[Jurisprudence] Requalification d'une société en participation ou l'application du principe "Participe qui peut et non qui veut"

par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

N'est pas associé qui veut mais est associé qui peut. Telle est la conclusion que l'on peut tirer de la décision rendue par la Haute juridiction, le 25 octobre 2005. L'associé d'une société en participation avait, au moment de la cessation des relations contractuelles, demandé la requalification du contrat de participation en un contrat de travail. Les juges du fond avaient refusé d'accéder à sa demande, faisant prévaloir la liberté des parties. La Haute juridiction sanctionne cette position en considérant que, quelle que soit la situation, la volonté des parties est sans incidence sur l'existence d'un contrat de travail, lequel résulte exclusivement des conditions dans lesquelles la prestation de travail est exécutée. Cette solution n'est pas nouvelle, pas plus que le principe sur lequel elle se fonde. L'intérêt de cet arrêt est d'en faire application à la société en participation alors qu'elle ne tombe pas sous le coup de la présomption légale de salariat. Mais, quoi de plus naturel en présence d'un principe général du droit ?




Décision

Cass. soc., 25 octobre 2005, n° 01-45.147, M. Gérard Ravier c/ Société Sovetra, FS-P+B (N° Lexbase : A1443DLZ)

Cassation (CA Besançon, chambre sociale, 26 juin 2001)

Textes visés : C. trav., art. L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL) ; C. civ., art., 1871 (N° Lexbase : L2069ABA) ; C. civ., art. 1832 (N° Lexbase : L2001ABQ)

Mots-clefs : société en participation ; déséquilibre des parties ; lien de subordination ; requalification de la relation en une relation salariée.

Lien bases :

Résumé

La volonté des parties de créer une société en participation est sans effet sur la qualification donnée à la relation de travail. Celle-ci dépend uniquement des conditions dans lesquelles elle est effectuée.

Faits

Une personne a conclu avec la même société deux contrats de même durée, intitulés, l'un "société en participation", l'autre "contrat de location de véhicule". Le premier contrat prévoyait la constitution entre les parties d'une société en participation, la société apportant le fonds de commerce de transport routier et l'individu son activité de chauffeur, qu'il devait entièrement consacrer à l'exploitation du fonds et exercer avec un véhicule donné en location vente par la société.

Après l'expiration de ces contrats, le cocontractant de la société a saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant à la requalification de son contrat en contrat de travail et au paiement de salaires et d'indemnités.

Les juges du fond l'ont débouté de ses demandes, considérant que les associés étaient totalement libres de leur organisation, et que la charte du 22 mai 1996 écarte l'idée même de subordination.

Solution

1. Cassation

2. "Attendu que le contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination de leur convention, mais des conditions dans lesquelles la prestation de travail est fournie".

3. "En statuant ainsi, alors qu'il résultait du contrat de 'société en participation' que les parties n'étaient pas placées sur un pied d'égalité, la société Sovetra disposant seule de tous les pouvoirs pour assurer le fonctionnement de la société, ce qui était de nature à établir qu'elle avait la maîtrise de l'organisation et de l'exécution du travail que M. Ravier devait effectuer, exclusivement pour l'exploitation du fonds de commerce, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Observations

1. Subordination de la relation de travail salariée à la pratique de la relation de travail

  • Indépendance du statut de la volonté des parties

Le contrat de travail est un contrat synallagmatique, à titre onéreux, par lequel le salarié s'engage à fournir un travail, dirigé et rémunéré par l'employeur. Cette définition reste purement théorique et ne vaut que pour les engagements directs et volontaires. Tel n'est, en pratique, pas toujours le cas.

La relation de travail salariée peut résulter de la pratique. Il peut, en effet, arriver que les parties n'aient, au départ, aucunement entendu se soumettre au droit du travail. Dans cette hypothèse, les juges font prévaloir la pratique sur la volonté qu'elles ont exprimée. Ils considèrent que l'existence d'une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination donnée par celles-ci à leur convention, mais des conditions dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur (Ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-15.290, SA Ecole des Roches N° Lexbase : A3665ABD, D. 1983, 381, concl. Cabannes ; Cass. soc., 25 février 2004, n° 01-46.785, F-D N° Lexbase : A3814DBU).

La dénomination du contrat n'a donc aucune incidence sur sa qualification (Cass. soc., 19 décembre 2000, n° 98-40.572, M. Labbane c/ Chambre syndicale des loueurs d'automobiles de place de 2e classe de Paris Ile-de-France et autre, publié N° Lexbase : A2020AIN ; Cass. soc., 29 janvier 2002, n° 99-42.697, FS-P+B+R N° Lexbase : A8606AXZ).

  • Subordination de la relation de travail à l'existence d'un lien de subordination

Les juges doivent, dans ce cas, rechercher la présence d'un lien de subordination qui est caractérisé par l'exécution d'un travail, sous l'autorité d'un employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives (Cass. soc., 13 novembre 1996, n° 94-13.187, Société générale c/ Urssaf de la Haute-Garonne, publié N° Lexbase : A9731ABZ). Pour ce faire, les juges recourent à la technique du faisceau d'indices.

Il n'existe aucune liste prédéterminée des éléments nécessaires pour caractériser le lien de subordination. Celui-ci sera apprécié au cas par cas. Si la détermination par l'employeur du lieu et de l'horaire de travail ainsi que la présence d'une rémunération sont des indices pertinents, c'est surtout le pouvoir d'ingérence de l'employeur dans l'activité de la personne qui sera déterminant de la qualification retenue. C'est l'employeur qui décide de l'activité du salarié, des moyens à mettre en oeuvre, et qui peut le contraindre à rendre compte de son activité.

C'est d'ailleurs ce dernier critère qui a été déterminant de la solution retenue par la Cour de cassation dans la décision commentée.

  • Espèce

Appliquant le principe selon lequel le statut dépend des faits, la Haute juridiction vient casser la décision rendue par les juges du fond. Elle rappelle, à cet effet, que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté des parties, ni de la dénomination de leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité.

Constatant "qu'il résultait du contrat de 'société en participation' que les parties n'étaient pas placées sur un pied d'égalité, la société Sovetra disposant seule de tous les pouvoirs pour assurer le fonctionnement de la société, ce qui était de nature à établir qu'elle avait la maîtrise de l'organisation et de l'exécution du travail que M. Ravier devait effectuer, exclusivement pour l'exploitation du fonds de commerce", elle conclut que la relation existant entre les parties ne pouvait être qu'une relation de travail salariée.

Cette solution ne doit pas surprendre, même s'il faut reconnaître que les manoeuvres de la société pour échapper à la requalification étaient particulièrement élaborées.

2. Caractère de principe général du critère de subordination

  • Une solution annoncée

Une solution identique avait été retenue il y a quelques années dans l'arrêt "Labanne". La Haute juridiction avait fait application de ce principe de subordination de la qualification de la relation aux faits à des chauffeurs de taxis, constatant que, sous l'apparence d'un contrat de location de taxi, était dissimulé un contrat de travail (Cass. soc., 19 décembre 2000, n° 98-40.572, M. Labbane c/ Chambre syndicale des loueurs d'automobiles de place de 2e classe de Paris Ile-de-France et autre, publié N° Lexbase : A2020AIN, Dr. soc. 2001, p. 227, chron. A Jeammaud). L'espèce est quasiment similaire à celle traitée aujourd'hui et la solution résolument identique. A juste titre d'ailleurs.

Une telle solution procède encore des conditions prescrites dans l'article L. 781-1, 2° du Code du travail (N° Lexbase : L6860AC3), qui dispose que les dispositions de ce Code qui visent les apprentis, ouvriers, employés et travailleurs sont applicables aux personnes dont la profession consiste essentiellement à vendre des marchandises ou denrées de toutes natures qui leur sont fournies exclusivement ou presque par une seule entreprise industrielle ou commerciale, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par ladite entreprise. On retrouve ici les critères retenus dans la décision commentée.

L'associé ne pouvait exercer son activité de chauffeur exclusivement pour l'exploitation du fonds, et devait l'exercer avec un véhicule prêté par la société. C'est ainsi la société qui déterminait les modalités d'exécution de sa prestation. La personne ne disposait d'aucune liberté ni initiative. La requalification s'imposait malgré la reprise par le législateur du principe de la subordination de la qualification de la relation de travail aux faits.

L'article L. 120-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1422G9K) prévoit, en effet, que "celui qui a eu recours aux services d'une personne physique immatriculée au registre du commerce et des sociétés [...] dans des conditions qui permettent d'établir l'existence d'un contrat de travail, est tenu au paiement des cotisations [...]". Le législateur vient ici donner un fondement textuel au principe général antérieurement dégagé par la jurisprudence. Ce fondement ne vient toutefois, en aucun cas, en limiter la portée, contrairement à ce qu'avait certainement crû la société...

  • Exclusion potentielle de la société en participation

La tactique de la société, partie à la participation, était particulièrement judicieuse. La création d'une société en participation était théoriquement de nature à faire échapper la relation créée aux règles du droit du travail. La présomption de salariat, posée par l'article L. 120-3 du Code du travail, concerne les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés. Ceci signifie que les autres, c'est-à-dire les personnes non immatriculées, ne peuvent en bénéficier. Tel est le cas de la société en participation qui n'a pas à être immatriculée (C. civ., art. 1871).

Fallait-il, pour autant, laisser libre champ au principe de la liberté contractuelle ? A l'instar de la Cour de cassation, il semble impératif de répondre à cette question par la négative.

  • Conséquences de l'existence d'un principe général

Les sociétés en participation tombent sous le coup du principe général dégagé par la jurisprudence, en vertu duquel la seule volonté des parties est impuissante à soustraire un salarié du statut social qui découle nécessairement des conditions d'accomplissement de son travail (Ass. plén., 4 mars 1983, précité ; Cass. soc., 19 déc. 2000, précité). Cette qualification de principe général emporte certaines conséquences, notamment sur l'autorité du principe.

Un principe général est un principe fondamentalement jurisprudentiel qui dispose d'une portée telle qu'il trouve application toutes les fois que le législateur n'en a pas disposé autrement. La reprise de ce principe par le législateur renforce son autorité, mais ne vient aucunement en limiter la portée.

La liberté, inhérente à ce type de société, ne peut faire obstacle à l'application du principe général dégagé par la jurisprudence travailliste. Il faut donc s'y résoudre et constater que, le tout n'est plus de vouloir être associé... Encore faut-il le pouvoir !