[Jurisprudence] Validité limitée des clauses d'obligation de résidence

par Chrystelle Alour, Rédactrice en droit social

En droit du travail comme dans les autres domaines du droit où l'une des parties est protégée, la liberté contractuelle est limitée. Certes, en principe, les parties sont libres de fixer le contenu du contrat. Mais elles doivent tenir compte de l'ordre public et des règles fondamentales qui visent à éviter tout déséquilibre issu d'un rapport de force inégal. A ce titre, les juges se réfèrent à certains textes, comme l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI), qui impose un rapport de proportionnalité entre les restrictions apportées aux libertés individuelles et collectives et la nature de la tâche à accomplir et le but recherché. C'est en se fondant sur ce texte que la Cour de cassation, dans une décision en date du 12 juillet 2005, a cassé un arrêt qui avait admis la validité d'une clause d'obligation de résidence imposée à un avocat stagiaire. Elle rappelle, par ailleurs, les exigences légales de paiement du salaire et rejette la possibilité d'un paiement différé au départ du salarié.


Décision

Cass. soc., 12 juillet 2005, n° 04-13.342, Ordre des avocats de Bayonne, pris en la personne de son bâtonnier en exercice c/ société Fidal, FS-P+B (N° Lexbase : A9337DIN)

Cassation (CA de Pau, du 16 février 2004)

Textes visés : C. civ., art. 9 (N° Lexbase : L3304ABY) ; C. trav., art. L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI) ; C. trav., art. L. 143-2 (N° Lexbase : L5755AC7)

Mots-clefs : contrat de travail ; clause de résidence ; nullité ; protection de la vie privée ; paiement du salaire.

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Résumé

La recherche d'une "bonne intégration dans l'environnement local" de son personnel ne peut permettre à un employeur d'imposer une clause d'obligation de résidence à un avocat salarié.

Une clause du contrat de travail ne peut prévoir de retard dans le versement de la rémunération.

Faits

L'une des clauses contenues dans un contrat signé par un avocat stagiaire avec une société s'intitulait "domicile personnel" et stipulait : "le cabinet attachant une importance particulière à la bonne intégration de l'avocat dans l'environnement local, le domicile personnel de ce dernier doit être établi de manière à favoriser cette intégration".

Une autre clause, intitulée "règlement de la rémunération lors du départ de la société" prévoyait que "le règlement définitif de la rémunération intervient dans les six mois suivant le départ effectif".

Contre l'avis du conseil de l'ordre, l'arrêt de la cour d'appel de Pau a validé ces deux clauses.

Solution

"La clause litigieuse fonde l'obligation faite à l'avocat de fixer son domicile au lieu d'implantation du cabinet sur la seule nécessité d'une 'bonne intégration de l'avocat dans l'environnement local' ; "un tel objectif ne peut justifier l'atteinte portée à la liberté individuelle de l'avocat salarié".

Sur la clause relative au paiement du salaire : "En statuant ainsi, alors que cette clause est manifestement contraire aux exigences légales de paiement du salaire, peu important qu'elle n'ait pas à produire ses effets dès la conclusion du contrat, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Commentaire

1. Validité limitée des clauses d'obligation de résidence

La Convention de Rome de 1950 (N° Lexbase : L6799BHB) prévoit que quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence. De son côté, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, dans son article 8 (N° Lexbase : L4798AQR), stipule que toute personne a droit au respect de son domicile. Un droit auquel se rattache le libre choix du domicile personnel et familial.

Malgré la rigueur de ces textes, les clauses d'obligation de résidence ne sont pas nulles par principe. Mais, comme elles impliquent une restriction à une liberté fondamentale du salarié et portent indirectement atteinte à sa vie privée, elles doivent se conformer à certains principes et, notamment, à l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI). Ce texte prévoit que "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché". Autrement dit, des restrictions peuvent être apportées aux libertés et aux droits des personnes mais elles doivent être justifiées par la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

C'est ainsi que la Cour de cassation a déjà admis des restrictions à la liberté d'expression (Cass. soc., 14 décembre 1999, n° 96-40.755, M. Spileers c/ Société Omni Pac, publié N° Lexbase : A4618AG7). C'est ainsi également que les concierges, employés d'immeubles, femmes de ménage d'immeuble à usage d'habitation logent dans l'immeuble au titre d'accessoire du contrat de travail (C. trav., art. L. 771-1 N° Lexbase : L6946G97). Pour ces employés, le logement sur place correspond à la nature de la tâche à accomplir, dès lors que l'obligation n'est pas mise en oeuvre de manière disproportionnée et qu'une certaine marge de liberté leur est réservée.

En dehors de ce cas particulier, la Cour de cassation applique un contrôle rigoureux des clauses d'obligation de résidence. Si elles ne sont pas nulles par principe, elles ne sont, pour ainsi dire, jamais reconnues valides. A titre d'exemple, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que dès lors que les salariés peuvent exécuter les tâches qui leur sont confiées tout en résidant à l'extérieur des lieux de travail, la clause d'obligation de résidence est nulle (Cass. soc., 13 avril 2005, n° 03-42 .965, Société Eure-et-Loire habitat c/ M. André Billaud, FS-P+B N° Lexbase : A8766DH7, lire Gilles Auzero, Précisions quant aux conditions de validité des clauses d'obligation de résidence, Lexbase Hebdo n° 165 du 28 avril 2005 - édition sociale N° Lexbase : N3559AIN).

Par ailleurs, un licenciement ne peut être fondé sur le refus du salarié d'accepter un poste de reclassement non conforme aux prescriptions du médecin du travail dans la mesure où la proposition de l'employeur implique une obligation de résidence (Cass. soc., 5 janvier 1999, n° 97-40.006, Société Isover Saint-Gobain miroirs c/ M. Jean Stephan, inédit N° Lexbase : A8022CM3).

Rappelons, enfin, que si l'employeur ne peut imposer un domicile à un salarié, les principes relatifs au respect de la vie privée l'empêchent également d'imposer au salarié de travailler à son domicile, ou d'y installer ses dossiers et ses instruments de travail (Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.727, M. Victor Abram c/ Société Zurich assurances, publié N° Lexbase : A6254AGQ).

Dans l'affaire du 12 juillet 2005, la clause litigieuse imposait à l'avocat de fixer son domicile au lieu d'implantation du cabinet sur la seule nécessité d'une "bonne intégration de l'avocat dans l'environnement local". Dans son attendu de principe, la Cour de cassation affirme que "toute personne dispose de la liberté de choisir son domicile". Elle poursuit en reprenant le texte de l'article L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI). La Cour de cassation estime qu'un tel objectif ne pouvait justifier l'atteinte portée à la liberté individuelle de l'avocat salarié.

Sa décision doit être approuvée car; en l'espèce, la nature de tâche à accomplir ne pouvait manifestement pas justifier une telle restriction à la liberté de choisir son domicile... à moins d'admettre que tout salarié travaillant dans une profession libérale doive se soumettre à ce type d'exigence afin de s'intégrer dans son environnement local.

2. Les règles de paiement du salaire

Si la rémunération constitue pour le salarié l'élément essentiel de la relation de travail, elle représente pour l'employeur l'obligation principale issue de ce contrat. Dès lors, le fait de ne pas verser le salaire convenu entraîne la rupture du contrat de travail (Cass. soc., 28 avril 2004, n° 90-44.648, Société ABCI Travail temporaire c/ Mme Violette, inédit N° Lexbase : A3757AAE).

Bien plus, l'employeur ne peut payer tardivement le salaire. Un tel agissement peut entraîner sa condamnation au paiement d'intérêts moratoires (C. civ., art. 1153 N° Lexbase : L1254AB3) ainsi qu'à l'amende prévue pour les contraventions de troisième classe (C. trav., art. R. 154-3 N° Lexbase : L8755ACA).

Toutefois, la Cour de cassation a eu l'occasion de décider qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer l'article 1153 du Code civil si l'existence, pour le salarié, d'un préjudice indépendant du retard de paiement et la mauvaise foi de l'employeur n'étaient pas démontrés (Cass. soc., 13 novembre 2003, n° 01-46.177, F-P N° Lexbase : A1311DAS).

Le versement du salaire demeure si bien encadré par les textes que la Cour de cassation estime que le juge ne peut accorder de délais de paiement dans ce domaine (Cass. soc., 18 novembre 1992, n° 91-40.596, M. Lorek c/ Société Davre Rémy et Serge, publié N° Lexbase : A3792AAP).

Dans l'affaire qui nous intéresse, le contrat de travail prévoyait la possibilité pour l'employeur de payer la rémunération dans les six mois du départ effectif du salarié. Un retard dans le paiement du salaire était donc contractuellement prévu. Pour refuser d'annuler cette clause, l'arrêt de cour d'appel retenait qu'elle ne concernait pas immédiatement le salarié. En effet, elle était censée s'appliquer le jour où la société lui proposerait une rémunération proportionnelle.

Ce raisonnement est cassé par la Haute juridiction qui estime que cette clause est manifestement contraire aux exigences légales de paiement du salaire. Une précision importante est ici à retenir : la nullité de la clause est prononcée alors même qu'elle n'a pas à produire ses effets dès la conclusion du contrat. La position de la Cour est ici conforme au droit : une clause contraire aux exigences légales, contenue dans un contrat de travail, doit pouvoir être annulée, quel que soit le moment de son application effective.

Enfin, on remarquera que dans les deux cas évoqués par l'arrêt du 12 juillet 2005, seule la nullité de la clause litigieuse est prononcée. Une nullité circonscrite qui s'explique par un souci de protection que l'on retrouve également dans d'autres domaines, comme celui des clauses abusives, en droit de la consommation : le législateur a voulu permettre à la partie protégée de pouvoir agir pour faire valoir ses droits, sans pour autant perdre le bénéfice du contrat dans son ensemble.