T. corr. Paris , 02-11-2000
Tribunal Correctionnel de Paris
2 Novembre 2000
A... c/ H
V... et F
Par ordonnance rendue le 14 mars 2000 par l'un des juges d'instruction de ce siège, les prévenus ont été renvoyés devant le Tribunal, sous la prévention :
1° / Hans H...
- d'avoir, à Paris, en tout cas sur le territoire national, courant 1996 et 1997, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, en ayant la qualité de personne chargée d'une mission de service public, agissant dans l'exercice de cette mission, ordonné et facilité, hors les cas prévus par la loi, le détournement, la suppression ou l'ouverture de correspondances ou la révélation du contenu de ces correspondances, en l'espèce des messages à caractère privé de la messagerie électronique de Tareg A...
Fait prévu et réprimé par l'article 432-9 du Code pénal,
2° / Françoise V... et Marc F...
- d'avoir, dans les mêmes circonstances de lieu et de temps, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, en ayant la qualité de personne chargée d'une mission de service public, agissant dans l'exercice de cette mission, commis, hors les cas prévus par la loi, le détournement, la suppression ou l'ouverture de correspondances ou la révélation du contenu de ces correspondances, en l'espèce des messages à caractère privé de la messagerie électronique de Tareg A...
Fait prévu et réprimé par l'article 432-9 du code pénal.
L'affaire a été appelée à l'audience du 27 avril 2000, puis renvoyée à celle du 28 septembre 2000 pour laquelle les prévenus ont été régulièrement cités.
Le 28 septembre 2000, Hans H..., Françoise V... et Marc F... ont comparu, assistés de leurs conseils, Maître IWEINS pour le premier et la seconde, et Maître NORMAND-BODARD, pour le troisième ; la partie civile, Tareg .A..., était également présente et assistée de sou avocat, Maître FLEURY.
Le président a procédé au rappel des faits, à l'interrogatoire des prévenus, à l'audition de la partie civile et à celle du témoin cité à sa requête.
Le conseil de la partie civile a pris la parole et a demandé la condamnation solidaire de Madame V... et de Messieurs H... et F... à lui payer la somme de 200.000 Francs à titre de dommages et intérêts et celle de 50.000 francs en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Le représentant du Ministère Public a présenté ses réquisitions tendant à la condamnation pénale des prévenus.
Les conseils de ces derniers ont été entendus en leurs moyens de défense ; ils ont plaidé la relaxe de Françoise V..., d'Hans H... et de Marc F... et ont sollicité l'octroi à chacun d'entre eux de la somme de 30.000 francs sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale.
Les prévenus ont eu la parole en dernier.
L'affaire a été mise en délibéré à la date du 2 novembre 2000, dont connaissance a été donnée aux parties, conformément à l'article 462 alinéa 2 du code de procédure pénale.
AU FOND
SUR L'ACTION PUBLIQUE
Les faits sont les suivants :
Le 19 juillet 1997, Monsieur Tareg A... a porté plainte contre personne non dénommée et s'est constitué partie civile auprès du doyen des juges d'instruction de Paris pour vol, atteinte à la vie privée, violation et détérioration de correspondances privée et discrimination à son encontre.
Il exposait qu'il était étudiant en informatique et préparait, dans le cadre de l'université Paris VI, la soutenance d'une thèse sur le cerveau dans les systèmes connexionnistes en intelligence artificielle.
Pour ce faire, il avait effectué des travaux de recherche au sein du laboratoire de Physique et Mécanique des Milieux Hétérogènes (PMMH) de l'Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielle (ESPCI) sise à Paris 5 ème, 10, rue Vauquelin où il disposait d'un ordinateur qui lui avait été attribué et se trouvait protégé par un code d'accès
Dans le courant du mois de septembre 1996, il avait constaté la disparition de certaines des informations qu'il avait enregistrées dans cet ordinateur, parmi lesquelles ses publications scientifiques figurant dans son courrier électronique, dont une partie avait été subtilisée, ce qui, selon lui, signifiait nécessairement que l'auteur de cette soustraction avait "piraté" le système de protection du réseau et avait modifié par suppression les textes existants.
Là partie civile indiquait, de surcroît, qu'au début de l'année 1997, deux membres du laboratoire PMMH avaient été surpris en flagrant délit de violation de son courrier électronique, lequel contenait des correspondances privées.
Par ailleurs, il estimait qu'il était victime de discrimination de la part du directeur du laboratoire, Monsieur Hans H..., qui le soupçonnait d'être l'auteur d'une lettre ayant eu pour objet de retirer de la publication un article rédigé par une autre élève du groupe et avait refusé de le réinscrire en classe préparatoire de thèse, procédant ainsi à son éviction de fait.
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Une information des chefs d'atteinte à l'intimité de la vie privée, accession frauduleuse à un système de traitement automatisé, suppression, modification de données, discrimination et atteinte au secret des correspondances était ouverte le 20 juillet 1997
Les investigations effectuées sur commission rogatoire du magistrat instructeur ont établi les éléments qui suivent.
- à leur retour des vacances, début septembre 1996, Anne T..., étudiante en préparation de thèse comme Tareg A..., et celui-ci s'étaient plaints que certains de leur fichiers avaient disparu de leur répertoire informatique.
- la jeune femme, qui avait observé que le "log-in "(signature informatique) de Tareg A..., soit "T.I.J", apparaissait ,dans ses fichiers, en avait avisé Madame Françoise V..., ingénieur système du laboratoire, afin qu'elle l'aide à récupérer les travaux qu'elle avait perdus, ce qui avait pu être fait, et en avait également parlé à la partie civile, laquelle lui avait affirmé qu'elle n'était pour rien dans cette disparition.
- le 3 décembre 1996, Anne T... s'était aperçue qu'un article, intitulé "memory effects in elastic fiction over correlated surface", qu'elle avait rédigé en collaboration avec le Docteur R... et qui devait paraître à New-York; en février 1997, dans la Physical Review, avait été retiré de la publication à la suite d'une correspondance qu'elle aurait prétendument envoyée, le 19 novembre 1996, au directeur de la revue pour demander ce retrait, et qui s'avérait être un faux, sa signature ayant été imitée.
- elle s'en était émue et en avait aussitôt averti tant le responsable de la revue en cause, de manière à ce qu'il procède, en dépit de ce courrier, à la publication de son article, que les policiers du commissariat du 4 éme arrondissement de Paris, auprès desquels elle effectuait une déclaration de main courante, et, enfin, Monsieur Hans H..., directeur du laboratoire PMMH.
- le 16 décembre 1996, ce dernier avait convoqué Tareg A.., en présence d'Anne T... et du docteur R..., afin de lui faire part des soupçons que celle-ci nourrissait à son endroit ; la partie civile avait dénié toute implication dans cette affaire, qu'il s'agisse de la disparition des fichiers enregistrés dans son ordinateur ou de la fausse lettre adressée au nom de la jeune femme à la Physical Review et avait refusé sa proposition concernant la poursuite éventuelle de ses recherches dans un laboratoire allemand que Hans H... dirigeait également.
- Anne T... avait alors publiquement déclaré qu'elle retirait ses accusations contre Tareg A... et avait écrit en ce sens à Hans H... le même jour.
- au retour des vacances de Noël, Madame Françoise V... devait informer le directeur du laboratoire PMMH de ce qu'elle avait constaté que la moitié du courrier électronique de l'établissement - qui comprenait 70 personnes, dont 28 étudiants en thèse - concernait la seule partie civile, qu'elle en fût l'expéditeur ou le destinataire.
- Hans H... avait alors décidé de faire surveiller la messagerie de Tareg A... Une semaine plus tard, un texte lui avait été apporté consistant en un message électronique, intitulé "International crime claimed in famed ivory tower french research lab ", adressé, le 23 janvier 1997, à Tareg A... et destiné, selon les indications qui étaient contenues dans la lettre qui l'accompagnait, à être envoyé à divers journaux et diffusé sur Internet. Ce courrier relatait qu'Anne T..., en proie à un dépit amoureux, avait, à tort, accusé de faux l'un de ses collègues et lui avait ainsi causé un préjudice très important du fait que la direction du laboratoire PMMH s'était associée à ses accusations sans fondement et avait pris fait et cause pour la jeune femme, en proposant à l'étudiant injustement dénoncé de partir poursuivre ses travaux en Allemagne.
- au vu de ce message mettant en cause le laboratoire PMMH, Monsieur Hans H... avait décidé de fermer sur le champ le compte informatique de la partie civile et l'avait informé par écrit de ce qu'il souhaitait la rencontrer pour évoquer avec elle l'ensemble de ces difficultés. '
Tareg A... ne s'était pas présenté à L'ESPCI.
- il portait plainte, le 28 avril 2000, pour vol de données informatiques auprès des fonctionnaires de police du commissariat du 5 ème arrondissement de Paris ; néanmoins, les documents informatiques visés dans cette plainte ayant été mis à sa disposition au cours de l'enquête, celle-ci faisait l'objet d'un classement sans suite.
Enfin, ayant sollicité d'être réinscrite au sein du laboratoire PMMH en préparation de thèse, la partie civile avait appris par Monsieur Hans H..., en mai 1997, que celui-ci avait donné un avis négatif à ce sujet, qui avait été suivi par le directeur de l'Ecole, Pierre-Gilles de G..... .
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Entendus par les enquêteurs, les responsables du laboratoire ont fait les déclarations suivantes :
Madame Françoise V..., ingénieur au CNRS, indiquait qu'elle était administrateur des Systèmes et réseaux informatiques au sein du laboratoire PMMH depuis 1984.
Elle confirmait les soupçons portés sur Tareg A... à l'occasion des diverses modifications des fichiers appartenant à Anne T..., puis de l'envoi, au nom de cette dernière, d'une correspondance portant sa signature falsifiée ; précisant avoir, dés lors, surveillé l'utilisation, par la partie civile, du réseau informatique de l'établissement, laquelle lui avait paru considérable, elle reconnaissait qu'elle avait, à la demande de Monsieur Hans H..., "espionné" durant une dizaine de jours la messagerie électronique de Tareg A..., dont elle s'était aperçue qu'elle était, pour 90 % composée de messages d'ordre privé, et ce dans le but de découvrir la trace de la fausse lettre adressée au nom d'Anne T...
Elle déclarait, en outre, que le 23 janvier 1997, un chercheur du laboratoire et également administrateur de réseau, Marc F..., avait découvert dans la messagerie de la partie civile le courrier intitulé " International crime claimed in famed ivory tower french research lab " mentionné ci-dessus, à l'archivage duquel tous deux avaient procédé, après en avoir informé le directeur du laboratoire qui leur en avait donné l'ordre.
Monsieur Hans H..., chercheur au CNRS et directeur du laboratoire PMMH déclarait, pour sa part, qu'il était également directeur de thèses de certains des étudiants inscrits à l'ESPCI et qu'il avait, à ce titre, recommandé l'inscription de Tareg A... , dans cette école, en 1994. Précisant que celui-ci lui avait rapidement paru manquer de rendement pour parvenir à soutenir sa thèse dans le temps qui lui était imparti, il indiquait qu'il avait cependant accepté d'émettre un avis favorable à sa réinscription en 1995 et 1996, non sans attirer l'attention de l'intéressé sur la nécessité dans laquelle il se trouvait d'avoir à faire un effort sérieux. Il confirmait qu'avisé, courant décembre 1996, des difficultés rencontrées par Anne T... avec celui ci, et notamment de l'envoi d'une lettre apocryphe sollicitant le retrait d'une de ses publications particulièrement importante, il avait, dans un premier temps, essayé d'apaiser les antagonistes en proposant notamment à Tareg A... de partir en Allemagne . Celui-ci ayant protesté de son innocence devant sa collègue, qui ne l'avait , en définitive, pas mise en doute, il avait pensé que l'incident était clos.
Il reconnaissait qu'ayant appris de Françoise V... que la moitié du courrier électronique du laboratoire concernait la partie civile, il avait demandé à l'ingénieur système de l'établissement de surveiller la messagerie de Tareg A... dans le but de contrôler la provenance et la nature des messages reçus ou adressés par celui-ci et dans l'intérêt de la sécurité et du bon usage de son réseau informatique, qui ne devait pas être utilisé à des fins privées. Il avait ainsi été mis au courant de la découverte de la dépêche intitulée "international crime claimed in french ivory tower french research lab" qu'il considérait comme diffamatoire pour le laboratoire. Il avait, en conséquence, donné l'ordre de fermer le compte informatique de l'étudiant. Par la suite, il n'avait pu entrer en contact avec Tareg L... malgré son souhait, le jeune homme ne venant au laboratoire que très tard le soir, mais avait laissé l'ensemble de ses travaux à sa disposition. Il confirmait, enfin, qu'il avait émis un avis défavorable quant à sa réinscription à L'ESPCI, lequel avait été suivi par la direction de l'école.
Quant à Monsieur Marc F... fonctionnaire de la Ville de Paris et Maître de conférence à L'ESPCI, il indiquait qu'il avait été administrateur système du site informatique du laboratoire, avant l'arrivée de Françoise V..., et avait conservé ces responsabilités comme adjoint, lors de la prise de fonctions de cette dernière. Ayant eu connaissance des difficultés relationnelles existant entre Anne T... et Tareg A..., il avait également appris qu'Hans H... avait demandé à Françoise V... de surveiller la messagerie électronique de la partie civile, soit le volume et les destinations de ce courrier. Il admettait qu'à la suite du blocage de la messagerie du réseau, il avait, un jour de janvier 1997, été amené à débloquer le système en intervenant sur les messages en attente ; il avait, à cette occasion, constaté la présence d'un document dont l'intitulé ;lui avait paru surprenant et sans lien avec la physique, s'agissant de délit commis dans un laboratoire fiançais, et en avait parlé aussitôt à Hans H... qui leur avait alors demandé, à François V... et à lui même, d'archiver ce message, ce qu'ils avaient fait.
Il ajoutait que les messages arrivant sur un système informatique se trouvaient dans une zone dite "tampon" avant d'être adressés vers les boites à lettres, et qu'une intervention pouvait être nécessaire sur cette zone pour permettre la remise en état du système, observant, toutefois, que seul un examen des messages archivés peut lever le doute sur leur teneur professionnelle ou non. Il concluait qu'il était dans le rôle et les prérogatives d'un administrateur système de débloquer le fonctionnement d'un réseau informatique, ses responsabilités entraînant la prise de connaissance de messages destinés aux utilisateurs du réseau.
Tous trois indiquaient que le système informatique du laboratoire PMMH était relié, depuis 1993, au réseau mondial par le système RENATER lequel est dédié à la recherche et à l'enseignement et dont la charte déontologique, versée à la procédure, précise qu'il ne doit être utilisé qu'à des fins strictement professionnelles et que ses règles d'usage s'imposent à tout utilisateur du réseau.
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Respectivement mis en examen, le 30 avril 1999, du chef d'atteinte au secret des correspondances prévu et réprimé par l'article 432-9 du code pénal, pour les deux premiers, et de complicité de ce défit, pour le troisième, Madame Françoise V... et Messieurs Marc F... et Hans H... ont confirmé devant le magistrat instructeur les déclarations qu'ils avaient faites aux enquêteurs reconnaissant ainsi, avoir, pour des raisons tenant au piratage informatique ayant affecté le réseau du laboratoire PMMH, dont Anne T... était notamment utilisatrice, consulté ou donné l'ordre de consulter d'abord le contenu des fichiers, puis celui de la messagerie électronique de Tareg A..., qui n'en avait pas été informé, compte tenu de ses horaires de venue dans l'établissement. Ils ont insisté, toutefois, sur le fait que des consignes étaient systématiquement données depuis novembre 1994 aux étudiants du laboratoire, lors de leur entrée à l'ESPCI; an moyen d'une notice d'utilisation du réseau, dont le message - non daté - était produit aux débats par Madame V... et qui leur indiquait que l'usage des "ressources informatiques était exclusivement réservé à l'activité professionnelle de recherche et d'enseignement", leur mot de passe garantissant la sécurité du système, qui, par ailleurs, ne devait pas être encombré par des programmes inutiles.
Questionnés à ce sujet, les mis en examen ont déclaré qu'ils n'étaient intervenus dans la messagerie de la partie civile que pour préserver la sécurité du réseau, celle ci en abusant visiblement, à des fins privées, et pouvant le mettre en danger par des actions pirates effectuées à partir de son ordinateur personnel. Marc F... a admis néanmoins que la manipulation informatique à laquelle il avait dû procéder lors de son intervention visant à débloquer le système avait finalement consisté à déplacer des fichiers, et non à supprimer des messages, et que sa prise de connaissance de la lettre intitulée "International crime claimed in famed ivory tower french research lab" n'était pas liée à cette mesure de déblocage, même si elle avait eu lieu à cette occasion.
La partie civile a maintenu les termes de sa plainte, en soulignant, d'une part, que ses messages privés, enregistrés sur disque dur, et notamment envoyé le 23 janvier 1997 par Anne-Laura S... et ayant donné lieu à la fermeture de son compte informatique, avaient été lus et que, d'autre part, il n'avait jamais eu connaissance de consignes d'utiliser à des fins personnelles l'ordinateur qui lui était attribué, chaque étudiant s'en servant pour faire sa correspondance privée.
Entendus à leur tour à propos des instructions données sur ce point, les élèves se trouvant actuellement à l'ESPCI. ont indiqué qu'ils étaient désormais informés du caractère strictement professionnel de l'utilisation des ordinateurs mis à leur disposition et de l'existence de procédures de contrôle de l'utilisation du réseau informatique, y compris de celui de la messagerie électronique.
Les travaux informatiques réalisés par Tareg A... et sauvegardés par la direction du laboratoire PMMH lui ont été restitués par ordonnance du 5 mai 1998.
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Lors de l'audience, les prévenus ont soutenu à l'appui de leurs conclusions tendant à leur relaxe, qu'à supposer l'élément légal de l'infraction de violation du secret de correspondances par personne dépositaire de l'autorité publique constitué, ni l'élément matériel, ni l'élément intentionnel de ce délit n'étaient, en l'espèce, caractérisés.
Prétendant que les messages e-mail (s) ne pouvaient bénéficier des règles de confidentialité qui s'attachent à une correspondance postale, puisque ces courriers, non cryptés, sont confiés à des serveurs intermédiaires qui les véhiculent à découvert et les acheminent vers leur destinataire et qu'ils doivent pouvoir être contrôlés à leur arrivée sur un réseau compte tenu des dommages qu'ils sont susceptibles d'y causer, ils ont fait valoir qu'ils n'avaient pas agi de mauvaise foi, leur seul souci étant d'assurer la sécurité du réseau informatique du laboratoire PMMH et son utilisation conforme à la charte RENATER. Marc F... a relevé, en outre, que le seul message dont il avait pris connaissance, soit la lettre intitulée "International crime claimed in famed ivory tower french research lab" avait été publié sur le Net quelques jours après son intervention et diffusé à 2000 personnes, ce qui lui enlevait tout caractère de confidentialité.
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MOTIFS
L'article 432-9 du code pénal incrimine le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, agissant dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, d'ordonner, de commettre ou de faciliter, hors les cas prévus par la loi, le détournement, la suppression ou l'ouverture de correspondances ou la révélation du contenu de ces correspondances et étend cette incrimination, en son alinéa 2, au fait, pour une personne visée ci-dessus ou un agent d'un exploitant de réseau de télécommunications autorisé en vertu de l'article L 33.1 du code des postes télécommunications ou d'un fournisseur de service de télécommunication, d'ordonner, de commettre, ou de faciliter dans les mêmes conditions, l'interception ou le détournement de correspondances émises, transmises, ou reçues par la voie des télécommunications, ou l'utilisation ou la divulgation de leur contenu.
La commission de cette infraction suppose, outre l'élément légal, la réunion d'un élément matériel et d'un élément intentionnel.
Sur l'élément matériel
L'élément matériel est caractérisé au regard de la qualité de l'auteur de l'infraction, de l'objet de l'infraction, ou de la nature de l'objet protégé, et des actes délictueux incriminés.
- La personne désignée par le texte susvisé doit, d'une part, être dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public et, d'autre part, avoir agi dans l'exercice de ses fonctions.
La personne dépositaire de l'autorité publique est celle qui! est titulaire d'un pouvoir de décision et de contrainte sur les individus et les choses dont elle use dans l'exercice des fonctions desquelles elle est investie par délégation de la puissance publique, tandis que la personne chargée d'une mission de service public est celle qui, sans avoir reçu un pouvoir de décision ou de commandement découlant de l'autorité publique, est chargée d'accomplir des actes ou d'exercer une fonction dont la finalité est de satisfaire à un intérêt général.
En l'espèce, Hans H..., chercheur au CNRS et directeur du laboratoire PMMH, Françoise V..., ingénieur d'études au CNRS et administrateur du système informatique du même laboratoire, et Marc F..., fonctionnaire de la Ville de PARIS, Maître de conférences au dit laboratoire, oeuvrent tous trois au sein de l'Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielle, laquelle est placée sous la double tutelle du CNRS et de la Ville de PARIS.
Ce faisant, ils sont indéniablement chargés d'une mission de service public d'enseignement dans l'intérêt de la collectivité, ce que, d'ailleurs, ils ne contestent pas.
De même il apparaît que les reproches qui leur sont faits concernent des actes qu'ils ont accomplis dans l'exercice de cette mission, puisqu'il leur est fait grief d'avoir mis à profit leur maîtrise du réseau informatique du laboratoire PMMH pour procéder à des investigations dans la messagerie électronique de Tareg A..., en commettant ainsi un abus de pouvoir.
Dés lors, les dispositions de l'article 432-9 du Code pénal leur sont applicables.
- L'objet de l'infraction visée aux termes de ce texte est constitué, soit de correspondances écrites, soit de celles échangées par voie de télécommunication.
En l'espèce il résulte, à l'évidence, de l'information et des débats que, bien que la présente poursuite soit fondée sur les dispositions de l'alinéa 1 de l'article 432-9 du Code pénal, les messages incriminés par la partie civile doivent être analysés comme étant susceptibles d'être des correspondances échangées par voie de télécommunications, dont la violation est prévue et réprimés par l'alinéa 2 du même texte.
En effet, on entend par télécommunication "toute transmission, émission ou réception de signes, de signaux d'écrits, d'images, de sons ou de renseignements de toute nature par fil, optique, radio électricité ou autre système électromagnétique", conformément à la définition qu'en donne l'article L 32 du Code des postes et télécommunications.
Cette énumération inclut toutes les communications à distance actuellement connues, qu'il s'agisse des communications téléphoniques ou de celles effectuées par minitel, par télécopie, par fax et par satellite réseau internet.
Le réseau mondial du Net et l'intégralité des services qu'il offre, comme celui de la messagerie électronique, entrent donc dans le champ d'application de la législation relative aux télécommunications.
Il appairait, par ailleurs; que le terme correspondance désigne toute relation par écrit existant entre deux personnes identifiables, qu'il s'agisse de lettres, de messages ou de plis fermés ou ouverts.
Cette relation est protégée par la loi, dès que le contenu qu'elle véhicule est exclusivement destiné par une personne dénommée à une autre personne également individualisée, à la différence des messages mis à disposition du public.
Le secret en est aménagé suivant les dispositions figurant dans le Code pénal sous ses articles 226-13 et 432-9, lesquels reprennent pour ce qui concerne les télécommunications, la règle posée aux termes du premier alinéa de l'article 1 de la loi du 10 juillet 199l, qui édicte que "le secret des correspondances émises par la voix des télécommunications est garantie par la loi".
Ces dispositions consacrent, en droit interne, le principe que rappelle l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, selon lequel la correspondance est un attribut de la vie privée qui justifie la protection légale dont elle est l'objet.
En l'espèce, il convient de déterminer si la messagerie de Tareg A... se trouve être protégée par le secret de la correspondance.
Il est nécessaire de rappeler, à ce sujet, que la messagerie électronique permet de transmettre un message écrit d'une personne à une autre, de manière analogue au courrier.
Chacune des personnes désireuses d'effectuer une transmission doit, à cette fin posséder une adresse électronique dont les deux composantes - son nom et celui de l'entité à laquelle elle est rattachée - définissent son identité informatique, qui est unique. A partir de là, l'une d'elle peut adresser à l'autre tout message qu'elle souhaite lui faire parvenir, son correspondant consultant alors sa boîte aux lettres dont l'accès peut être protégé par un mot de passe afin d'y lire les communications qui y ont été envoyées et s'y trouvent en attente.
Le message ainsi transmis revêt les caractéristiques suivantes :
- il est exclusivement destiné à une personne physique ou morale
- Il s'adresse à une personne individualisée, si son adresse est nominative, ou déterminée, si son adresse est fonctionnelle, le destinataire final du message n'étant pas précisé en ce cas, mais son récepteur ayant qualité pour recevoir le dit message.
- Il est personnalisé en ce qu'il établit une relation entre l'expéditeur et le récepteur, laquelle fait référence à l'existence d'un lien les unissant qui peut être familial, amical, professionnel, associatif, etc.....
Il en résulte que l'envoi de message électronique de personne à personne constitue de la correspondance privée.
Il convient donc de considérer que la messagerie électronique de la partie civile, à laquelle il n'était, en l'occurrence, possible d'accéder qu'en utilisant son mot de passe, était protégée par le secret de la correspondance émis par voie de télécommunications, dont la violation tombe sous le coup de la loi pénale.
Il importe peu, à cet égard que l'un des messages dont Tareg A... a été destinataire ait été ultérieurement publié dans la presse ou diffusé sur Internet dés lors qu'il lui avait été, au préalable, adressé personnellement, le caractère privé, et donc confidentiel, de cette correspondance résultant de ce mode d'envoi.
- Les actes délictueux incriminés par l'article 432-9 alinéa 2 du Code pénal consiste (sic) à intercepter ou détourner des correspondances émises, transmises, ou reçues par la voie des télécommunications ou encore à utiliser ou divulguer des communications interceptées ou détournées par autrui. Le mode opératoire tient au fait de commettre, d'ordonner ou de faciliter ces actes.
En l'espèce, il n'est pas contestable, ni d'ailleurs contesté, que Françoise V... et Marc F... ont intercepté - c'est à dire pris connaissance par surprise (de) certains des messages personnels adressés à Tareg A... et contenus dans sa messagerie électronique.
Françoise V... a reconnu avoir, pendant quelques jours, surveillé, en l'ouvrant, le courrier informatique de la partie civile, afin d'une part de recenser les messages ayant trait à sa vie privée par rapport aux messages à caractère professionnel, et, d'autre part de rechercher la fausse lettre adressée au nom d'Anne T... Elle a également admis avoir, de concert avec Marc F... archivé le texte adressé à Tareg A... intitulé "International crime claimed in famed ivory tower research lab ", ce qui implique que tous deux aient, au préalable intercepté, ce message.
Marc F... a également reconnu avoir intercepté ce courrier, alors que cherchant à débloquer le système informatique du laboratoire PMMH, non sans se souvenir des difficultés ayant récemment opposé la partie civile à Anne T..., il avait contrôlé les messages adressés ou émis par les étudiants de l'établissement se trouvant encore dans la zone "tampon" et avait pris connaissance du dit document.
Enfin, Hans H... n'a pas dénié avoir donné à ses deux collaborateurs des ordres précis tendant à l'interception des courriers destinés à Tareg A...
Il apparaît, en conséquence, que l'élément matériel de l'infraction de violation de correspondances par voie de télécommunication par personne chargées d'une mission de Service public et agissant dans l'exercice de leurs fonctions reprochée aux trois prévenus est constitué...
L'élément intentionnel
L'élément intentionnel s'entend, au sens de l'article 432.9 du Code pénal, de la volonté des auteurs de l'infraction de commettre les actes délictueux qui y participent, lesquels sont l'interception, ou le détournement de correspondances par voie de télécommunications, ou encore l'utilisation, ou la divulgation de leur contenu.
Cette volonté est manifestée par le comportement de l'auteur du délit qui, ayant connaissance de ce que la correspondance litigieuse ne lui est pas destinée, s'en empare, ou s'informe de son contenu à l'insu do son destinataire.
Si la mauvaise foi n'est pas expressément requise, ici contrairement à ce qui est exigé par la loi pour ce qui est de l'infraction prévue définie à l'article 226-15 du Code pénal qui concerne les mêmes faits délictueux commis par des particuliers, il demeure que l'intention délictueuse de l'auteur ne peut être retenue que dans la mesure où elle s'est clairement exprimée au travers de ses actes.
Enfin, l'intention coupable est indépendante des mobiles auxquels l'auteur prétendrait avoir obéi.
En l'espèce, Françoise V..., Marc F... et Hans H... ont manifesté sans équivoque leur volonté, pour les deux premiers, de prendre connaissance par surprise de correspondances contenues dans la messagerie électronique de Tareg A... et, pour le troisième, d'ordonner les investigations auxquelles se sont livrés ses collaborateurs.
Ils savaient incontestablement que les courriers qui se trouvaient dans la boite à lettres de la partie civile ne leur étaient pas destinés, puisque, soit ils avaient été adressés par celle-ci à des tiers connus d'elle, soit ils lui avaient été envoyés par des personnes de son entourage, comme c'est le cas du message émanant d'Anne-Laure S... intitulé "International crime claimed in famed ivory tower french research lab".
Les prévenus invoquent, au soutien de leur absence d'intention coupable, le fait que le comportement de Tareg A..., lequel utilisait abusivement, à des fins privées, la messagerie dont il disposait, au mépris des obligations mises à sa charge par la charte RENATER d'où il résulte que les utilisateurs du réseau s'obligent à un usage strictement professionnel -, constituait un cas de force majeure qui légitimait leur intervention dans la messagerie de l'intéressé, dans la mesure où son utilisation abusive du réseau du laboratoire PMMH mettait en cause la sécurité de son système informatique:
Outre que ces circonstances ne constituent pas les cas légaux prévus au texte de l'article de 432-9 du Code pénal, qui concernent les interceptions faites pour les nécessités d'une bonne administration de la justice, ou celles dites de sécurité, ou encore celles tombant sous le coup de dispositions légales particulières (postales, douanières ou en rapport avec le fonctionnement des établissements pénitentiaires..) , le tribunal relève à cet égard, que :
- la charte RENATER, à laquelle a adhéré le laboratoire PMMH, si elle prévoit que les utilisateurs du réseau qu'elle met à leur disposition doivent en faire un usage strictement professionnel, précise également que la consultation des fichiers (lesquels ne peuvent, par nature, être considérés comme confidentiels, contrairement à la correspondance) d'un utilisateur par un autre doit être autorisée par le propriétaire de ces fichiers et que, de même, les administrateurs système ne peuvent, sauf exception tenant à la sécurité du réseau, intervenir dans ces fichiers sans l'autorisation de leur propriétaire. En outre, il y est mentionné que ces administrateurs s'interdisent, pour des raisons déontologiques, d'intervenir dans les messageries des étudiants.
- Il n'est pas établi que ces règles d'utilisation strictement professionnelle, dont Madame V... prétend qu'elle les a fait connaître aux utilisateurs du réseau dés novembre 1994 et en veut pour preuve les notes personnelles qui figurent sur son agenda de cette année là ont été portées à la connaissance de Tareg A... au moment de son entrée à L'ESPCI. La partie civile dénie avoir reçu ces instructions et les investigations effectuées sur commission rogatoire, en 1998, auprès des étudiants du laboratoire alors présents ne sont pas concluantes sur ce point, puisqu'elles portent sur une période postérieure à celle des faits.
- L'application de ce principe d'usage exclusif ne peut, en tout état de cause, justifier le fait que les administrateurs système du laboratoire et son directeur aient pris connaissance, à son insu, du courrier électronique de la partie civile, au motif qu'elle y contrevenait, fût-ce dans des proportions importantes, alors qu'il eut été aisé de lui rappeler les règles d'utilisation du réseau, en l'invitant à s'y conformer.
- Contrairement à ce qu'affirment les prévenus, la sécurité du système informatique du laboratoire PMMH n'était pas mise en cause lors de leur intervention dans la messagerie électronique de Tareg A..., courant janvier 1997, il n'existait, à cette époque précise, aucun piratage du réseau, comme cela avait été le cas en septembre 1996, au moment[ de la disparition des fichiers appartenant à Anne T... Par ailleurs, le fait que la partie civile ait été éventuellement à l'origine de l'envoi à la Physical Review d'une lettre apocryphe ne mettait nullement en danger le système, même si cette grave circonstance pouvait inquiéter la direction de l'établissement, cet incident étant sans rapport avec la sécurité du réseau. Celle-ci, enfin, n'était pas davantage en question lorsque Marc F... avait été amené à débloquer le système du laboratoire, aux alentours du 23 janvier 1997, puisque le seul déplacement de certains fichiers avait permis, selon son propre aveu, le retour au fonctionnement du réseau sans qu'il soit nécessaire d'intervenir sur les messageries des étudiants et que le prévenu pouvait, d'ailleurs, assurer la surveillance du volume et de la destination du courrier de la partie civile par le seul contrôle du répertoire de la messagerie, sans y pénétrer.
- Le souci de la sécurité du système informatique du laboratoire PMMH que Françoise V... Marc F.... et Hans H.... invoquent pour légitimer les interceptions qu'ils ont commises ou ordonnées n'est donc pas à l'origine de celles-ci et ne saurait les excuser.
Il apparaît, au contraire, que le mobile ayant inspiré leurs actes tient à la recherche de la lettre écrite et signée aux lieu et place d'Anne T..., ainsi que Françoise V... l'a admis au cours de l'information, et, au delà, à la volonté de limiter les conséquences que l'antagonisme existant entre la jeune femme et la partie civile était susceptible d'engendrer pour l'établissement.
Les prévenus doivent, au vu de l'ensemble de ces éléments, démonstratifs, être déclarés coupables des faits qui leur sont reprochés.
Il y a lieu, toutefois, de leur faire une application bienveillante de la loi pénale, eu égard au fait que les actes délictueux retenus à leur encontre ont été commis dans le contexte particulier d'un laboratoire de recherche scientifique de haut niveau dont la vie a été perturbée par des conflits de personnes, compliqués de certains phénomènes de fraude, auxquels les responsables de cette unité ont tenté maladroitement de trouver une solution.
Il convient, dés lors, de condamner Hans H... et Françoise V..., dont les agissements sont d'une gravité similaire, à une peine d'amende de 10.000 francs, et Marc F... dont la participation aux faits délictueux est moindre, à une peine d'amende de 5.000 francs.
SUR L'ACTION CIVILE
Il apparaît que le préjudice de la partie civile, qui tient aux. conséquences de la violation de sa correspondance électronique, est exclusivement moral, contrairement à ce qu'elle soutient. Celui-ci sera justement réparé par l'allocation de la somme de 10.000 francs.
En outre, les prévenus seront condamnés à lui verser la somme de 15.000 francs en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal Statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l'encontre de Françoise V..., Marc F... Hans H..., prévenus, à l'égard de Tareg A... partie civile, et après en avoir délibéré conformément à la loi.
REQUALIFIE le délit reproché à Hans H..., Françoise V... et Marc F... de violation de correspondances par personne chargée d'une mission de service public en délit de violation de correspondances effectuées par voie de télécommunication, par personne chargée d'une mission de service public, prévu et puni par l'article 432-9 alinéa 2 du Code pénal
LES en DECLARE coupables, le premier, pour avoir ordonné l'interception de messages se trouvant dans la messagerie électronique de Tareg A... et, les second et troisième, pour avoir commis les dites interceptions.
CONDAMNE
- Hans H... à payer une amende de 10.000 Francs
- Françoise V... à payer une amende de 10.000 francs
- Marc F... à payer une amende de 5.000 Francs
REÇOIT Tareg A. en sa constitution de partie civile.
CONDAMNE solidairement Hans H..., Françoise V... et Marc F... à lui payer la somme de 10.000 bancs à titre de dommages et intérêts.
Les CONDAMNE chacun à lui verser une indemnité de 5.000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale.