Résumé
Il ne peut y avoir de différences de traitement entre salariés d'établissements différents d'une même entreprise exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elles reposent sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence. Ayant relevé que l'employeur ne justifiait d'aucune raison objective, propre à justifier une différence de traitement quant à l'octroi de la prime liée à la médaille du travail, la cour d'appel a légalement justifié sa décision. La cour d'appel a, également, relevé que l'employeur ne justifiait d'aucune raison objective, propre à justifier une différence de traitement quant au bénéfice d'une retraite par capitalisation. |
Commentaire
I - Le recul de la justification des différences de traitement entre salariés appartenant à des établissements distincts d'une même entreprise
Parmi les nombreuses justifications que l'employeur peut avancer pour échapper à une condamnation pour discrimination (1), manquement au principe "à travail égal, salaire égal" (2) ou au principe d'égalité de traitement (3), l'argument tiré de l'appartenance des salariés dont on compare le sort à des établissements distincts, soumis à leurs propres accords, a été admis par la Cour de cassation à partir de 1999 (4).
Dès 2006, toutefois, la jurisprudence de la Cour s'est infléchie puisque celle-ci, qui semblait, jusqu'alors (5), se satisfaire de ce seul critère, a ajouté que cette justification pourrait être admise "compte tenu des caractéristiques" des établissements en cause (6), suggérant que le seul critère de l'appartenance à un établissement différent pourrait ne pas suffire.
L'examen des décisions rendues depuis a montré que cette justification n'était pas toujours admise, comme a pu le constater dernièrement, à ses dépens, la société Radio France, qui avait tenté de justifier, en vain, des disparités de traitement entre les établissements par des particularités régionales (7).
C'est ce confirme ce nouvel arrêt non publié rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 27 mai 2009.
Dans cette affaire, un salarié, embauché en 1972 en qualité d'aide-chimiste et qui exerçait, en dernier lieu, des fonctions de responsable SAP, avait été licencié, avec d'autres collègues, pour motif économique en 2005. A l'occasion de la contestation de la justification de son licenciement, le salarié contestait, également, ne pas avoir reçu la médaille du travail, alors que d'autres collègues, ayant la même ancienneté que lui, l'avaient reçue. La cour d'appel lui avait donné raison, ce que contestait l'employeur, pour qui "le salarié ne se trouvait pas dans une situation identique à celle des salariés pris en comparaison, ceux-ci travaillant au siège de l'entreprise et non sur le site de Ham".
Le moyen est rejeté. Après avoir repris la formule déjà présente dans l'arrêt rendu en début d'année aux termes de laquelle "il ne peut y avoir de différences de traitement entre salariés d'établissements différents d'une même entreprise exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elles reposent sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence" (8), la Haute juridiction constate "qu'ayant relevé que l'employeur ne justifiait d'aucune raison objective, propre à justifier une différence de traitement quant à l'octroi de la prime liée à la médaille du travail, la cour d'appel a légalement justifié sa décision".
Le salarié contestait, également, le régime de retraite dont il avait bénéficié et qui lui semblait moins favorable que celui dont d'autres salariés avaient bénéficié dans d'autres établissements de l'entreprise. Ici aussi, la cour d'appel avait donné raison au salarié, ce que contestait le demandeur, qui considérait "que le bénéfice accordé aux salariés de l'établissement de Courbevoie d'un régime de retraite par capitalisation avait vocation à compenser le préjudice subi par ce personnel, contraint de quitter son lieu de travail d'alors, situé dans le 12ème arrondissement de Paris, pour rejoindre cet établissement nouvellement créé". Or, tel n'était pas le cas du demandeur qui avait été, dès l'origine, affecté au sein de l'établissement en cause.
L'argument n'a pas plus convaincu la Cour de cassation. Considérant, ici aussi, que "la cour d'appel a relevé que l'employeur ne justifiait d'aucune raison objective, propre à justifier une différence de traitement quant au bénéfice d'une retraite par capitalisation", le pourvoi est rejeté.
De ce double rejet ressort un constat unique. Dans cet arrêt, l'argument tiré de l'appartenance à des établissements n'a pas été considéré comme étant de nature à justifier la différence de traitement (9). Même si les rejets sont faiblement motivés, la Cour se contentant d'une justification assez passe-partout, les raisons nous semblent être liées à l'absence de lien existant entre le critère évoqué (l'appartenance à des établissements différents) et la nature de l'avantage en cause (la médaille du travail et le régime de retraite).
La solution est intéressante, car elle accrédite l'idée selon laquelle la variété des accords d'établissement ou du traitement des salariés appartenant à des établissements différents au sein d'une même entreprise, n'est pas une justification passe-partout, mais qu'elle doit reposer sur des éléments indiscutables, comme l'existence de disparités régionales dans le coût de la vie (10).
S'agissant de la question du régime de retraite, le demandeur tentait de se rattacher à la jurisprudence fournie qui admet que des différences de traitement puissent être justifiées par une différence de date d'embauche et la volonté de compenser un préjudice salarial consécutif généralement à l'abaissement de la durée du travail, la modification dans les modalités de rémunération, la dénonciation d'un accord collectif ou d'un usage, voire la mise en cause des accords applicables dans l'entreprise après la cession de celle-ci (11). Dans son pourvoi, le demandeur tentait de se justifier en faisant valoir "que le bénéfice accordé aux salariés de l'établissement de Courbevoie d'un régime de retraite par capitalisation avait vocation à compenser le préjudice subi par ce personnel, contraint de quitter son lieu de travail d'alors, situé dans le 12ème arrondissement de Paris, pour rejoindre cet établissement nouvellement créé ; qu'elle précisait que tel n'était pas précisément le cas de M. H., affecté dès l'origine à l'établissement de Ham".
Il faut bien admettre que cette justification semblait, en réalité, factice. On peut comprendre que l'employeur accorde une prime particulière à certains salariés pour compenser un préjudice financier, correspondant aux particularités de leur situation, mais pas que cette compensation porte sur un régime de retraite, car ce régime, qui a vocation à s'appliquer une fois le contrat de travail rompu, semble sans lien évident avec la localisation passée au sein d'un établissement de l'entreprise.
II - L'impact de la décision sur les régimes de retraite
C'est, à notre connaissance, la première fois que la Chambre sociale de la Cour de cassation avait à connaître de la revendication d'un salarié qui contestait sa mise à l'écart d'un régime de retraite en se fondant sur la violation du principe d'égalité de traitement. Or, de nombreuses difficultés existent aujourd'hui et il n'est pas inutile de s'interroger sur le devenir de certaines pratiques discriminantes.
De nombreux régime de retraite font, en effet, varier les taux de cotisation ou le niveau des prestations en fonctions de critères liés, notamment, à la qualité ou non de cadre (12). Reste à déterminer quel sort pourrait être réservé à ces accords.
Il n'est pas inutile de rappeler, à titre liminaire, que le fait que ces différences résultent de conventions collectives ne change rien à l'affaire, puisque les principes en cause (non-discrimination, principe "à travail égal, salaire égal" ou principe d'égalité de traitement) sont d'ordre public et s'imposent tant à l'employeur qu'aux parties au contrat de travail ou aux partenaires sociaux.
Ensuite, la Cour de cassation a très logiquement considéré, dans l'arrêt "Bensoussan", que la seule appartenance à la catégorie des cadres ne suffisait pas à justifier une différence de traitement, les juges du fond devant prendre en compte, notamment, la nature de l'avantage en cause pour déterminer la pertinence effective de cette justification (13). Dans l'affaire "Bensoussan", on rappellera que le critère avait été écarté s'agissant de l'exclusion des cadres de ce cabinet d'avocat du bénéfice des tickets restaurant, mais que c'était certainement l'absence de véritable effort de justification par l'employeur qui avait déterminé la décision.
L'examen de la jurisprudence montre que la prise en compte du statut du salarié peut entrer en ligne de compte lorsque la différence de statut révèle une différence de situation, notamment, une précarité plus importante qu'il conviendrait de compenser (14). Mais, encore faut-il fournir au juge des éléments pertinents (15).
On peut, également, penser qu'une politique favorisant les plus bas salaires pourrait valablement être mise en place, qu'il s'agisse d'aides en nature, sur critères de ressources, ou du bénéfice des tickets-restaurant. Mais, s'il semblerait logique que des avantages puissent être réservés à des non-cadres, compte tenu de la faiblesse de leur revenus (et, encore, il semble plus raisonnable de poser comme critère d'attribution une condition de ressources et non l'appartenance à un statut), on ne voit pas comment il serait possible de justifier que des avantages, notamment en matière de prévoyance, leur soient réservés. Dans ces conditions, des taux de contributions supérieurs pour les cadres peuvent se justifier, compte tenu de leur plus forte capacité contributive, mais la participation financière de l'entreprise ne saurait être proportionnellement plus importante pour ces derniers, car ce privilège serait très certainement difficilement justifiable par l'employeur (16). Ce dernier s'exposerait, alors, à voir sa responsabilité engagée et, à ce titre, à devoir compenser la différence avec le niveau des prestations auxquelles le salarié lésé aurait dû avoir droit s'il n'avait pas été traité moins favorablement que le cadre ; on imagine aisément à combien de milliers d'euros pareil préjudice pourrait se chiffrer !
Les entreprises ont donc, aujourd'hui, tout intérêt à revoir leurs critères de participation aux régimes de protection sociale et, singulièrement, à s'assurer que tous les salariés de l'entreprise sont bien traités de manière effectivement égale, sauf à s'exposer à de très onéreuses déconvenues.
(1) C. trav., art. L. 1131-1 (N° Lexbase : L0672H9R) et s..
(2) Jurisprudence "Ponsolle" : Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, Société Delzongle c/ Mme Ponsolle (N° Lexbase : A9564AAH).
(3) Principe affirmé pour la première fois par Cass. soc., 10 juin 2008, n° 06-46.000, Société Air France c/ Syndicat UGICT CGT Air France, FS P+B+R (N° Lexbase : A0540D9U) et nos obs., Le principe d'égalité de traitement, nouveau principe fondamental du droit du travail, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4879BGS).
(4) Cass. soc., 27 octobre 1999, n° 98-40.769, Electricité de France c/ M. Chaize et autres (N° Lexbase : A4844AGI).
(5) Bien entendu, sous réserve que ce critère ne se double pas d'un autre discriminatoire : CA Paris, 18ème ch., sect. D, 6 septembre 2005, n° 05/03301, Association pour adultes et jeunes handicapés c/ M. Bernard Leborgne (N° Lexbase : A9430DKH ; appartenance à un sexe).
(6) Cass. soc., 18 janvier 2006, n° 03-45.422, Société Sogara France c/ Mme Lasoy Agion, F-P (N° Lexbase : A3972DM3) et nos obs., Une différence de traitement fondée sur la pluralité des accords d'établissement n'est pas illicite, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3620AKB).
(7) Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 07-43.452, Société nationale de radiodiffusion Radio France, F-P+B (N° Lexbase : A6479ECX) et nos obs., La justification des inégalités salariales à l'épreuve de l'ancienneté et de l'appartenance à des établissements distincts, Lexbase Hebdo n° 336 du 5 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4803BIQ).
(8) Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 07-43.452, préc..
(9) On retrouve, ici, la référence au "principe d'égalité de traitement", apparu dans un arrêt du 10 juin 2008 à propos des retenues pour fait de grève (Cass. soc., 10 juin 2008, n° 06-46.000, Société Air France c/ Syndicat UGICT CGT Air France, FS P+B+R N° Lexbase : A0540D9U et nos obs., Le principe d'égalité de traitement, nouveau principe fondamental du droit du travail, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition sociale N° Lexbase : N4879BGS). L'emploi de ce nouveau principe est, également, justifié puisqu'il n'était pas question, ici, d'égalité de rémunération, dans la mesure où était en cause le bénéfice de la médaille du travail et d'un régime de retraite, qui n'entrent pas dans la définition que l'article L. 3221-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0799H9H ; le "salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèce ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier").
(10) En ce sens nos obs. sous Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 07-43.452, préc..
(11) Sur ces éléments, lire nos obs., Egalité salariale, prise en compte des contraintes budgétaires, des parcours professionnels et traitement des salariés issus d'un transfert d'entreprise, Lexbase Hebdo n° 338 du 19 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5632BIG).
(12) Sans parler de la condamnation de la France pour discrimination fondée sur le sexe en raison des dispositions relatives à la retraite des fonctionnaires. Voir la Directive 86/378/CEE du Conseil du 24 juillet 1986, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de Sécurité sociale (N° Lexbase : L9712AUA) et, dernièrement, la délibération n° 2008-237 du 27 octobre 2008 de la Halde demandant l'alignement des droits des hommes sur ceux des femmes dans les régimes de retraite.
(13) Cass. soc., 20 février 2008, n° 05-45.601, Société Alain Bensoussan, FP-P+B (N° Lexbase : A0480D7W) et nos obs., Chaud et froid sur la protection du principe "à travail égal, salaire égal", Lexbase Hebdo n° 295 du 6 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3474BEE).
(14) Cass. soc., 28 avril 2006, n° 03-47.171, Société DEMD Productions c/ Mme Anne Moutot, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2049DPL) et nos obs., L'ancienneté et la situation juridique du salarié dans l'entreprise peuvent justifier une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal", Lexbase Hebdo n° 213 du 4 mai 2006 - édition sociale N° Lexbase : N7835AKE).
(15) Cass. soc., 15 mai 2007, n° 05-42.894, M. François Chavance, FP-P+B (N° Lexbase : A2480DWR), lire nos obs., Principe "à travail égal, salaire égal" et différence de statut juridique dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 261 du 24 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1641BBE).
(16) Sur le refus d'admettre la justification par la différence de diplôme lorsque celle-ci n'est pas pertinente : Cass. soc., 16 décembre 2008, n° 07-42.107, Mme Nissrim Kassase, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9149EBH), Dr. soc., 2009, p. 361, et les obs..
Décision
Cass. soc., 27 mai 2009, n° 08-41.391, Société Evonik Rexim, F-D (N° Lexbase : A3968EHG) Rejet CA Versailles, 17ème ch., 21 décembre 2007 Texte concerné : principe d'égalité de traitement Mots clef : égalité de traitement ; établissements différents ; médaille du travail ; régime de retraite Lien base : |