative de quitter l'entreprise et obtenir du juge prud'homal la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679 (N° Lexbase : A8977C8Y) ; n° 01-42.335 (N° Lexbase : A8976C8X) ; n° 01-43.578 (N° Lexbase : A8978C8Z) ; n° 01-41.150 (N° Lexbase : A8975C8W) ; n° 01-40.235 (N° Lexbase : A8974C8U), voir "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9951AAS ; Dr. soc. 2003, p. 814, avis. P. Lyon-Caen, p. 817, chron. G. Couturier et J.-E. Ray, Dr. soc. 2004, p. 90, chron. J. Mouly ; JCP G 2003, II, 10138, note E. Mazuyer ; RJS 2003, p. 647, chron. J.-Y. Frouin). Selon ces arrêts, "lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission". Cette nouvelle formule mettait un terme à une jurisprudence extrêmement contestée de cette même Chambre sociale de la Cour de cassation, qui considérait que "la lettre de rupture du salarié qui invoque l'inexécution par l'employeur de ses obligations ne constitue pas l'expression claire et non-équivoque de démissionner" (Cass. soc., 17 décembre 1997, n° 95-41.749, M. Becq c/ Société Guldager électrolyse, publié N° Lexbase : A2096ACM), "même si, en définitive, les griefs invoqués ne sont pas fondés" (Cass. soc., 26 septembre 2002, n° 00-41.823, FS-P+B N° Lexbase : A4896AZD).
C'est cette jurisprudence, datant de 2002, que la cour d'appel de Nîmes prétendait ici appliquer, dans son arrêt du 4 juillet 2002. Dans cette affaire, une salariée avait démissionné en faisant état de la détérioration de ses relations avec son employeur et de la pression insupportable qu'il lui faisait subir. En d'autres termes, la salariée s'estimait victime de harcèlement moral, non pris en compte comme tel à l'époque, mais désormais sanctionné par le Code du travail depuis la loi du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9 ; C. trav., art. L. 122-49 à L. 122-53). La cour d'appel de Nîmes fait application de la jurisprudence alors en vigueur, et considère que la rupture du contrat de travail, motivée par des fautes que la salariée imputait à son employeur, ne procède pas d'une volonté claire et sans équivoque de démissionner, peu important le caractère réel ou non des fautes alléguées, et ne peut donc s'analyser qu'en un licenciement réputé sans cause réelle et sérieuse. Cet arrêt est, sans surprise, cassé par la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans cette décision en date du 19 octobre 2004. Dans la mesure où la Cour ne fait que reprendre une solution dégagée dans les arrêts du 25 juin 2003 et confirmée depuis (Cass. soc., 7 octobre 2003, n° 01-44.635, F-D N° Lexbase : A7184C9X ; Cass. soc., 4 novembre 2003, n° 01-44.740, F-D N° Lexbase : A0669DAZ ; Cass. soc., 21 janvier 2004, n° 01-46.271, F-D N° Lexbase : A8734DAQ ; Cass. soc., 19 mai 2004, n° 01-44.843, F-D N° Lexbase : A1933DCL ; Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-42.642, F-D N° Lexbase : A0393DDW), l'arrêt ne semble rien apporter de nouveau, à tel point qu'on pourrait s'interroger sur l'utilité qu'il y avait à lui conférer une telle publicité (P+B+R+I).
Pourtant, les circonstances n'étaient pas exactement identiques à celles rencontrées dans les décisions précédentes. Dans toutes les affaires ayant donné lieu à l'affirmation de la solution nouvelle, le salarié n'avait jamais formellement démissionné de son emploi ; le courrier adressé à l'employeur faisait référence à la volonté de "prendre acte de la rupture du contrat de travail" (Cass. soc., 25 juin 2003, 3 arrêts, préc. ; Cass. soc., 7 octobre 2003, préc. ; Cass. soc., 21 janvier 2004, n° 01-46.271, F-D N° Lexbase : A8734DAQ ; Cass. soc., 19 mai 2004, préc. ; Cass. soc., 6 juillet 2004, préc.), ou au fait "qu'il se considérait comme licencié" (Cass. soc., 4 novembre 2003, préc.). D'autres salariés n'avaient rien indiqué et avaient directement saisi la juridiction prud'homale (Cass. soc., 20 janvier 2004, préc.) ; d'autres, enfin, étaient directement entrés au service d'un concurrent (Cass. soc., 17 février 2004, préc.). On pouvait, dès lors, se demander si la jurisprudence relative à la prise d'acte devait également s'appliquer lorsque le salarié démissionne, puis conteste sa démission en demandant sa requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les deux situations peuvent, en effet, être distinguées. Lorsque le salarié n'emploie pas le terme de "démission", le juge doit qualifier la rupture du contrat pour la faire entrer dans l'un des régimes définis par le Code du travail (licenciement ou démission). Dans cette hypothèse, la formule de la Cour de cassation se justifie pleinement : "lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission". Mais, lorsque le salarié indique formellement qu'il démissionne, le juge n'a pas à statuer sur la qualification de la rupture, puisque celle-ci est indiquée par le salarié lui-même, mais sur son éventuelle "requalification" en licenciement, ce qui est assez différent. Cette hypothèse n'est pas sans rappeler la différence que l'on peut faire entre la qualification d'un contrat, lorsqu'un doute existe sur la volonté des parties d'avoir conclu un contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée (Cass. soc., 30 octobre 2002, n° 00-45.572, F-P N° Lexbase : A4083A3M, Dr. soc. 2003, p. 473, chron. C. Roy-Loustaunau), et la requalification du contrat à durée déterminée, lorsque certaines mentions obligatoires font défaut (Cass. soc., 21 mai 1996, n° 92-43.874, Société Matrix Phone Marketing c/ Mme Calandre et autre N° Lexbase : A2005AAI, D. 1996, Jur., p. 565, concl. Y. Chauvy). On pouvait donc se demander si la jurisprudence dégagée le 25 juin 2003 devait ici trouver à s'appliquer. On pouvait en douter d'autant plus que, dans un arrêt rendu le 14 janvier 2004 (Cass. soc., 14 janvier 2004, n° 01-44.042, F-D N° Lexbase : A7766DAU), la Chambre sociale de la Cour de cassation avait raisonné non pas à partir de la formule dégagée en 2003, mais bien par rapport à la notion de volonté non-équivoque du salarié, afin d'écarter la qualification de démission. Dans cette affaire, le salarié avait eu un contentieux salarial avec son employeur et avait obtenu une condamnation en référés. Puis, devant le refus opposé par son employeur de lui payer l'intégralité de sa créance, il avait démissionné, puis rompu son préavis en considérant que ce comportement le contraignait à prendre acte de la rupture du contrat de travail. Or, pour justifier le bien-fondé de la demande du salarié, la Cour de cassation avait considéré que la lettre de démission "ne caractérisait pas une volonté claire et non-équivoque de démissionner", sans reprendre la formule dégagée dans les arrêts du 25 juin 2003. Ce faisant, la Cour de cassation semblait introduire une différence selon que le salarié prenait acte de la rupture du contrat de travail ou démissionnait. Dans le premier cas, les juges du fond devraient rechercher si les griefs du salarié étaient fondés, et les fautes imputées à l'employeur avérées, avant de conclure à l'existence d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; dans le second cas, les juges du fond devraient d'abord statuer sur la validité de la démission, en s'intéressant au caractère équivoque de la volonté du salarié. Or, c'est cette distinction qui se trouve ici balayée, puisque la Chambre sociale de la Cour de cassation affirme, de la manière la plus claire qui soit, que "seuls les faits invoqués par le salarié à l'appui de sa prise d'acte de la rupture permettent de requalifier la démission en licenciement". En d'autres termes, il importe peu que le salarié ait ou non qualifié sa rupture de démission. Lorsqu'il saisit le conseil de prud'hommes d'une demande de requalification de la démission en licenciement, la qualification initiale de démission ne modifie pas les termes du débat et les juges doivent uniquement vérifier si les griefs invoqués contre son employeur sont fondés.
Cette solution nous paraît triplement satisfaisante. En premier lieu, elle évite de retenir deux régimes différents, selon que le salarié a ou non formellement démissionné, ce qui simplifie considérablement le régime de ce qu'il est convenu d'appeler l'"autolicenciement". En deuxième lieu, il convient de rappeler que, selon les principes directeurs du procès civil français, si les faits appartiennent aux parties (NCPC, art. 6 N° Lexbase : L2854AD3), la qualification appartient au juge. Ce dernier n'est donc pas tenu par les qualifications retenues par les parties et dispose de toute latitude pour redonner aux faits leur véritable qualification (NCPC, art. 12, al. 2 N° Lexbase : L2043ADZ). Il importe donc peu que le salarié ait ou non indiqué qu'il souhaitait démissionner ; le juge, appliquant ici le principe de réalisme qui l'anime, notamment lorsqu'il qualifie un acte de contrat de travail, doit examiner directement les faits et donc les éventuelles fautes commises par l'employeur. Enfin, la distinction entre "démission" et "prise d'acte de la rupture du contrat de travail" n'a aucune assise textuelle. Le Code du travail ne qualifie d'ailleurs pas la décision de quitter l'entreprise de "démission", mais se contente de faire référence à la "résiliation à l'initiative du salarié" (C. trav., art. L. 122-5 N° Lexbase : L5555ACQ). Distinguer les deux n'aurait donc pas de sens. 2. L'avenir incertain de la jurisprudence relative à la volonté non-équivoque du salarié
L'assimilation de la démission à la prise d'acte pose toutefois la question de l'avenir de la jurisprudence relative au caractère non-équivoque de la démission. Dès lors que le salarié impute à l'employeur des fautes qui l'ont déterminé à résilier le contrat de travail, les juges du fond n'ont plus à s'interroger sur le caractère équivoque ou non de sa décision, mais doivent se concentrer sur l'analyse du comportement de l'employeur. Le critère d'appréciation n'est plus alors subjectif (centré sur la qualité de la volonté du salarié), mais bien exclusivement objectif (centré sur l'analyse du comportement de l'employeur). Cet abandon de l'analyse subjective nous semble bienvenu, car il conduit à recentrer le débat sur des données tangibles et évite de s'enliser dans des considérations psychologiques, souvent bien incertaines. Nous pensons, toutefois, que cette approche subjective ne devrait pas totalement disparaître, même si sa place devrait être extrêmement réduite. Dans un certain nombre d'hypothèses, en effet, le salarié n'a pas été poussé à démissionner par l'employeur, mais a agi sous le coup de pressions purement internes, comme la colère, ou une violente émotion (Cass. soc., 10 janvier 1991, n° 87-41.517, SA Henry c/ Allera, inédit N° Lexbase : A9065AAY, salarié ayant provoqué un accident du travail). Seule une analyse purement psychologique peut permettre, alors, de conclure à la réalité de sa volonté de démissionner.
Cette jurisprudence ne devrait toutefois subsister que si le salarié a formellement démissionné ou donné un préavis à l'employeur. S'il quitte l'entreprise sans explication, l'employeur aura, en effet, tout intérêt à le licencier, même si le comportement du salarié laisse supposer qu'il a implicitement démissionné, par exemple, lorsqu'il a été réembauché immédiatement par un autre employeur (Cass. soc., 4 janvier 2000, n° 97-43.572, M. Ayezd Ben Tahar c/ M. Mustapha Dridi, inédit N° Lexbase : A1911CMQ). Dans deux des cinq arrêts rendus le 25 juin 2003 (préc.), la Cour de cassation a affirmé que "l'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail ou qui le considère comme rompu du fait du salarié doit mettre en oeuvre la procédure de licenciement ; à défaut, la rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse". Face à un salarié qui ne reprend pas son poste, l'employeur aura donc tout intérêt à engager une procédure disciplinaire, généralement pour faute grave, s'il ne veut pas risquer de subir l'action du salarié qui lui reprocherait de ne pas l'avoir licencié ! (Cass. soc., 13 janvier 2004, n° 01-46.592, F-P+B N° Lexbase : A7800DA7, Abandon de poste : comment réagir ?, Lexbase Hebdo n° 104 du 22 janvier 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0221ABS). On le comprend aussitôt, la jurisprudence sur l'autolicenciement pourrait bien avoir absorbé les hypothèses traditionnelles où le juge s'interrogeait sur le caractère équivoque ou non de la démission. |