[Jurisprudence] L'obligation de sécurité du salarié ou l'importance du port du casque !



Lorsque l'on évoque la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité, on songe immédiatement aux exigences légales et réglementaires qui pèsent, à ce titre, sur le chef d'entreprise ou sur un éventuel délégataire de pouvoirs. On ne saurait, toutefois, oublier que l'article L. 230-3 du Code du travail (N° Lexbase : L5947ACA) impose également une obligation de sécurité à tout salarié, que ce soit au regard de sa propre personne ou de celle de ses collègues de travail. Une telle obligation ne saurait être minimisée, d'autant que la Cour de cassation lui a donné toute sa portée en décidant, récemment il est vrai, que sa violation par un salarié pouvait être sanctionnée sur le plan disciplinaire. C'est ce que vient confirmer la Chambre sociale dans une décision rendue le 23 mars 2005, qui invite à la fois à revenir sur l'obligation de sécurité pesant sur le salarié et sur son inexécution.


Décision

Cass. soc., 23 mars 2005, n° 03-42.404, M. Michel Levrat c/ Société Satras, F-P+B (N° Lexbase : A4236DHD)

Rejet (CA Lyon, ch. soc., 28 janvier 2003)

Texte concerné : article L. 230-3 du Code du travail (N° Lexbase : L5947ACA)

Mots-clés : obligation de sécurité de salarié ; violation ; responsabilité ; faute grave ; licenciement

Liens base :

Faits

1. M. Levrat, chef de chantier de la société Satras, a été licencié pour faute grave en raison de son refus réitéré de porter le casque de sécurité obligatoire.

2. Le salarié fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé qu'un tel refus était constitutif d'une faute grave, alors que les faits ne seraient pas avérés et que le licenciement pour manquement à des règles de sécurité ne pourrait justifier qu'un licenciement pour cause réelle et sérieuse et non pour faute grave.

Problème juridique

Les manquements d'un salarié à l'obligation légale de prendre soin de sa sécurité et de sa santé, ainsi que de celle des autres personnes concernées, peuvent-ils entraîner le licenciement de ce dernier pour faute grave ?

Solution

1. Rejet

2. "En cas de manquement à l'obligation qui lui est faite par l'article L. 230 -3 du Code du travail de prendre soin de sa sécurité et de sa santé, ainsi que de celle des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail, un salarié engage sa responsabilité et une faute grave peut être retenue contre lui".

3. "La cour d'appel qui, analysant les éléments de preuve soumis à son examen, a constaté que M. Levrat n'avait pas respecté l'obligation de porter un casque de sécurité, a pu décider qu'il avait commis une faute grave".

Observations

1. L'obligation de sécurité du salarié

1.1. Les contours de l'obligation de sécurité du salarié

L'article L. 230-3 du Code du travail (N° Lexbase : L5947ACA) est issu d'une loi du 31 décembre 1991 (N° Lexbase : L8301AIB), intervenue pour transposer dans notre législation la directive européenne 89-391 du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (N° Lexbase : L9900AU9). Il résulte de cette disposition que, conformément aux instructions qui lui sont données par l'employeur ou le chef d'établissement (et dans les conditions prévues par le règlement intérieur pour les entreprises qui y sont assujetties), il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail.

Ainsi qu'il a été à juste titre relevé, c'est d'abord une obligation d'obéissance qui est rappelée par la loi. Mais, dans le cadre défini par l'employeur, une part d'initiative est néanmoins attendue des salariés qui doivent prendre soin de leur propre santé mais aussi des autres personnes concernées du fait de leurs actes ou de leurs omissions (R. Vatinet, En marge des "affaires de l'amiante" : l'obligation de sécurité du salarié, Dr. soc. 2002, p. 533).

L'article L. 230-3 (N° Lexbase : L5947ACA) comporte, en d'autres termes, une double dimension en imposant aux salariés de respecter les instructions données par l'employeur et en les obligeant à une certaine vigilance en matière de sécurité. De ce dernier point de vue, il suffit que les actes ou omissions du salarié puissent avoir une incidence quelconque sur la sécurité des autres.

Notons qu'en l'espèce, était en cause l'obligation d'obéissance, puisqu'il résulte des faits que le salarié avait refusé à plusieurs reprises de porter le casque de sécurité obligatoire. Un tel comportement, dont on sait qu'il est malheureusement fréquent en pratique, constitue selon la Cour de cassation une inexécution par le salarié de son obligation de sécurité qui appelle une sanction.

1.2. La portée de l'obligation de sécurité du salarié

Quoique la question ne fût pas en cause dans l'arrêt commenté, il convient de rappeler, ainsi que l'indique d'ailleurs l'article L. 230-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5948ACB), que "les dispositions de l'article L. 230-3 n'affectent pas le principe de la responsabilité des employeurs ou chefs d'établissement". Il faut donc comprendre que l'obligation de sécurité du salarié n'a pas a priori d'effet exonératoire de responsabilité, les "principes" régissant la responsabilité de l'employeur et spécialement sa responsabilité pénale, obéissant à des règles propres (R. Vatinet, op. cit., p. 534).

Cela étant, l'obligation personnelle mise à la charge du salarié de veiller à sa propre sécurité et à celle d'autrui devrait avoir pour effet d'écarter la répression pénale chaque fois que les consignes de sécurité nécessaires ont été données à un salarié qui a reçu la formation appropriée à cet effet (Adde, G. Auzero, Hygiène et sécurité, J.-Cl. Pénal des Affaires, Travail, Fasc. 20, spéc., § 17) (1).

En outre, cette même obligation de sécurité ne saurait être assimilée à une quelconque délégation de pouvoirs, dont on sait qu'elle a pour effet d'assurer un transfert de la responsabilité pénale du chef d'entreprise vers le délégataire (V., en ce sens, A. Coeuret, La responsabilité du salarié en matière de sécurité et prévention des risques professionnels, Rapport annuel de la Cour de cassation pour 2002).

2. Les manquements du salarié à son obligation de sécurité

2.1. La violation d'une obligation professionnelle

Dans un important arrêt rendu le 28 février 2002, la Cour de cassation a affirmé que "selon l'article L. 230-3 du Code du travail, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou des omissions au travail. Dès lors, alors même qu'il n'aurait pas reçu de délégation de pouvoir, il répond des fautes qu'il a commises dans l'exécution de son contrat de travail " (Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-41.220, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0693AYC, RJS 5/02, n° 582 ; Dr. soc. 2002, p. 533 avec les obs. préc. de R. Vatinet).

On ne peut évidemment manquer de relever la parenté entre cette décision et celle présentement commentée. Toutes deux ont trait à l'inexécution par un salarié de son obligation personnelle de sécurité. Sans doute le motif de principe varie-t-il en ses termes, mais la solution reste la même (2) : le salarié qui ne respecte pas son obligation de sécurité commet une faute disciplinaire qui peut être sanctionnée.

Ces deux décisions ont donc ceci de remarquable qu'elles replacent l'obligation de sécurité de l'article L. 230-3 du Code du travail au coeur même du contrat de travail et, par conséquent, de la prestation que le salarié doit fournir au titre de ce contrat (3). Les deux solutions en cause font donc de l'inexécution de cette obligation une faute de nature disciplinaire qui a pour conséquence de rendre applicable l'ensemble des règles de procédure et de fond, réservées au prononcé par l'employeur d'une mesure ayant la nature de sanction (v. en ce sens, A. Coeuret, art. préc.).

Le salarié qui ne prend pas soin de la sécurité des autres ou qui fait courir des risques à sa propre personne encourt donc toute la gamme des sanctions disciplinaires. Dans les deux affaires précitées, l'inexécution de son obligation personnelle de sécurité par le salarié s'était, il est vrai, soldée par son licenciement. Mais, une telle sanction n'a aucun caractère inéluctable, l'employeur pouvant décider d'infliger une sanction de moindre importance au salarié.

Une telle assertion conduit par-là même à affirmer que si l'inexécution en cause constitue, à n'en point douter, une faute, celle-ci ne doit pas nécessairement être qualifiée de grave. C'est d'ailleurs ce qu'arguait le salarié dans l'arrêt du 23 mars 2005, soutenant dans son pourvoi que le licenciement pour manquement à des règles de sécurité ne peut justifier qu'un licenciement pour cause réelle et sérieuse et non pour faute grave (4). La Cour de cassation se contente, en réponse, d'approuver la cour d'appel pour avoir décidé que le salarié avait commis une faute grave (5). Il est vrai que le salarié avait été licencié pour faute grave en raison de son refus réitéré de porter le casque de sécurité obligatoire.

2.2. Une cause de responsabilité personnelle

On ne peut manquer de relever que, dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation affirme qu'en cas de manquement à son obligation personnelle de sécurité, le salarié engage sa responsabilité et une faute grave peut être retenue contre lui. La référence à la responsabilité du salarié suscite un certain nombre d'interrogations. On peut certes considérer que la Chambre sociale ne vise ici que la responsabilité disciplinaire du salarié. Mais, une telle affirmation nous paraît avoir d'autres implications, tant au regard de la responsabilité pénale du salarié que de sa responsabilité civile.

S'agissant, tout d'abord, de la responsabilité pénale du salarié, il convient de souligner que l'obligation de sécurité mise à sa charge par l'article L. 230-3 du Code du travail reste en dehors du champ de l'incrimination de l'article L. 263-2 du même code (N° Lexbase : L6047ACX), le chapitre préliminaire du titre III du livre II n'étant pas visé par cet article. En revanche, la responsabilité pénale d'un salarié pourra être engagée à raison de l'imprudence ou de la négligence dont a pu être victime au temps et au lieu de travail l'un de ses collègues ou le salarié d'une entreprise extérieure intervenante, sur le fondement des textes du Code pénal et, spécialement, des articles 221-6 (N° Lexbase : L5526AII) et 222-19 (N° Lexbase : L2054AMZ) (v. en ce sens, A. Coeuret, op. cit., spéc. note 4 et notre étude préc., spéc., § 99).

Pour ce qui est de la responsabilité civile, il nous semble qu'une personne victime de l'inexécution de son obligation de sécurité par un salarié pourra rechercher sa responsabilité personnelle sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ). En outre, si cette victime est un tiers, elle pourra demander la réparation de son préjudice à l'employeur du salarié, sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS).

Enfin, et pour conclure, on ne saurait omettre de relever que l'inexécution par un salarié de son obligation de sécurité pourra avoir des conséquences sur la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles dès lors qu'elle aura été à l'origine d'un tel évènement (v., sur cette question, les développements de Madame Vatinet, op. cit.).

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Il ne suffit pas pour l'employeur de mettre du matériel à la disposition de ses employés. Il doit encore veiller à son utilisation effective. Par suite, doit être condamné l'employeur qui s'est contenté de stocker le matériel de sécurité dans la voiture de ses employés sans vérifier son utilisation effective ni par lui-même ni par l'intermédiaire d'un salarié à qui il avait délégué ses pouvoirs (Cass. crim., 9 mars 1999, n° 98-82.018, Pourroy Bernard, inédit N° Lexbase : A1996CQY, Dr. ouvrier 1999, p. 307, obs. M. Richevaux). De même, le fait que le chef d'entreprise ou son délégataire de pouvoir ne soit pas physiquement présent sur les lieux de l'infraction n'est pas, en soi, une cause d'exonération de la responsabilité pénale pour manquement aux règles d'hygiène et de sécurité du travail.

(2) Cette différence tient au fait que, dans l'arrêt du 28 février 2002, était en cause l'obligation de sécurité à l'égard des autres et, dans celui du 23 mars 2005, il s'agissait de l'autre dimension de cette même obligation, tournée vers la propre personne du salarié. Cela explique d'ailleurs pourquoi, dans la première décision, la Cour de cassation prend soin de relever l'absence de toute délégation de pouvoirs. Nonobstant l'absence d'une telle délégation, le salarié doit prendre soin, en vertu de l'article L. 230-3, de la santé et de la sécurité des personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.

(3) Cela n'est pas sans rappeler le fameux forçage du contrat auquel la Cour de cassation nous a, par ailleurs, habitué, singulièrement au regard de l'obligation de sécurité. Notons cependant qu'en la matière, ce forçage peut s'autoriser d'une disposition légale.

(4) Ainsi que l'a relevé un auteur, la qualification de faute grave prendra un relief particulier lorsque, en raison de l'inexécution de son obligation de sécurité, le salarié aura été victime d'un accident du travail (R. Vatinet, op. cit., p. 534). Rappelons, en effet, qu'aux termes de l'article L. 122-32-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5519ACE), pendant la période de suspension de son contrat de travail, le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut être licencié pour faute grave.

(5) La Cour souligne cependant que le manquement à l'obligation de sécurité engage la responsabilité du salarié et qu'une faute grave peut être retenue contre lui.