1. Les mesures visant à rendre le droit du travail plus lisible et plus cohérent
Le rapport préconise la mise en ligne, à partir du site Légifrance, de la base de données interne aux services du ministère du Travail, ainsi que la mise en ligne systématique des accords déposés auprès des DDTEFP dès lors qu'ils ont un champ d'application qui excède le périmètre d'une entreprise ou d'un groupe.
Le rapport propose également la refonte du Code du travail afin de rendre les règles du droit du travail plus intelligibles pour ses destinataires et de clarifier le corpus de règles législatives et réglementaires existantes. Cette opération pourrait être menée par voie d'ordonnances, dans le cadre tracé par la jurisprudence la plus récente du Conseil constitutionnel (Conseil Constitutionnel, décision n° 2003-473 du 26 juin 2003, Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit N° Lexbase : A9631C89). Ainsi, à l'occasion de la refonte du Code du travail, le Gouvernement pourrait non seulement apporter des corrections de pure forme, mais aussi supprimer les dispositions devenues illégales ou obsolètes au regard de la hiérarchie des normes et, notamment, au regard du droit communautaire. Il pourrait aussi toucher, sur des points mineurs, au fond du droit, dans les limites tracées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
En outre, afin d'assurer la stabilité des situations juridiques dans le temps, la commission formule plusieurs propositions :
- Instituer un délai de forclusion relativement court et au-delà duquel tout recours en annulation contre une convention ou un accord collectif de travail deviendrait impossible ; ce délai pourrait être fixé à 2 mois, comme pour les actes administratifs.
A l'heure actuelle, les actions en nullité contre de tels actes ne sont pas soumises à des conditions de délai spécifiques. Ils peuvent être attaqués longtemps après leur entrée en vigueur, dans la limite du délai de droit commun de 5 ans. L'institution d'une telle forclusion ne ferait pas obstacle à ce qu'un salarié puisse, même après l'expiration du délai de recours, obtenir individuellement réparation du préjudice qu'il estimerait avoir subi du fait de l'application de telle ou telle clause illicite d'un accord collectif. La même règle pourrait être étendue aux plans de sauvegarde de l'emploi qui peuvent eux aussi, en l'état actuel des textes, être attaqués sans condition de délai.
- Ramener le délai de prescription pour les actions en dommages et intérêts liées à l'exécution ou à la rupture du contrat de travail à 10 ans au lieu de 30 ans.
- Donner à la Cour de cassation la faculté de moduler les effets de ses décisions dans le temps, afin de circonscrire les effets des revirements de jurisprudence.
- Instituer des commissions paritaires d'interprétation par voie d'accords collectifs de travail conclus au niveau des entreprises ou des groupes.
Ces commissions pourraient être saisies par le juge en cas de difficulté d'interprétation d'accords collectifs. Leurs avis ne s'imposeraient toutefois à la juridiction saisie qu'à la condition d'avoir été rendus à l'unanimité des signataires.
2. Les propositions relatives aux relations individuelles de travail
Afin de stabiliser la frontière entre salariat et travail indépendant, le rapport suggère que la loi reprenne les critères dégagés par la jurisprudence permettant de caractériser l'existence d'un contrat de travail. Ces critères tiennent à l'existence d'un lien de subordination caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur ayant le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner les manquements. L'élaboration de contrats types permettrait aux usagers du droit du travail de choisir dans quel régime juridique ils souhaitent inscrire leur relation.
Cela concernerait tous les types de contrats de travail, sans pour autant exiger l'écrit comme condition de validité. Ce contrat écrit devrait s'accompagner d'un document retraçant le cadre dans lequel s'inscrit la relation de travail et rappelant, à titre d'information, les règles d'origine non contractuelle qui s'appliquent dans l'entreprise (accords collectifs de travail, engagements unilatéraux de l'employeur, en particulier règlement intérieur ou horaire de travail). Cette réforme permettrait, au demeurant, d'assurer une application plus efficace de la directive n° 91/533/CEE adoptée par le Conseil le 14 octobre 1991 (directive CE 91/533 du Conseil du 14 octobre 1991 N° Lexbase : L7592AUQ), cette dernière imposant à l'employeur de porter par écrit à la connaissance du travailleur l'ensemble des composantes de la relation de travail, qu'elles soient ou non de nature contractuelle.
La commission préconise que soient définis par la loi les éléments devant obligatoirement figurer dans le contrat de travail, à savoir la nature du contrat, la qualification, les éléments garantis de la rémunération, le secteur géographique et la durée du travail. Il propose, de la même manière, que soit expressément précisée la règle selon laquelle ces éléments ne peuvent être modifiés sans l'accord exprès du salarié. Par ailleurs, pour faciliter la tâche des usagers, la loi pourrait renvoyer au règlement ou à la négociation collective le soin d'élaborer des contrats de travail types. Les parties resteraient évidemment libres de prévoir des clauses contractuelles supplémentaires ou de préciser les clauses obligatoires. Les éléments de la relation de travail non contractualisés resteraient soumis, notamment en matière de modification, aux règles de droit commun applicables aux normes dont ils sont issus (accord collectif, statut ou décision unilatérale de l'employeur).
Le rapport recommande par ailleurs de préciser les règles régissant la procédure de modification du contrat de travail. La commission propose de soumettre la procédure de modification pour un motif autre qu'économique à des règles claires.
Comme l'a récemment rappelé la Cour de cassation, en dehors de la démission et du licenciement, il est possible de rompre le contrat de travail d'un commun accord (Cass. soc., 2 décembre 2003, n° 01-46.176, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A3401DA9, voir Christophe Radé, Le triomphe de l'accord de rupture amiable du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 101 du jeudi 1er janvier 2004 - édition sociale [LXB=N9941AA]). Un régime particulier d'indemnisation serait mis en place au profit des salariés ayant été conduits à quitter leur emploi à la suite d'une rupture négociée de leur contrat. Un cadre juridique spécifique devrait permettre d'inscrire la rupture négociée dans un ensemble légal évitant le détournement de la procédure de licenciement ou de démission pour des raisons fiscales et sociales.
Proposition la plus controversée, la création d'un contrat de mission ou de projet est accueillie avec hostilité par les syndicats qui voient dans ce contrat une nouvelle forme de précarité ayant pour effet de raréfier la conclusion de CDI.
La commission prône en effet de compléter l'éventail des contrats spéciaux existants en créant une nouvelle forme de contrat, se situant à mi-chemin entre le CDD et le CDI, ouverte à des cadres ou des personnels qualifiés -notamment des experts- et permettant à un salarié d'être recruté par une entreprise pour participer à la mise en oeuvre d'un projet déterminé.
Ce contrat emprunterait son régime au CDD, tout en se référant non à une durée préfixée mais à un terme objectif ou un événement spécifié. Ensuite, serait renvoyé à un accord collectif de branche étendu le soin d'organiser, par secteur d'activité, les conditions du recours à de tels contrats. Ainsi, ce contrat assurerait aux salariés concernés l'ensemble des garanties attachées aux CDD ou aux missions d'intérim, en particulier la garantie de l'emploi pendant la durée de la mission, ou du moins à l'issue d'une période d'essai significative. En revanche, la durée du contrat correspondrait à celle de la réalisation du projet et pourrait donc excéder 18 mois -durée maximale d'un CDD- si l'accomplissement du projet le nécessite. Le ministre du Travail avait évoqué une durée pouvant varier entre 3 et 5 ans, mais la durée n'est pas spécifiée dans le rapport.
Pour éviter les abus, la loi créerait la possibilité de recourir à des contrats de projet, mais c'est la négociation de branche qui l'autoriserait.
Par ailleurs, le rapport précise que la loi devra fixer des éléments obligatoires de l'accord collectif, comme le principe d'une durée minimale, l'existence d'une indemnité de fin de mission, la nature des activités et des catégories de salariés, la nature des projets susceptibles d'être concernés, ainsi que des événements ou objectifs en déterminant le terme et les mesures envisagées pour favoriser le reclassement à l'issue du contrat.
Ce nouveau type de contrat, dont on a pu dire qu'il était révolutionnaire, suscite de fortes inquiétudes et controverses. Cependant, il n'aurait pas un champ d'application très large, puisqu'il concernerait majoritairement des ingénieurs ou des cadres. Par ailleurs, la commission souhaite que soit préservé le mécanisme actuellement en place de l'encadrement du CDD et de l'intérim.
De façon plus ponctuelle, la commission s'est intéressée aux moyens de développer le recours aux contrats temporaires, et en particulier à l'intérim, pour assurer le remplacement des salariés partis en formation. Le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social prévoit d'ores et déjà d'instaurer un mécanisme d'exonération de charges sociales pour faciliter le recrutement de salariés en contrat à durée déterminée pour remplacer un salarié parti en formation. Le bénéfice de ce mécanisme d'exonération pourrait utilement être étendu aux entreprises de travail temporaire pour les missions d'intérim correspondant au remplacement de salariés partis en formation.
3. Les propositions relatives à la représentation des salariés
La création, dans les entreprises de moins de 250 salariés, d'un Conseil d'entreprise est envisagée. Cette institution exercerait les attributions des délégués du personnel, du comité d'entreprise et des délégués syndicaux et permettrait, aux yeux de la commission, de développer la représentation des salariés et la négociation collective dans des structures qui sont encore trop souvent dépourvues d'institutions représentatives. Selon la commission, il pourrait être envisagé, avec les partenaires sociaux et à titre expérimental, d'élargir ce dispositif à des entreprises de plus de 250 salariés. Si l'expérience s'avérait concluante, elle pourrait, par la suite, relever ce seuil.
Ensuite, l'harmonisation des conditions d'ancienneté requises selon les mandats est envisagée. Il serait plus simple, en effet, selon le rapport, de retenir la même règle pour le calcul de l'ancienneté quel que soit le mandat, soit un an d'ancienneté sans condition de continuité.
Le retour au critère du lien de subordination pour déterminer l'effectif à prendre en compte pour l'élection des représentants du personnel au sein de l'entreprise constitue par ailleurs, selon la commission, le seul moyen d'éviter un contentieux qui s'amplifie.
Le rapport propose, en outre, de porter la durée du mandat des représentants élus dans l'entreprise de 2 à 4 ans ainsi que de clarifier et d'unifier, par la voie légale, la notion d'établissement distinct pour la désignation des institutions représentatives du personnel, peu important l'institution représentative en cause, à partir de la définition dégagée par la jurisprudence pour les comités d'établissements.
Enfin, la fourniture d'un document de synthèse annuel aux délégués du personnel permettrait, selon le rapport, un dialogue social de meilleure qualité dans les petites entreprises.
4. Les propositions relatives à la négociation collective
Pour étendre le champ de la négociation collective, la commission préconise d'organiser, à travers un pacte clair, la collaboration entre le législateur et les partenaires sociaux.
Elle propose que soient étudiés, dans le respect du caractère impératif de la loi, les moyens d'assurer la stabilité effective des accords face aux modifications législatives. Elle propose d'insérer dans le Code du travail une disposition législative générale prévoyant qu'à défaut de mention contraire dans la loi, les accords préexistants valablement conclus restent valides durant un délai de 2 ans à compter de l'entrée en vigueur d'une loi nouvelle. Au-delà de ces réformes, il serait souhaitable que le législateur clarifie les règles gouvernant l'application dans le temps des conventions ou des accords collectifs de travail. A la lumière du contentieux, la commission considère qu'un toilettage des textes sur ce point s'impose.
La commission estime, en outre, qu'il faudra mettre en place un instrument permettant de mesurer l'audience des organisations syndicales. Cette réforme devrait être élaborée en étroite concertation avec les organisations syndicales. Elle pourrait déboucher sur l'organisation, tous les 5 ans, d'une consultation des salariés dans les branches et les entreprises.
La commission propose également d'étendre aux salariés mandatés par une organisation syndicale pour mener une négociation les dispositions du Code du travail permettant, d'une part, aux délégués syndicaux de prendre contact avec le personnel de l'entreprise et, d'autre part, aux sections syndicales d'organiser des réunions sur le lieu de travail.
Pour des raisons de clarté et de simplicité, il est recommandé de retenir, pour les accords de groupe, une règle d'articulation avec les accords de niveau supérieur identique à celle qui vaut pour les accords d'entreprise. Dans la ligne du projet de loi actuellement en discussion, il conviendrait de reconnaître le groupe et l'UES, qui ne recouvrent pas les mêmes situations, comme des lieux de négociation à part entière.
Enfin, pour faciliter la négociation au niveau du groupe, la commission recommande de prévoir dans le Code du travail la possibilité de désigner un coordinateur syndical de groupe habilité à négocier et à signer des accords collectifs.