[Jurisprudence] Démission d'un travail dissimulé : l'indemnité forfaitaire est due

par Chrystelle Alour, Rédactrice en droit social

Depuis 1987, la constatation et la condamnation des infractions pour travail dissimulé sont en progression constante. Un état des lieux qui trouve son origine dans les modifications successives du dispositif. Au fil des textes, le travail dissimulé est devenu plus aisément identifiable, tandis que les conditions permettant sa sanction se sont assouplies. Au départ, la répression du travail "au noir" allait de paire avec la réglementation sur les congés payés, le législateur souhaitant limiter les activités dissimulées pendant les périodes de repos. Aujourd'hui, le dispositif relatif au travail dissimulé est davantage destiné à limiter le coût social qu'une telle forme de travail implique. L'ensemble des textes est donc tourné vers un objectif à la fois répressif et préventif. La protection du travailleur n'en n'est pas pour autant éludée. Au coeur d'un dispositif qui a privilégié la responsabilité des utilisateurs de travailleurs dissimulés, cette protection est mise en oeuvre (1), quel que soit le mode de rupture de la relation de travail (2).


Décision

Cass. soc., 12 octobre 2004, n° 02-44.666, M. Laurent Drela c/ Société Beuron, FS-P+B (N° Lexbase : A6084DDP)

Cassation, cour d'appel de Toulouse, (chambre sociale) du 16 mai 2002

Mots clefs : travail dissimulé ; rupture du contrat de travail ; indemnité forfaitaire

Lien base :

Faits

1. Deux salariés manutentionnaires dans une société donnent leur démission. Quelque temps après, il est mis fin au préavis d'un commun accord. Les deux intéressés saisissent alors la juridiction prud'homale de demandes en paiement d'heures supplémentaires et de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 324-11-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6212AC3).

2. Pour débouter les salariés de la demande en paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, la cour d'appel retient que la relation de travail a cessé d'un commun accord.

Problème juridique

L'indemnité prévue à l'article L. 324-11-1 est-elle due en cas de cessation du travail d'un commun accord ?

Solution

"L'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 324-11-1 du Code du travail est due quelle que soit la qualification de la rupture".

Commentaire

1. La protection du salarié dissimulé

Dans la loi du 11 mars 1997 (loi n° 97-210 du 11 mars 1997, relative au renforcement de la lutte contre le travail illégal N° Lexbase : L7487AI7), le travail dissimulé demeure au coeur d'un dispositif répressif qui vise exclusivement les utilisateurs de la force de travail. Les personnes susceptibles d'être poursuivies sont donc toutes celles ayant tiré profit du travail dissimulé, à l'exclusion de l'employé. Il s'agit tant de l'employeur lui-même que des personnes qui ont eu sciemment recours aux services de celui qui exerce le travail dissimulé (maître de l'ouvrage, fabricant, etc). A noter que l'infraction de travail dissimulé est imputable non seulement aux personnes physiques, mais également aux personnes morales (C. trav., art. L. 362-6 N° Lexbase : L6289ACW).

Sur le plan civil, le raisonnement est similaire. Le dispositif a, avant tout, une visée préventive forte. Ainsi, la responsabilité solidaire du donneur d'ouvrage et de l'entrepreneur qui sous-traite à un entrepreneur dissimulé a été privilégiée. Les deux acteurs de l'irrégularité peuvent donc, tous deux, être liés par le paiement des impôts, taxes, charges sociales, salaires et accessoires, etc. Et il revient au donneur ou au maître d'ouvrage de mettre en demeure son cocontractant de faire cesser la situation de clandestinité, dès lors qu'il est informé de l'activité illicite.

Le législateur vise donc, à travers ce dispositif, à la fois la prévention d'un mode de travail au coût économique élevé et la protection des salariés dissimulés... à qui l'on ne saurait reprocher d'avoir tiré profit de la situation. Il est acquis, d'emblée, que l'acceptation d'un tel mode de travail ne peut être motivée que par la contrainte économique. L'"intéressé" ne saurait donc se voir sanctionner pour ce motif.

L'idée mérite rappel car, dès l'origine, elle n'a pas toujours été comprise par les conseils de prud'hommes, dont certains n'ont pas hésité à souligner l'acceptation du prétendu salarié pour refuser de condamner l'employeur. La Cour de cassation a donc dû préciser qu'un travailleur employé irrégulièrement conservait des droits aux indemnités de rupture de fin de contrat de travail identiques à ceux d'un travailleur déclaré... et ce, même si le travailleur était conscient de sa situation clandestine (Cass. soc., 4 avril 1990, n° 87-42.418, Mme Callac c/ Mme Guinti, publié N° Lexbase : A4102AGZ).

Au moment de la rupture, le travailleur dissimulé bénéficie d'un statut privilégié, qui se révèle, en pratique, plus protecteur que celui d'un salarié de droit commun.

2. Une indemnité forfaitaire due, quel que soit le mode de rupture

Protectrice, la loi accorde au salarié auquel un employeur a eu recours en violation des dispositions relatives au travail dissimulé, une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaires "en cas de rupture de la relation de travail". A moins, précise le texte, que l'application d'autres règles légales ou de stipulations conventionnelles ne conduise à une solution plus favorable (C. trav., art. L. 324-11-1 N° Lexbase : L6212AC3).

La Cour de cassation a précisé que cette indemnité ne peut être cumulée avec les autres indemnités auxquelles le salarié pourrait prétendre au titre de la rupture de son contrat de travail, seule l'indemnité la plus favorable devant lui être accordée (Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-42.504, F-P (N° Lexbase : A0390DDS).

La Chambre sociale a également décidé que le paiement de l'indemnité forfaitaire n'était pas subordonné à l'existence d'une décision pénale préalable ayant déclaré l'employeur coupable du délit de travail dissimulé, dès lors qu'aucune demande de sursis à statuer n'avait été formée à raison de poursuites pénales en ce sens engagées contre l'employeur (Cass. soc., 15 octobre 2002, n° 00-45.082, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2557A34).

Quant au mode de rupture ouvrant droit au versement des six mois d'indemnités, la Cour de cassation précise, dans l'arrêt du 12 octobre 2004, qu'il peut s'agir également de la rupture d'un commun accord. Autrement dit, l'article L. 324-10 du Code du travail (N° Lexbase : L6210ACY) assure au travailleur une indemnité minimale de six mois de salaires, quel que soit le mode de rupture engagé par les parties. En effet, deux situations se présentent : soit la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement et le travailleur peut percevoir l'indemnité forfaitaire ou des indemnités plus favorables, en vertu d'autres règles légales ou conventionnelles ; soit la rupture s'analyse en une rupture d'un commun accord, et le travailleur peut néanmoins percevoir l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 324-10.

Cette lecture de l'article L. 324-10 est conforme tant à l'esprit qu'à la lettre du texte, car elle assure au travailleur une véritable protection qui n'est pas affectée par le mode de rupture de la relation d'emploi. Cette garantie d'indemnisation minimale a indirectement le mérite d'éviter que ces situations irrégulières se perpétuent, en accordant au travailleur une marge de liberté qui lui permette de décider de la fin de la relation de travail.