Pour retenir que le temps de transport et de voyage du salarié en exécution des ordres de mission qu'il recevait pour accomplir ses fonctions de formateur itinérant devait être considéré comme un temps de travail effectif, les juges d'appel avaient relevé qu'en l'absence d'un régime d'équivalence négocié entre les parties, le temps de voyage des formateurs itinérants devait être considéré comme temps de travail effectif.
Cette analyse est censurée par la Cour de cassation, au visa des articles L. 212-4 (N° Lexbase : L5840ACB) et L. 212-5 (N° Lexbase : L5850ACN) du Code du travail. Après avoir énoncé, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que le temps habituel du trajet entre le domicile et le lieu de travail ne constitue pas en soi un temps de travail effectif, la Chambre sociale indique que la cour d'appel aurait dû rechercher si le trajet entre le domicile du salarié et les différents lieux où il dispensait ses formations "dérogeait au temps normal du trajet d'un travailleur se rendant de son domicile à son lieu de travail habituel". En outre, selon la Cour de cassation, les juges d'appel auraient dû faire la distinction entre le trajet accompli entre le domicile et le lieu de travail, d'une part, et celui effectué, le cas échéant, entre les deux lieux de travail différents, d'autre part. Par suite, en ne faisant pas cette recherche, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle.
Plusieurs points se dégagent de cette motivation qui n'est malheureusement pas dénuée de toute ambiguïté. La Cour de cassation affirme tout d'abord sans surprise que le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail ne constitue pas en soi un temps de travail effectif. Cette solution est conforme à la définition du temps de travail effectif posée par l'article L. 212-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5840ACB), aux termes duquel "la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles".
Il est, en effet, assez évident qu'entre son domicile et son lieu de travail le salarié n'est pas à la disposition de son employeur. Il n'est pas soumis à ses directives et demeure maître de la gestion de son trajet. En d'autres termes, parce que le salarié n'est pas dans la sphère d'autorité de l'employeur, ce temps de trajet ne peut être considéré comme du temps de travail effectif. La position retenue par la Cour de cassation rejoint ainsi celle de l'Administration, pour qui le temps de trajet entre le domicile et le siège de l'entreprise ou le lieu du chantier ne constitue pas un temps de travail effectif (V. circ. DRT n° 6 du 14 avril 2003, fiche n° 9 N° Lexbase : L8287BBK ; V. aussi, Cass. soc., 16 mai 2001, n° 99-40.789, Mme Juliette Lorin-Blandin c/ Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF), inédit N° Lexbase : A4510AT9) (2).
En revanche, et ainsi que l'indique la Cour de cassation dans le présent arrêt, le trajet entre deux lieux de travail différents doit être considéré comme un temps de travail effectif. Dans ce cas, en effet, le salarié est à la disposition de l'employeur et participe à l'activité de l'entreprise. Cette analyse rejoint celle relative aux déplacements entre le siège de l'entreprise et le lieu du chantier, également considérés comme des temps de travail effectif dès lors que le salarié est bien sous l'autorité de l'employeur (V. en ce sens la circulaire préc.) (3).
Cela étant, on est conduit à considérer, et c'est là un nouveau facteur de complexité, qu'un salarié peut se trouver en situation de travail effectif lorsqu'il se déplace entre son domicile et son lieu de travail. Mais, là encore, la qualification dépendra du fait de savoir si le salarié est ou non à la disposition de l'employeur. Il en ira ainsi lorsque, par exemple, l'employeur ordonne à son salarié de faire un détour pour prendre livraison de certaines marchandises. Le salarié exécute en effet dans cette hypothèse une prestation de travail à la demande de l'employeur.
En outre, et à lire la décision commentée, il en sera encore ainsi lorsque le trajet entre le domicile et le lieu de travail déroge "au temps normal du trajet d'un travailleur se rendant de son domicile à son lieu de travail habituel". Il semblerait que, pour la Cour de cassation, existe une sorte d'étalon, à savoir ce "temps normal du trajet d'un travailleur se rendant de son domicile à son lieu de travail habituel", à l'aune duquel pourrait se mesurer le temps de travail effectif (4). Au-delà de ce temps normal de trajet, commencerait le travail effectif, c'est-à-dire qu'à partir de là le salarié se trouverait à la disposition de l'employeur ou, mieux, participerait à l'activité de l'entreprise. Cette solution trouve son origine dans la jurisprudence relative aux trajets effectués en exécution d'un mandat de représentant du personnel. Jurisprudence d'ailleurs rappelée dans l'arrêt commenté, ce qui lui confère un caractère pour le moins pédagogique.
La règle qui prévaut en la matière avait été correctement énoncée par la cour d'appel, ainsi que le relève d'ailleurs la Cour de cassation. La censure n'a, par suite, été prononcée que pour non-respect de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2694AD7).
Ainsi que l'avait donc indiqué la cour d'appel, "le temps de trajet effectué en exécution des fonctions représentatives du salarié doit être rémunéré lorsqu'il est pris en dehors de l'horaire normal de travail et qu'il dépasse en durée le temps normal de déplacement entre le domicile et le lieu de travail". Cette règle n'est pas nouvelle et avait été énoncée par un arrêt de principe en date du 30 septembre 1997 (Cass. soc., 30 septembre 1997, n° 95-40.125, M Brun c/ Société Gel 2000, publié N° Lexbase : A2184AA7 Dr. soc. 1997, p. 1109, concl. P. Lyon-Caen et obs. M. Cohen ; V. sur cette question, M. Cohen, Droit des comités d'entreprise et des comités de groupe, LGDJ, pp. 915 et s.).
Il faut ici comprendre que le temps de trajet n'a pas à être rémunéré lorsqu'il coïncide avec le trajet habituel domicile-lieu de travail. En revanche, si le trajet dépasse en durée ce temps normal de déplacement entre le domicile et le lieu de travail, il doit être payé. Il en ira notamment ainsi lorsque le salarié, membre élu d'un comité central d'entreprise, doit se rendre à une réunion de celui-ci fixée au siège de l'entreprise. Ainsi qu'il l'a été relevé, cette solution est très proche de celle retenue dans l'arrêt commenté relativement aux trajets effectués par un simple salarié entre son domicile et son lieu de travail. Dès lors que le déplacement dépasse en durée le "temps normal" du trajet domicile-lieu de travail, il doit être rémunéré. Cette solution n'est pas en soi critiquable, mais il convient alors de relever qu'elle présente un caractère relativement objectif et conduit à laisser de côté l'exigence que le salarié soit à la disposition de l'employeur. Sauf à considérer que parce qu'il y a dépassement, le salarié est à la disposition de l'employeur.
En définitive, la Cour de cassation a adopté dans le présent arrêt une position que l'on peut juger équilibrée, qualifiant certains trajets de temps de travail effectif et d'autres non. Il apparaît toutefois que la solution retenue ne sera guère aisée à mettre en oeuvre en pratique.
Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV