TGI Paris, 09-04-2001
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
N° RG : 01/54016
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 9 avril 2001
par Catherine TAILLANDIER, Vice-Président au Tribunal de Grande Instance de Paris, tenant l'audience publique des Référés par délégation du Président du Tribunal,
assisté de Charlotte GALANT, Greffier.
DEMANDEURS
FEDERATION C.G.T. DU COMMERCE, DE LA DISTRIBUTION ET DES SERVICES
263 rue de Paris
93100 MONTREUIL SOUS BOIS
FEDERATION DES EMPLOYES ET DES CADRES C.G.T.-F.O.
28 rue des Petits Hôtels
75010 PARIS
SYNDICAT DU COMMERCE DE PARIS (SY.CO.PA)
40/42 rue de la Réunion
75020 PARIS
représentés par Me KADRI, avocat au barreau de Paris R236
DEFENDEUR
S.A. MARKS & SPENCER FRANCE
50 boulevard Haussmann
75009 PARIS
représentée par la SCP FROMONT, BRIENS & associés (Me CLEMENT), avocats au barreau de Lyon, 40 rue Bonnel 69484 LYON CEDEX 03
INTERVENANTS VOLONTAIRES
COMITE CENTRAL D'ENTREPRISE DE LA S.A. MARKS & SPENCER FRANCE
35 boulevard Haussmann
75009 PARIS
représenté par Me KADRI, avocat au barreau de Paris R236
FEDERATION DES SERVICES C.F.D.T.
14 rue Scandini
93508 PANTIN cedex
représentée par Me LEPANY, avocat au barreau de Paris W06
En présence de Madame GREGOGNA, substitut de Monsieur le Procureur de la République
Vu l'assignation en référé délivrée à la requête de la Fédération CGT du Commerce, de la Distribution et des Services, de la Fédération des Employés et Cadres CGT-FO et du Syndicat du Commerce de PARIS (SY-CO-PA), en date du 3 avril 2001, tendant à voir :
- Dire et juger que la fermeture des établissements de la S.A MARKS & SPENCER FRANCE doit nécessairement faire l'objet d'une procédure d'information et de consultation préalable du Comité Central d'Entreprise et des divers Comités d'Etablissement, en application des articles L 432-1 et suivants et L 437-5 du Code du Travail.
- Dire et juger que la décision de fermeture de l'entreprise, en l'absence de toute consultation préalable du Comité Central d'Entreprise constitue une voie de fait et un trouble manifestement illicite.
- En conséquence, ordonner la suspension de la décision annoncée tant que ne sera pas mise en oeuvre la procédure d'information et de consultation du Comité Central d'Entreprise.
- Ordonner à la société MARKS & SPENCER, dans l'hypothèse où elle poursuit son projet de fermer l'entreprise, de réunir les instances représentatives du personnel et mettre en oeuvre la procédure d'information et de consultation prévue aux articles L 432-1 et suivants du Code du Travail.
- Condamner la société MARKS & SPENCER FRANCE à payer aux organisations syndicales demanderesses une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et aux dépens de l'instance.
Vu l'intervention volontaire du Comité Central d'Entreprise, tendant aux mêmes fins ;
Vu l'intervention volontaire de la Fédération des Services CFDT, qui s'associe à la demande et y ajoutant, sollicite qu'il « soit ordonné à la défenderesse de soumettre aux instances représentatives du personnel, notamment dans le cadre du droit d'alerte, les difficultés économiques et les différents scénarios envisagés pour y remédier et de recueillir l'appréciation du Comité Central d'Entreprise avant d'opter pour un scénario et commencer la procédure d'information et de consultation des livres III et IV du Code du Travail » ;
Vu les conclusions en réponse de la société MARKS & SPENCER, tendant à voir constater que « : contrairement aux affirmations des demandeurs, la société MARKS & SPENCER ne s'est jamais opposée à la mise en oeuvre d'une procédure d'information et de consultation en application des articles L 432-1 et suivants du Code du Travail et L 431-5 du même code et en conséquence dire et juger infondée et sans objet l'ensemble des demandes formulées par les Fédérations CGT et CGT-FO et par le syndicat SYCOPA et de ce fait, les rejeter. »
Attendu que les demandeurs font grief à la société défenderesse d'avoir violé les dispositions des articles L 432-1 et suivants du Code du Travail en annonçant, le 29 mars 2001 à 8 H 00, aux membres du Comité Central d'Entreprise, convoqués téléphoniquement la veille, la fermeture de l'ensemble des magasins de la société MARKS & SPENCER FRANCE, sans avoir respecté la procédure d'information et de consultation préalable obligatoire lorsque l'employeur envisage des mesures d'ordre économique, intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise ;
Qu'ils font valoir que l'information des représentants du personnel, doit intervenir avant que ne soit prise la décision de l'employeur et qu'en l'espèce, il n'est pas contestable que la mesure dont ceux-ci ont pris connaissance, le 29 mars 2001, était définitivement arrêtée et revêtait un caractère irréversible et irrévocable ;
Que ce refus d'informer est d'autant plus fautif que dès le mois de février 2001, les salariés avaient eu connaissance de projets de cessation d'activité de certains établissements et que le Comité Central d'Entreprise, dans le cadre d'une procédure d'alerte, avait, en vain, interrogé les responsables de l'entreprise qui ont refusé de leur communiquer la moindre information sur les études en cours ;
Attendu qu'ils dénoncent l'attitude de la société défenderesse qui n'entend pas respecter leur droit à l'information et qui les met devant le fait accompli, au mépris des droits élémentaires des salariés ;
Attendu qu'en défense, la société MARKS & SPENCER fait valoir que ce n'est que le 28 mars 2001, à 18 H 00, que son directeur général a été informé que la société MARKS & SPENCER GROUPE avait l'intention de présenter un projet de cessation d'activité de ses filiales en Europe continentale et de ce fait, la fermeture de l'ensemble de ses magasins en FRANCE ;
Qu'elle remettait aux membres français du Comité Européen une convocation pour le 3 avril 2001, dès le 29 mars et réunissait, ce même jour, de façon informelle, le Comité Central d'Entreprise, à 7 H 55, afin de porter l'information à leur connaissance, avant que la Bourse de LONDRES ne soit informée ;
Que plusieurs réunions informelles ont eu lieu depuis cette date et qu'il n'est nullement dans ses intentions de se soustraire aux obligations tirées des articles L 432-1 et suivants du Code du Travail ;
Que cependant, elle fait valoir qu'elle n'a, à ce jour, aucun projet identifié et construit relatif à une éventuelle cessation d'activité et fermeture de ses magasins, puisque ce projet n'est que la conséquence d'un projet de restructuration globale envisagé par MARKS & SPENCER GROUPE et qu'elle ne pouvait, dés lors, fournir, le 29 mars, une information complète et efficace aux élus du Comité Central d'Entreprise, et ce, d'autant plus, que le Comité Européen n'avait pas encore, été informé et consulté ;
Qu'elle s'engage, en toute hypothèse, à procéder à des consultations autonomes, au titre des livres IV et III du Code du Travail ; sauf accord contraire des partenaires sociaux et ne s'oppose pas à ce que le juge des référés fixe dès à présent un calendrier tendant à retenir le 10 avril comme date de fixation de l'ordre du jour pour une réunion du Comité Central d'Entreprise au titre de l'article L 432-1 du Code du Travail devant se tenir le 24 avril ;
Motifs de la décision
Attendu qu'aux termes de l'article L 432-1 du Code du Travail, « Dans l'ordre économique, le Comité d'Entreprise est obligatoirement informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, et notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume et la structure des effectifs...
Le comité est informé sur les modifications de l'organisation économique ou juridique de l'entreprise, notamment en cas de fusion, de cession, de modification importante des structures de production
»
Qu'aux termes de l'article L 431-5 du même code, cette consultation doit être préalable à la décision de l'employeur ;
Qu'en vertu de ces textes, l'employeur est tenu à une information sincère loyale et complète, dés que l'élaboration de son projet est suffisamment avancée et que les contours de celui-ci en sont globalement définis, permettant, ainsi, aux représentants des salariés d'en saisir l'économie et d'en discuter les divers aspects ;
Qu'il ne peut prétendre attendre la prise définitive de décision pour informer les membres du Comité d'Entreprise sans violer l'esprit des textes légaux dont la finalité est, outre le respect du droit à l'information des salariés sur l'évolution de leur entreprise, la contribution à l'élaboration du projet proposé des représentants du personnel qui peuvent, par leurs suggestions, amener l'employeur à modifier, tout ou partie de ses intentions ;
Attendu qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que, sans aucune information, ni débat préalable, les membres du Comité Central d'Entreprise de la société MARKS & SPENCER FRANCE, ont été informés, le 29 mars 2001, quelques minutes avant 8 H 00, heure d'ouverture de la Bourse de LONDRES, de « l'intention du groupe MARKS & SPENCER de cesser son activité en France, ce qui entraînerait la fermeture des 18 magasins, dont neuf situés en région parisienne et neuf en province ».
Que cette information donnée au cours d'une réunion totalement informelle, puisque ne respectant pas les prescriptions du Code du Travail en matière de délai de convocation et de fixation de l'ordre du jour et qui ne peut être considérée comme correspondant à celle prévue à l'article L 432-1 du Code du Travail, concerne pourtant la décision arrêtée et sans appel du groupe MARKS & SPENCER de cesser toute activité en Europe continentale avec pour conséquence, la fermeture de nombreux magasins dont ceux situés en FRANCE ;
Que cette décision n'a nullement été présentée comme une possibilité susceptible de discussion, mais bien comme un projet ferme et définitif proposé, certes, à regret par le Président du groupe, mais comme étant le seul permettant de « rétablir le niveau de rentabilité » en recentrant les efforts de l'entreprise sur le marché britannique afin d'assurer sa position de « leader » sur ce marché ;
Que ce projet a, d'ailleurs, été publiquement confirmé dans divers articles de presse non démentis à ce jour, et a bien été annoncé en ces termes à l'ensemble des salariés, par les directeurs des magasins de la société ;
Qu'il ne peut, dès lors, être admis, comme le soutient la société défenderesse, qu'il n'y a, à ce jour, aucun projet identifié et construit relatif à une éventuelle cessation d'activité et à la fermeture des 18 magasins français, quand bien même les modalités de mise en oeuvre de ce projet ne seraient pas encore définies avec précision ;
Qu'il convient, ainsi, de constater que l'information et la consultation du Comité Central d'Entreprise, dans lei formes de l'article L 432-1 du Code du Travail, était une obligation pour l'employeur et que celui-ci ne s'y est pas soumis jusqu'à ce jour ;
Que la société MARKS & SPENCER FRANCE ne saurait, pour s'exonérer de son obligation, invoquer la circonstance particulière selon laquelle elle subit les conséquences du projet de restructuration adopté au niveau du groupe MARKS & SPENCER, qui lui est imposé et sur lequel elle ne dispose d'aucun moyen d'intervention, ni prétendre. : que toute information était prématurée, en l'absence d'avis du Comité Européen qui n'avait pas encore été informé et consulté ;
Qu'en effet, il n'est pas sérieusement contestable que la société demanderesse est une société de droit français, dotée d'une pleine capacité juridique, ayant ses activités sur le territoire français et soumise aux dispositions du Code du Travail, dont il convient de rappeler, en l'espèce, le caractère d'ordre public et qui ne sauraient être méconnues à raison de pratiques économiques transnationales ;
Qu'elle ne peut dés lors, se dispenser de l'application des règles de droit français, au prétexte, d'ailleurs non démontré effectivement, qu'elle n'aurait pas la pleine maîtrise de son avenir ;
Que par ailleurs, il n'existe aucune disposition légale subordonnant l'information et la consultation des instances représentatives des salariés de droit français à l'information et à la consultation d'une instance représentative européenne, dont au surplus, il n'est communiqué ni les statuts ni le règlement ;
Qu'il apparaît, dés lors, avec l'évidence requise en référé, que la société MARKS & SPENCER n'a pas respecté les obligations légales d'information et de consultation du Comité Central d'Entreprise et des Comités d'Etablissement, telles que résultant de l'article L 432-1 du Code du Travail et que son comportement constitue un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés de faire cesser, en suspendant toute mise en oeuvre de la décision de cessation d'activité et de fermeture des magasins situés sur le territoire fronçais et ce, jusqu'à ce que la société défenderesse ait procédé à l'information et à la consultation de l'ensemble des instances représentatives du personnel, dans les formes de droit, qui impliquent que soit fournie aux élus une information complète sur les motifs économiques ayant amené l'employeur au projet présenté et sur les différentes solutions envisagées et que soit recueilli l'avis des comités, après un débat loyal et constructif ;
Qu'il n'appartient pas au juge des référés, hors l'accord de l'ensemble des parties en présence, de fixer unilatéralement et arbitrairement le calendrier de la procédure d'information et de consultation et qu'il ne saurait être fait droit à la demande de ce chef de la société défenderesse à qui il incombe de mettre en oeuvre ce processus aux termes des dispositions légales ;
Attendu que les circonstances de l'espèce conduisent à faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, au profit de chaque demandeur et intervenant volontaire à hauteur de la somme de 5000 francs ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par ordonnance contradictoire en premier ressort,
Constatons que l'absence d'information et de consultation du Comité Central d'Entreprise et des Comités d'Etablissement, sur la décision de la société MARKS & SPENCER de cesser ses activités en FRANCE et de fermer l'ensemble de ses établissements situés sur le territoire français, constitue un trouble manifestement illicite.
Ordonnons en conséquence la suspension de toute mise en oeuvre de la décision de cessation d'activité et de fermeture des établissements de la société MARKS & SPENCER FRANCE, jusqu'à ce que celle-ci ait procédé à l'information et à la consultation de l'ensemble des instances représentatives du personnel, conformément aux dispositions légales.
Rejetons le surplus des demandes.
Condamnons la société MARKS & SPENCER à verser à chacun des demandeurs et des intervenants volontaires la somme de cinq mille (5000) francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La condamnons aux dépens.
Fait à Paris le 9 avril 2001
Le Greffier,
Charlotte GALANT
Le Président,
Catherine TAILLANDIER