Cour de Cassation
Arrêt du 5 janvier 1999
société Isover Saint-Gobain miroirs
c/ M. Jean ...
Président M. MERLIN conseiller
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la société Isover Saint-Gobain miroirs, dont le siège est Courbevoie,
en cassation d'un arrêt rendu le 3 octobre 1996 par la cour d'appel de Rennes (8e chambre, section A), au profit de M. Jean ..., demeurant Oudon,
défendeur à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 9 novembre 1998, où étaient présents M. Merlin, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, Mme Bourgeot, conseiller référendaire rapporteur, MM. ..., ..., conseillers, Mme Duval-Arnould, conseiller référendaire, M. de Caigny, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Bourgeot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. ..., les conclusions de M. de Caigny, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique
Attendu que M. ..., engagé le 31 août 1972, par contrat de travail écrit contenant une clause de mobilité géographique, en qualité d'agent technico-commercial par la société Isover Saint-Gobain, a été victime, le 11 octobre 1990, d'un accident du travail entraînant un arrêt de travail jusqu'au 30 septembre 1991 ; qu'après avoir repris son travail dans le cadre du mi-temps thérapeutique prescrit par le médecin du travail, le médecin du travail l'a déclaré, le 14 septembre 1992 apte à reprendre à plein temps après étude du poste de travail, à condition que le salarié n'ait pas à effectuer de trajets trop longs, sans s'arrêter ; que l'employeur lui a proposé, le 22 septembre 1992, un poste identique à celui précédemment occupé, dans les mêmes conditions financières, mais relevant d'un autre secteur géographique et impliquant l'obligation de résider dans le secteur ; que le salarié ayant accepté cette proposition, sous réserve de pouvoir continuer à résider à son domicile d'origine, l'employeur a refusé de prendre à sa charge les frais d'hôtel induits par l'attitude du salarié et l'a licencié, le 21 octobre 1992, pour refus de réintégration de son poste ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué (Rennes, 3 octobre 1996) d'avoir infirmé le jugement du conseil de prud'hommes et de l'avoir condamné à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts par application de l'article L. 122-32-7 du Code du travail, alors, selon le moyen, d'une part, que la société Isover Saint-Gobain a effectivement respecté les termes de l'article L. 122-32-4 du Code du travail applicable en l'espèce, qui prévoit que 'A l'issue des périodes de suspension le salarié retrouve son emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération équivalente' ; que M. ... s'est vu proposer un emploi qui, au demeurant, tenait compte des indications du médecin du travail, la société mettant tout en oeuvre pour lui offrir un poste identique à celui qu'il occupait avant son départ, dans les mêmes conditions financières et au sein de la même délégation de Rennes ; qu'il convient d'insister sur les efforts réels et importants mis en place au profit du salarié, la société acceptant de créer un poste artificiel pour faciliter la réadaptation de M. ... dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique ;
qu'en effet, l'effort notamment financier consenti dans une équipe d'une dizaine de personnes ne pouvait plus être poursuivi ; qu'en outre, il importe de souligner que la mobilité géographique qui a été demandée au salarié entrait dans le cadre de la clause de mobilité géographique prévue dès l'origine des relations contractuelles ainsi qu'il résulte du contrat de travail ; que M. ... ne peut donc valablement prétendre qu'il s'agit là d'une modification substantielle de son contrat de travail ;
que la société s'est efforcée de maintenir un emploi vacant durant près d'un an afin d'être en mesure de le lui proposer en vue de son reclassement ; que cet effort, réellement considérable, traduit la volonté non-équivoque de reclasser le salarié qui prétend, bien à tort, que l'on a cherché à se 'débarrasser' de lui ; que la société Isover, dans l'intérêt de l'entreprise, est très favorable à la mobilité géographique de ses commerciaux et procède à des mutations nombreuses en application des clauses de mobilité géographique systématiquement prévues dans les contrats ; que la proposition d'une nouvelle affectation prévoyait expressément que le salarié, à l'instar de tous les cadres commerciaux, devrait résider sur son secteur et qu'il bénéficierait des aides à la mobilité en vigueur dans la société ; que ces aides sont tout à fait significatives et consistent dans les mesures suivantes une indemnité de transfert dont le montant est calculé en prenant compte 3 éléments, à savoir le coefficient géographique, le nombre de parts fiscales, le barème de base de la société Isover, ainsi que le règlement des frais annexes tels que déménagement, éventuellement le double loyer et les frais d'agence, les frais de voyage et de séjour, enfin les frais de séjour transitoire ; que dans sa réponse du 25 septembre 1992, M. ... fait savoir à la société qu'il souhaite continuer à être domicilié à Oudon comme par le passé, sa famille étant prétendument dans l'impossibilité de déménager du fait du statut d'exploitante agricole de son épouse ; qu'il demande, en outre, pour tenir compte de suggestions médicales quant au kilométrage, de s'organiser comme sur son précédent secteur, ce qui implique la prise en charge par la société de trois soirées d'hôtel
; que c'est alors que la société Isover lui fait connaître les motifs de son refus du maintien de sa résidence à Oudon, justifié notamment par les pertes de temps, les coûts de fonctionnement supplémentaires et surtout les recommandations médicales qui précisent qu'un poste dans une région de 150 à 200 km de son domicile est souhaitable ; que M. ... demande alors que son ancien secteur lui soit attribué, considérant que l'obligation qui lui est faite de résider sur place -mesure visant l'ensemble des cadres commerciaux sans exception- est une mesure discriminatoire en liaison avec son accident du travail, faisant fi de la situation du titulaire du poste, qui, au demeurant, donnait toute satisfaction ; que le salarié a donc refusé d'intégrer le nouveau poste en voulant dicter ses propres conditions à son employeur, sachant pertinemment que le changement de résidence était une condition sine qua non ; que le salarié fait valoir un 'usage' valant avantage acquis selon lequel la règle du lieu de résidence ne lui aurait pas toujours été appliquée ; que cet argument ne saurait être raisonnablement accueilli alors même que l'état de santé du salarié exigeait qu'il ménageât ses efforts ; que le salarié considère que la société aurait dû prendre en charge 3 nuits d'hôtel sans se soucier pour autant des directives imposées par la direction générale de réduire les budgets dans cette période de crise ; que M£ Stephan ne peut ignorer la réalité et l'importance des difficultés économiques d'Isover qui ont rendu inévitable un plan social concernant 73 salariés ; que M. ... invoque pour refuser de déménager, le statut d'exploitante agricole de son épouse ; que néanmoins, il produit un avis fiscal au titre de l'impôt sur le revenu 1990 et 1991, faisant apparaître que son conjoint a déclaré un déficit fiscal respectivement de 13 727 francs et 14 874 francs ; qu'il s'agit donc uniquement
de convenances personnelles non justifiées et non d'un véritable motif et en l'espèce, le refus de M. ... apparaît à la fois comme injustifié et abusif ; alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait énoncer que compte-tenu de l'existence de réserves, cet avis devait s'analyser comme un avis d'aptitude partielle ce qui rendait applicable les dispositions de l'article L. 122-32-5 du Code du travail et obligeait l'employeur à proposer un poste au salarié tenant compte des indications du médecin du travail ; qu'en effet, l'article L. 122-32-5 du Code du travail vise exclusivement l'hypothèse où le salarié est déclaré inapte à reprendre, à l'issue des périodes de suspension, l'emploi qu'il occupait précédemment ; qu'en l'espèce, M. ... n'a pas été déclaré inapte à reprendre son emploi, le médecin du travail ayant bien précisé dans son courrier du 14 septembre 1992 que 'M. ... est en mesure de reprendre un travail à plein temps, à condition qu'il n'ait pas à effectuer de trajets trop longs sans s'arrêter' ; que c'est donc bien à tort que la cour d'appel a estimé qu'en application de l'article L. 122-32-7 du Code du travail M. ..., licencié en méconnaissance de l'article L. 122-32-5 de ce Code, pouvait prétendre à une indemnité alors même que les dispositions de l'article L. 122-32-4 du même Code avaient été respectées dès lors que le salarié s'était bien vu proposer un poste similaire assorti d'une rémunération équivalente ; que si l'on se réfère à la volonté du législateur qui semble considérer, dans tous les cas, la rupture
du contrat de travail d'un salarié victime d'un accident du travail comme un licenciement, en cas de refus par le salarié d'un emploi similaire, la rupture doit être considérée comme un licenciement ouvrant droit aux indemnités de rupture de droit commun, c'est-à-dire, au cas particulier, à l'indemnité conventionnelle de licenciement ; que le manque de base légale est flagrant ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a exactement décidé que compte-tenu de la nature des réserves émises par le médecin du travail sur l'aptitude du salarié, l'employeur était tenu par application de l'article L. 122-32-5 du Code du travail, de proposer à l'intéressé un poste adapté à sa nouvelle capacité ;
Et attendu, ensuite, que la cour d'appel, qui a exactement décidé que la clause de mobilité contenue dans le contrat de travail ne permettait pas à l'employeur d'imposer au salarié un changement de résidence, a constaté, d'une part, que la proposition faite par l'employeur, dans la mesure où elle imposait une obligation de résidence, n'était pas conforme aux prescriptions médicales et, d'autre part, que l'employeur ne justifiait pas être dans l'impossibilité de proposer un emploi correspondant aux indications du médecin du travail ; qu'elle en a exactement déduit que le licenciement, qui ne pouvait être fondé sur le refus du salarié d'accepter un poste de reclassement non conforme aux prescriptions du médecin du travail, avait été prononcé en violation de l'article L. 122-32-5 du Code du travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Isover Saint-Gobain miroirs aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Isover Saint-Gobain miroirs à payer à M. ... la somme de 12 000 francs ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Isover Saint-Gobain miroirs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.