Après avoir fait l'objet de fortes divergences entre l'Assemblée nationale et le Sénat, le texte définitif du projet de loi de modernisation sociale a été adopté le 19 décembre 2001.
Se voulant le fruit d'un compromis entre le droit à l'emploi et la liberté d'entreprise, ce volet économique de la loi de modernisation sociale a été partiellement censurée par le Conseil constitutionnel (Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, N° Lexbase : A7587AXB). La nouvelle définition du licenciement économique a été jugée contraire à la Constitution en ce qu'elle porte "à la liberté d'entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l'objectif poursuivi du maintien de l'emploi".
I. Quelques dates
24 mai 2000 : dépôt du projet par le Gouvernement
11 janvier 2001 : adoption en lère lecture par l'Assemblée nationale
10 mai 2001 : modification et adoption en lère lecture par le Sénat
13 juin 2001 : 2ème lecture par l'Assemblée nationale
9 octobre 2001 : 2ème lecture par le Sénat
Novembre 2001 : échec de la Commission paritaire
11 décembre 2001 : 3ème lecture par l'Assemblée nationale
19 décembre 2001 : adoption du texte définitif
12 janvier 2002 : décision du Conseil constitutionnel.
II. Le contexte
La dernière loi sur le licenciement économique date du 27 janvier 1993 (loi n° 93-121, J.O 30 janvier).
Depuis plusieurs années, les parlementaires communistes réclamaient un durcissement de la loi et de plus grandes garanties pour les salariés. Etaient dénoncés les plans de licenciement massifs au sein de grands groupes qui ne rencontraient pas de réelles difficultés économiques, et ce, sous couvert de restructurations.
A l'époque, un débat, volontiers caricatural, avait été engagé : au nom du droit de propriété, les actionnaires disposent-ils d'un pouvoir absolu de décision tourné vers la satisfaction de leurs seuls intérêts, à savoir la rentabilité du capital, ou bien l'entreprise a-t-elle également d'autres fonctions, notamment celle de satisfaire les besoins de ceux qui produisent ses richesses ?
Dès 1995, la Cour de cassation posa le principe selon lequel des suppressions d'emploi consécutives à une restructuration n'ont un caractère économique que si cette dernière est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise (Cass. soc. 5 avril 1995, n°93-42.690, N° Lexbase : A4018AA3).
Pourtant, aux yeux de beaucoup, l'augmentation de la rentabilité financière était le but premier recherché par les grands groupes annonçant des restructurations (et non la pérenité de l'entreprise).
En 2001, l'annonce simultanée d'une restructuration importante chez Danone et la fermeture des 18 magasins français de Marks & Spencer provoqua un tollé général au sein du personnel concerné bien sûr, mais aussi de certains politiques, des syndicats et d'une partie importante du public.
Dans ce contexte fortement médiatisé, le juge des référés du TGI de Paris rendit, le 9 avril 2001, une ordonnance (TGI Paris, 9 avril 2001, N° Lexbase : A1615ATY) qui suspendait la mise en oeuvre de la décision de la cessation d'activité et de fermeture des établissements de la société Marks & Spencer basés en France jusqu'à ce que celle-ci ait procédé à l'information et à la consultation de l'ensemble des instances représentatives du personnel.
Choquée avant tout par la brutalité du procédé consistant, dans une période de croissance économique et de la part d'entreprises n'étant pas toutes en difficulté, à fermer des sites rentables pour redéployer leurs activités dans de meilleures conditions de profitabilité, l'opinion publique ne fit aucune différence entre les deux décisions de fermeture dont la gestion sociale était pourtant radicalement différente. La décision de fermeture chez Danone s'inscrivait en effet dans la démarche d'un transfert d'activité et le respect des exigences légales et jurisprudentielles. Chez Marks & Spencer, la démarche suivie était celle d'une fermeture totale de sites avec application des méthodes anglo-saxonnes.
L'émotion causée par Danone et Marks & Spencer remit brutalement la question des licenciements économiques à l'ordre du jour et suscita l'élaboration d'amendements dans l'urgence, inclus dans le projet de loi de modernisation sociale, qui, à l'origine, ne faisait que reprendre un certain nombre de solutions déja établies par la jurisprudence (obligation d'adaptation, obligation de reclassement, conséquences de la nullité de la procédure...etc.).
Outre le volet économique, la loi de modernisation sociale prévoit des dispositions sur le harcèlement moral, les contrats précaires et la formation professionnelle.
III. Présentation du volet économique du nouveau texte
Le texte adopté définitivement le 19 décembre dernier présente, dans son aspect lutte contre les licenciements économiques, trois lignes fortes :
1) Une loi plus contraignante pour les entreprises
Les nouvelles contraintes légales concernent tant la mise en oeuvre du licenciement économique que les relations avec les représentants du personnel et l'administration :
- l'accès au licenciement économique se voulait désormais considérablement restreint. La définition du motif économique telle que votée par l'Assemblée nationale était limitée aux seuls cas prévus par la loi avant d'être censurée par le Conseil constitutionnel (Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, N° Lexbase : A7587AXB), certaines obligations en amont de la décision de licenciement sont incontournables pour que le motif économique puisse être invoqué, en ultime recours de surcroît. A plusieurs moments dans la procédure, l'employeur peut avoir à s'expliquer sur ses choix économiques.
- les procédures se sont complexifiées, les délais sont plus longs ;
- les représentants du personnel ont une capacité d'intervention renforcée (plus particulièrement en cas d'annonce publique faite par le chef d'entreprise et de projet de restructuration ayant un impact sur l'emploi) ;
- l'administration est omniprésente tout au long de la procédure et son pouvoir d'intervention renforcé.
2) La consécration du droit au reclassement
La nouvelle loi confirme la jurisprudence construite durant la dernière décennie :
- confirmation des obligations d'adaptation et de reclassement ;
- confirmation de l'appréciation de la validité d'un plan social (renommé plan de sauvegarde de l'emploi ) au regard des moyens de l'entreprise mais aussi du groupe auquel elle appartient ;
- consécration des arrêts Samaritaine avec l'obligation de réintégration en cas de nullité du licenciement (Cass. soc., 13 février 1997, n° 96-41.874, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Mme Benoist et autre, N° Lexbase : A4174AAT).
La nouvelle loi renforce le reclassement :
- création du congé de reclassement dans les entreprises de 1000 salariés et plus ;
- création d'un nouveau dispositif le pré-PARE dans les entreprises de moins de 1000 salariés ;
- élargissement de la liste des actions de sauvegarde de l'emploi.
3) La reconnaissance de la responsabilité sociale de l'entreprise par la prise en compte des bassins d'emploi
La prise en compte du bassin d'emploi est désormais reconnue par le législateur (article 118 de la loi) et ses conditions de réactivation sont précisées.
Les obligations diffèrent selon l'effectif salarial de l'entreprise.
Les entreprises de 1000 salariés sont prioritairement visées avec la contribution à la création d'activité et au développement des emplois dans le bassin (actions propres de l'entreprise ou participation financière).
IV. L'application des nouvelles dispositions
1) Plusieurs éléments d'incertitude à ce jour :
- la date exacte d'entrée en vigueur de la loi, sur laquelle le Conseil constitutionnel a déjà rendu sa décision ;
- la date de publication du texte au J.O.
2) Plusieurs décrets d'application
Des précisions sont prévues sur les dispositions suivantes :
- le médiateur ;
- l'étude de l'impact social et territorial ;
- la réactivation du bassin d'emploi ;
- le congé reclassement.
3) La non-application immédiate de certaines dispositions
Le texte prévoit une liste des dispositions qui ne seront pas applicables aux procédures de licenciement en cours au moment de l'entrée en vigueur de la loi. Il s'agit de :
- la décision des organes de direction avant une fermeture ;
- la dissociation des procédures livre IV et livre III du Code du travail ;
- le droit d'opposition du comité d'entreprise et le recours à l'expert comptable au cours du livre IV ;
- l'obligation d'informer dans une entreprise sous-traitante ;
- la saisine d'un médiateur ;
- la suppression des critères issus des "Qualités professionnelles" pour fixer l'ordre des licenciements ;
- la sanction de l'absence de représentants du personnel dans l'entreprise lorsque aucun procès-verbal de carence n'a été établi ;
- les prérogatives de l'inspection du travail sur le contenu du plan social ;
- l'information des maires sur l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.