[Jurisprudence] Confirmation de la simple valeur informative de la mention du lieu de travail dans le contrat de travail

par Sonia Koleck-Desautel, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Par un arrêt du 21 janvier 2004, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme en des termes identiques la solution qu'elle avait énoncée il y a quelques mois dans deux arrêts de principe et selon laquelle "la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu" (Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-40.376, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6993CK9 ; Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-43.573, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6994CKA). Cet arrêt, s'il n'innove pas, mérite toutefois de retenir l'attention eu égard non seulement aux faits particuliers de l'espèce, mais également aux propositions de réforme du Code du travail exposées dans le rapport Virville, récemment remis au ministre des Affaires sociales (voir Les propositions de refonte du Code du travail exposées par le rapport Virville, Lexbase Hebdo n° 104 du jeudi 22 janvier 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0156ABE).

En l'espèce, à l'occasion de la réorganisation des activités d'une société, cette dernière envisage le transfert de plusieurs salariés dans des établissements différents, à l'intérieur de la région parisienne. Le comité central d'entreprise et le comité des établissements concernés demandent la mise en place d'un plan social (plan de sauvegarde de l'emploi) afin d'accompagner le transfert des salariés. On sait en effet que, depuis les arrêts Framatome, lorsque l'employeur envisage la modification du contrat de travail d'au moins dix salariés pour un motif économique, il doit mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi si l'entreprise compte au moins cinquante salariés (Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-17.352, Société Framatome connectors France et autre c/ comité central d'entreprise de la société Framatome connectors, publié N° Lexbase : A2180AAY ; Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-20.360, Syndicat Symétal CFDT c/ Société nouvelle Majorette et autre, publié N° Lexbase : A2182AA3). En outre, la Cour de cassation a précisé que c'est la proposition de modification du contrat de travail qui déclenche l'obligation d'établir et de mettre en oeuvre un tel plan (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 97-12.962, Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT et autres c/ Compagnie IBM France, publié N° Lexbase : A4682AGI).

La société s'étant opposée à cette demande, les syndicats ont saisi le juge des référés afin qu'il interdise à la société de procéder à quelque mutation que ce soit avant la mise en oeuvre d'un plan social.

La cour d'appel de Versailles, s'appuyant sur le fait que les contrats de travail des salariés concernés par le changement du lieu de travail mentionnaient que le lieu de travail se situait "102 route de Noisy à Romainville", accueille la demande des syndicats ; en effet, selon elle, par cette disposition expresse, les parties avaient contractualisé le lieu de travail. La proposition du changement du lieu de travail s'analysait par conséquent en une proposition de modification du contrat. En outre, cette proposition concernant plus de dix salariés et intervenant pour un motif économique, la mise en place d'un plan social était donc obligatoire.

A la suite du pourvoi formé par la société à l'encontre de cette décision, la Cour de cassation casse l'arrêt des juges d'appel, au visa des articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et L. 321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6105AC4). Selon elle, "la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu". Or, en l'espèce, la cour d'appel n'ayant pas relevé l'existence d'une telle clause dans les contrats de travail des salariés auxquels la mutation avait été proposée, la mention du lieu de travail dans les contrats avait simplement valeur d'information. En conséquence, s'agissant de simples changements des conditions de travail, la mise en place d'un plan social ne pouvait être imposée.

La Cour de cassation confirme ainsi sa jurisprudence récente selon laquelle la simple mention du lieu de travail dans le contrat de travail n'a pas valeur contractuelle mais simple valeur informative. Pour que les parties en fassent un élément contractuel, il faut qu'elles insèrent dans le contrat une clause claire et précise selon laquelle le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu (sur ce point, lire La simple indication du lieu de travail dans le contrat n'a qu'une valeur d'information, Lexbase Hebdo - édition sociale, du 19 juin 2003 N° Lexbase : N7795AAX). En présence d'une telle clause, la modification du lieu de travail constituera une modification du contrat. Dans le cas inverse, il faudra se référer au critère du "secteur géographique" pour déterminer si la mutation relève du régime de la modification du contrat ou de celui du changement des conditions de travail (Cass. soc., 4 mai 1999, n° 97-40.576, M Hczyszyn c/ Société Paul Jacottet, publié N° Lexbase : A4696AGZ).

L'enjeu de la distinction entre modification du contrat et simple changement des conditions de travail était, en l'espèce, la mise en oeuvre ou non d'un plan social. En général, l'enjeu réside dans la possibilité pour l'employeur d'imposer une modification des conditions de travail au salarié et dans le droit pour le salarié de refuser une modification du contrat de travail.

La distinction entre modification du contrat et changement des conditions de travail suppose que l'on distingue les éléments du contrat, que l'employeur ne peut modifier unilatéralement et les éléments non contractuels, que l'employeur peut modifier sans l'accord du salarié. Le socle contractuel se compose, selon la jurisprudence, de quatre éléments (la rémunération contractuelle, la qualification professionnelle, la durée du travail et la localisation géographique entendue comme un secteur géographique). Cette liste n'est toutefois pas limitative ; les parties peuvent décider de contractualiser d'autres éléments, non contractuels par nature. Mais, comme le souligne le rapport Virville, il faut que la volonté de contractualiser ces éléments soit explicite, et tout ce qui figure dans l'écrit qui formalise le contrat de travail ne revêt pas nécessairement un caractère contractuel. La Cour de cassation distingue ainsi les clauses informatives et les clauses contractuelles.

Le rapport Virville préconise une formalisation du régime juridique de la modification du contrat de travail. La commission suggère notamment de rendre obligatoire, dans tous les cas, la formalisation par écrit du contrat de travail ; elle suggère également que la loi définisse les éléments devant obligatoirement figurer dans le contrat de travail (nature du contrat, qualification, rémunération, secteur géographique et durée du travail). De plus, selon la commission, la loi devrait préciser que ces éléments ne peuvent être modifiés sans l'accord exprès du salarié. Les parties resteraient libres de prévoir des clauses contractuelles supplémentaires. Ce contrat écrit devrait être accompagné d'un document rappelant, à titre d'information, les règles d'origine non contractuelle qui s'appliquent dans l'entreprise (accords collectifs de travail, engagements unilatéraux de l'employeur). Les éléments de la relation de travail non contractualisés resteraient soumis, notamment en matière de modification, aux règles de droit commun applicables aux normes dont ils sont issus (accord collectif, décision unilatérale de l'employeur).

S'il est donné suite à ces propositions, la loi ne fera qu'entériner un régime juridique déjà bien établi par la jurisprudence. Celle-ci considère en effet les éléments susvisés comme des éléments du contrat ne pouvant être modifiés sans l'accord du salarié ; la question de la nature contractuelle ou simplement informative de ces éléments ne se pose donc plus aujourd'hui. Cette question ne se pose que pour les éléments non contractuels par nature, insérés dans le contrat de travail. De plus, la jurisprudence considère depuis longtemps déjà que la modification ou la suppression des éléments issus d'accords collectifs de travail ou d'engagements unilatéraux de l'employeur à la suite d'une dénonciation régulière de ces normes ne constitue pas une modification du contrat de travail mais un changement des conditions de travail (Cass. soc., 27 juin 2000, n° 99-41.135, M. Crochard c/ Société Air France, publié N° Lexbase : A6700AHM).