[Jurisprudence] Cession d'unités de production après liquidation judiciaire et transfert des contrats de travail : la Cour de cassation maintient le cap !



Le transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise entraîne de plein droit la poursuite des contrats de travail qui en relèvent avec le nouvel employeur. Tel est, on le sait, le sens de la règle posée par le célébrissime article L. 122-12, alinéa 2 du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY). Il est, cependant, des hypothèses où la loi elle-même autorise des dérogations à cette règle, admettant la validité des licenciements opérés antérieurement à un transfert d'entreprise. Il en va ainsi lorsque l'entreprise est soumise à une procédure collective ou, plus exactement, lorsqu'elle est en phase de redressement judiciaire. En effet, lorsque la cession d'une unité de production intervient après le prononcé de la liquidation judiciaire, la loi ne prévoit aucune exception à l'application de l'article L. 122-12 du Code du travail. Par suite, dès lors qu'une telle cession est autorisée par le juge-commissaire, les contrats de travail doivent être maintenus et les licenciements prononcés antérieurement déclarés sans effet. C'est cette solution, pour le moins critiquable, que la Cour de cassation vient confirmer dans un arrêt du 19 avril 2005.


Décision

Cass. soc., 19 avril 2005, n° 03-43.240, Mme Olivia Biard c/ Société ACEB Electronique et autres, F-P+B (N° Lexbase : A9680DHY)

Cassation de CA Versailles (11e chambre sociale), 12 février 2003

Textes visés : article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L7012AIK) et L. 122-12 du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY)

Mots-clefs : liquidation judiciaire ; cession globale d'une unité de production ; transfert d'une entité économique autonome (oui) ; maintien des contrats de travail (oui) ; licenciement avant transfert dépourvu d'effet.

Lien base :



Faits

1. La liquidation judiciaire de la société ACEB ayant été ouverte le 6 mai 1999 et le maintien provisoire de son activité autorisé jusqu'au 31 mai, Mme Biard, employée depuis 1990 en qualité de gestionnaire commerciale, a été licenciée pour motif économique, le 26 mai 1999, par le mandataire liquidateur. Par ordonnance du 29 juillet de la même année, le juge-commissaire a autorisé la cession de l'entreprise à la société ACEB Electronique et donné acte au cessionnaire de la reprise de l'ensemble des salariés à l'exception de Mme Biard. Celle-ci a alors saisi la juridiction prud'homale.

2. Pour décider que le contrat de travail de la salariée ne s'était pas poursuivi avec le cessionnaire, l'arrêt relève que l'article L. 122-12 du Code du travail n'est pas applicable lorsque le juge-commissaire autorise la cession des éléments du fonds de commerce et prévoit le licenciement d'un ou de plusieurs salariés, en application de l'article 83 de la loi du 25 janvier 1985 auquel renvoie l'article 155 de la même loi.



Problème juridique

L'article L. 122-12 du Code du travail doit-il recevoir application lorsque le juge-commissaire autorise la cession d'une unité de production composée de tout ou partie de l'actif mobilier ou immobilier d'une entreprise en liquidation judiciaire ?



Solution

1. Cassation pour violation des articles L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L7012AIK) et L. 122-12 du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY).

2. "selon l'article L. 622-17 du Code de commerce, la cession globale des unités de production composées de tout ou partie de l'actif mobilier ou immobilier de l'entreprise en liquidation judiciaire peut être autorisée par le juge-commissaire ; que, pour choisir l'offre de reprise, qui lui paraît la plus sérieuse, le juge-commissaire doit vérifier, outre que cette offre permet dans les meilleures conditions d'assurer durablement l'emploi, que l'unité de production dont la cession est envisagée correspond à un ensemble d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre ; qu'il en résulte que la cession réalisée en vertu de cette autorisation entraîne de plein droit le transfert d'une entité économique autonome et, par voie de conséquence, la poursuite avec le cessionnaire des contrats de travail des salariés des unités transférées, peu important qu'ils aient été licenciés par le mandataire-liquidateur avant la cession ainsi que l'interruption de courte durée de l'activité cédée" ;

3. "en statuant comme elle l'a fait, alors que la cession globale des unités de production avait été autorisée par le juge-commissaire, en sorte qu'une entité économique autonome dont l'identité s'était maintenue avait été transférée au cessionnaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Commentaire

1. Cession globale d'une unité de production et maintien des contrats de travail

  • Le maintien des contrats de travail en cas de transfert d'entreprise

Il n'est guère besoin de s'étendre sur la règle fondamentale posée par l'article L. 122-12, alinéa 2 du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY) qui dispose que "s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours subsistent entre le nouvel entrepreneur et le personnel de l'entreprise".

Partant, et dans le respect tant des directives communautaires que de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, la Cour de cassation considère que le transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise entraîne de plein droit la poursuite des contrats de travail qui en relèvent avec le nouvel employeur, tenu de conserver à son service le personnel attaché à l'entité transférée (v., sur l'ensemble de cette question, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 22ème éd., 2004, pp. 425 et s.). En d'autres termes, dès lors que les conditions d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, telles que précisées par la jurisprudence sont réunies, les contrats de travail continuent de produire effet en la personne du cessionnaire. Par suite, les licenciements qui auraient été prononcés avant l'opération de transfert pour éluder l'application de l'article L. 122-12, sont privés d'effet et le contrat de travail subsiste avec le nouvel employeur (Cass. soc., 20 janvier 1998, n° 95-40.812, Monsieur Guermonprez c/ Monsieur d'Abrigeon, publié N° Lexbase : A2504ACQ, Dr. soc. 1998, p. 297, obs. R. Vatinet).

  • Exceptions légales au maintien des contrats de travail en cas de transfert d'entreprise

Les dérogations légales aux effets de l'article L. 122-12 du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY) sont en nombre limité et intéressent l'entreprise soumise à une procédure collective. Il s'agit, d'abord, des licenciements prononcés au cours de la période d'observation, avec l'autorisation du juge-commissaire chargé de vérifier qu'ils sont urgents, inévitables et indispensables (C. com., art. L. 621-37 N° Lexbase : L6889AIY). Il s'agit ensuite des licenciements qui sont prévus et autorisés par le jugement qui arrête le plan de redressement par continuation ou par cession (C. com., art. L. 621-64 N° Lexbase : L6916AIY). Ainsi qu'il l'a été relevé, "dès lors que le cadre fixé par l'autorisation est respecté, le contrat de travail est valablement rompu, nonobstant le transfert ultérieur ou concomitant de l'entreprise. Seuls pourront donc être contestés les aspects individuels de ces licenciements (obligation de reclassement, ordre des licenciements), à moins que le salarié ne prouve que l'autorisation de licencier a été obtenue par fraude" (P. Bailly, "Licenciements et L. 122-12 : nullité ou inefficacité ?", Sem. soc. Lamy n° 1211 du 18 avril 2005, p. 7).

Telle n'était pas la situation dans l'espèce commentée, la société ayant été mise en liquidation judiciaire. Or, curieusement, le Code du travail ne prévoit en la matière aucune dérogation aux effets de l'article L. 122-12.

  • Le maintien des contrats de travail en cas de liquidation judiciaire

Le Code de commerce ne prévoit aucune procédure d'autorisation de licenciement dans le cadre de la liquidation judiciaire ou, plus exactement, aucune procédure de licenciement faisant exception à la règle du maintien des contrats de travail. Il faut, en effet, comprendre que rien ne s'oppose à ce que des licenciements pour motif économique soient prononcés par le mandataire liquidateur en application de la décision prononçant la liquidation. Bien au contraire, l'article L. 622-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L7000AI4) l'envisage. Mais, curieusement, ce même code ne contient aucune disposition expresse indiquant que ces licenciements font échec à l'application de l'article L. 122-12 (N° Lexbase : L5562ACY). Il en résulte, par conséquent, que la cession globale d'une unité de production autorisée par le juge-commissaire en application de l'article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L7012AIK) peut entraîner de plein droit la poursuite avec le cessionnaire des contrats de travail de l'unité de production cédée et rendre sans effet les licenciements prononcés par le mandataire liquidateur avant la cession. Une telle conséquence a pu, non sans raison, être critiquée en ce qu'elle conduit à imposer au cessionnaire de reprendre tout le personnel de l'entité cédée, ce qui n'est guère conforme aux réalités économiques (en ce sens, L. Moreuil et P. Morvan, "Cession d'unités de production après liquidation judiciaire et transfert des contrats de travail : un revirement ou une réforme s'impose" : JCP éd. E 2004, p. 2060). Toutefois, et ainsi que le souligne M. Pierre Bailly, "le silence regrettable du législateur de 1985 ne permet d'envisager dans ce cas aucun dérogation légale aux effets de l'article L. 122-12" (op. cit., p. 8).

Cela étant, ces assertions n'ont de sens que si la cession globale d'une unité de production, au sens de l'article L. 622-17, peut être analysée comme le transfert d'une entité économique autonome. Or, ainsi que le souligne, en l'espèce, la Cour de cassation, "pour choisir l'offre de reprise qui lui paraît la plus sérieuse, le juge -commissaire doit vérifier, outre que cette offre permet dans les meilleures conditions d'assurer durablement l'emploi, que l'unité de production dont la cession est envisagée correspond à un ensemble d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre" (1). Et la Chambre sociale d'en déduire "qu'il en résulte que la cession réalisée en vertu de cette autorisation entraîne de plein droit le transfert d'une entité économique autonome" (v. déjà en ce sens : Cass. soc., 27 octobre 1999, n° 97-43.194, Société La Dunoise c/ M Gosselin et autres, publié N° Lexbase : A4776AGY, Dr. soc. 1999, p. 1114, obs. R. Vatinet).

Le raisonnement est donc le suivant : dès lors que le juge commissaire a autorisé la cession globale d'une unité de production, une entité économique autonome dont l'identité s'est maintenue a été transférée au cessionnaire, pour la bonne raison que ce dernier doit vérifier, en amont, que l'unité de production dont la cession était envisagée correspondait à un ensemble d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre. On admettra que le cercle est quelque peu vicieux et que le raisonnement, qui peut certes s'autoriser des prescriptions de la loi (2), conduit à une conséquence pour le moins contestable puisque les contrats de travail antérieurement rompus seront sans effets.

2. Le sort des contrats de travail illégalement rompus

  • Une rupture dépourvue d'effet

Lorsque le transfert d'une entité économique autonome a été caractérisé, cela entraîne, en application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), la poursuite avec le cessionnaire des contrats de travail des salariés des unités transférées, peu important, ainsi que le rappelle, en l'espèce, la Cour de cassation, qu'ils aient été licenciés par le mandataire liquidateur avant la cession ainsi que l'interruption de courte durée de l'activité cédée.

De façon plus générale, on sait que la Chambre sociale décide que les licenciements intervenus en méconnaissance de l'article L. 122-12 sont sans effet, de sorte que, le contrat de travail n'ayant pas été rompu, le cessionnaire est tenu de reprendre le personnel de l'entité transférée. Cette règle fait l'objet d'une application rigoureuse. Ainsi, et tel était sans doute le cas dans l'arrêt commenté, il importe peu lorsque le licenciement réalisé antérieurement au transfert ait pu être parfaitement régulier et reposer sur une cause économique avérée, de sorte que sa validité n'était pas alors discutable. Il devient inopérant, par l'effet d'un évènement postérieur, en l'occurrence la cession globale d'une unité de production. Ce qui démontre au passage que ce licenciement n'est pas nul mais sans effet, ainsi que le précise à chaque fois qu'elle en a l'occasion, la Cour de cassation (sur la distinction entre ces deux sanctions, v. P. Bailly, art. préc.). Le licenciement étant dépourvu d'effet, le salarié va pouvoir en tirer toutes les conséquences.

  • Les conséquences de l'absence d'effet de la rupture

Le licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-12 (N° Lexbase : L5562ACY) étant sans effet, le salarié doit pouvoir obtenir du cessionnaire la poursuite de son contrat de travail, qui est censé ne jamais avoir été rompu, en s'adressant au besoin au juge des référés prud'homal, pour faire cesser le trouble manifestement illicite que constitue le refus du nouvel employeur d'exécuter le contrat de travail (en ce sens P. Bailly, op. cit., p. 9 in fine).

Il convient, cependant, de rappeler que, lorsque le cessionnaire de l'entreprise ne s'est pas manifesté auprès du salarié licencié, celui-ci "peut, à son choix, demander au repreneur la poursuite du contrat de travail illégalement rompu ou demander à l'auteur du licenciement illégal la réparation du préjudice en résultant" (Cass. soc., 20 mars 2002, n° 00-41.651, FS-P+B+R N° Lexbase : A3121AYA, Dr. soc. 2002, p. 516, note A. Mazeaud). Notons qu'une telle option était offerte, en l'espèce, à la salariée irrégulièrement licenciée qui avait cependant choisi de demander la poursuite de son contrat de travail avec le cessionnaire. Demande à laquelle la Cour de cassation a, inévitablement, donné gain de cause.

En revanche, si le cessionnaire de l'entreprise a informé le salarié licencié, avant l'expiration du préavis, de son intention de poursuivre, sans modification, le contrat de travail, le salarié ne peut pas se prévaloir du licenciement irrégulier. S'il ne répond pas à la proposition du cessionnaire, il ne peut pas obtenir de dommages-intérêts de l'auteur du licenciement (Cass. soc., 11 mars 2003, n° 01-41.842, FS-P+B+I N° Lexbase : A3883A7X, Dr. soc. 2003, p. 474, rapport P. Bailly). Cette solution est logique dans la mesure où l'absence d'effet de la rupture est également opposable au salarié licencié qui ne peut échapper au changement d'employeur. Cela démontre, si besoin était, le caractère impératif de la règle posée par l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail.

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Il convient de noter que l'article L. 622-17 (N° Lexbase : L7012AIK) n'exige pas expressément du juge-commissaire qu'il procède à cette dernière vérification. Posée par la jurisprudence, cette exigence peut néanmoins s'inférer de l'esprit du texte et, plus largement, de la loi de 1985.

(2) Il devrait normalement être mis un terme à cette curieuse situation consécutivement à l'adoption du projet de loi sur la sauvegarde des entreprises (en ce sens, P. Bailly, op. cit., p. 8).