La censure de la nouvelle définition du motif économique
La rédaction actuelle de l'article L. 321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6105AC4) définit le licenciement économique comme celui consécutif "notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques". La jurisprudence avait apporté un certain nombre d'ajouts et de précisions à cette définition. Ainsi, la Cour de cassation, considérant que l'adverbe "notamment" permettait la prise en compte d'autres motifs de licenciement, avait estimé que "la réorganisation de l'entreprise afin de sauvegarder sa compétitivité dans son secteur d'activité" (Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, N° Lexbase : A4018AA3) et la cessation d'activité en l'absence de faute ou de légèreté blâmable de l'employeur (Cass. soc., 16 janvier 2001, n° 98-44.647, N° Lexbase : A2160AIT) constituaient également des motifs de licenciement économique. En outre, la Chambre sociale avait précisé que les difficultés économiques devaient être "importantes et durables" pour constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Partant de ces évolutions jurisprudentielles, l'article 107 de la loi de modernisation sociale redéfinissait le licenciement économique en le réduisant strictement (suppression de l'adverbe notamment) à trois hypothèses. Le licenciement économique ne devait être que celui consécutif soit à des difficultés économiques sérieuses ne pouvant être surmontées par tout autre moyen, soit à des mutations technologiques mettant en cause la pérennité de l'entreprise, soit à des nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise.
Cet article a été jugé par les sages inconstitutionnel en ce qu'il porte à " la liberté d'entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l'objectif poursuivi du maintien de l'emploi". En effet, le Conseil constitutionnel, estimant qu'il y a lieu de ranger la liberté d'entreprendre au nombre des principes constitutionnels avec le droit de chacun d'obtenir un emploi, estime que le législateur peut "apporter à la liberté d'entreprendre des limitations liées à cette exigence constitutionnelle [le droit de chacun à obtenir un emploi], à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi".
La suppression du "notamment" par les parlementaires est principalement à l'origine de cette censure. En effet, elle empêche toute autre possibilité de licencier pour motif économique que les trois causes énumérées par le législateur, "à l'exclusion de toute autre hypothèse comme, par exemple, la cessation d'activité de l'entreprise" (considérant 47).
Les sages estiment également qu'en limitant l'hypothèse de la réorganisation à la sauvegarde de l'activité et non plus de la seule compétitivité, le législateur "interdit à l'entreprise d'anticiper des difficultés économiques à venir en prenant des mesures de nature à éviter les licenciements ultérieurs plus important " (considérant 48).
Enfin, pour le Conseil, en subordonnant les licenciements économiques à des difficultés sérieuses n'ayant pu être surmontées par d'autres moyens, le législateur donne au juge, non seulement le droit déjà acquis de contrôler la cause du licenciement, mais aussi celui de substituer son appréciation à celle du chef d'entreprise quant au choix des solutions possibles (considérant 49).
Le cumul de ces trois points constitue pour les juges constitutionnels autant de contraintes qui, ne permettant de licencier que si la pérennité de l'entreprise est en cause, portent atteinte de manière disproportionnée à la liberté d'entreprendre par rapport à l'objectif recherché (le maintien de l'emploi).
La définition actuelle du motif économique de licenciement, établie par l'article L. 321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6105AC4) et telle qu'interprétée par la jurisprudence, demeure donc en vigueur . Si les partenaires du Gouvernement au sein de la majorité parlementaire, inspirateurs de la définition censurée, ont d'ores et déjà fait entendre leur voix pour que la définition du licenciement économique soit rediscutée devant le Parlement, le Premier ministre a fait savoir qu'un tel débat n'aurait pas lieu avant la prochaine législature.
Les réserves d'interprétation sur trois articles
L'article 96 de la loi, relatif à l'obligation préalable à tout plan de sauvegarde de l'emploi d'opérer une réduction du temps de travail ou, à tout le moins, d'engager des négociations en ce sens (dit "amendement Michelin"), est déclaré conforme à la Constitution sous réserve d'interprétation. En effet, le Conseil estime que le non-respect de cette obligation, qui entraînera la nullité de la procédure de licenciement, ne pourra être sanctionné par la nullité des licenciements qui sont subséquents mais uniquement par l'octroi d'indemnités pour absence de cause réelle et sérieuse.
La possibilité pour le comité d'entreprise de saisir un médiateur (article L. 432 -1 du Code du travail modifié), prévue par l'article 101 de la loi de modernisation sociale, ne peut être que limitée aux cas "de cessation d'activité d'un établissement ou d'une entité économique autonome ayant pour conséquence la suppression d'au moins cent emplois" pour être conforme à la Constitution.
La méconnaissance des obligations de reclassement, de formation et d'adaptation pesant sur l'employeur avant de pouvoir procéder au licenciement économique, obligations dégagées par la jurisprudence et reprises dans un nouvel alinéa de l'article L. 321-1 du Code du travail (article 108 de la loi), ne pourra être sanctionnée, en l'absence de disposition expresse en ce sens, par la nullité de la procédure de licenciement et l'obligation de réintégrer. Conformément à la jurisprudence actuelle, le non-respect des obligations ne peut être sanctionné que par des indemnités. Sous cette réserve, la légalisation de ces obligations est logiquement déclarée conforme.
Les autres dispositions "licenciement économique" de la loi de modernisation sociale ne sont pas affectées par la décision du Conseil constitutionnel : le congé de reclassement, la réindustrialisation des bassins d'emplois et le renforcement des droits des représentants du personnel rentreront en vigueur comme prévu. Cependant, la censure de la nouvelle définition du licenciement économique, pierre angulaire du volet "anti-licenciements" de la loi, porte un coup important à l'équilibre d'un dispositif déjà très critiqué. Cette partie de la loi perd ainsi une grande partie de sa substance, la plupart des dispositions subsistantes ne faisant qu'avaliser des évolutions jurisprudentielles bien établies. Le Gouvernement, déjà mis en difficulté par la censure partielle de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002, pourrait réagir en reproposant au Parlement une autre définition du licenciement économique, cette fois moins restrictive et plus proche des solutions dégagées par la jurisprudence.
Benoît Juéry
SGR - Droit social
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