CA Toulouse, 08-03-2019, n° 17/04008, Infirmation partielle


08/03/2019
ARRÊT N°19/121
N° RG 17/03783 - N° Portalis DBVI-V-B7B-LX23
et 17/4008 - N° Portalis
DBVI-V-B7B-LYUV
CAPA/SR
Décision déférée du 22 Juin 2017 - Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de TOULOUSE ( F16/00034)
Jeanne REGAGNON
Rodrigue Z
C/
SNC SOCIETE D'AVITAILLEMENT ET DE STOCKAGE DE CARBURAN TS AVIATION (SASCA)
SA TOTAL MARKETING SERVICES
RÉFORMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU HUIT MARS DEUX MILLE DIX NEUF

***
APPELANTS ET INTIMÉS
Monsieur Rodrigue Z

CARAMAN
Représenté par Me Christophe EYCHENNE, avocat au barreau de TOULOUSE
SNC SOCIETE D'AVITAILLEMENT ET DE STOCKAGE DE CARBURANTS AVIATION
(SASCA)
1 place Gustave Eiffel
94150 RUNGIS
Représentée par Me Pierre MARBOT de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, avocat au
barreau de TOULOUSE, postulant, et par Me Michael H. DAHAN, avocat au barreau de PARIS,
plaidant.
SA TOTAL MARKETING SERVICES
24 cours Michelet
92800 PUTEAUX
Représentée par Me Pierre MARBOT de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, avocat au
barreau de TOULOUSE, postulant, et par Me Michael H. DAHAN, avocat au barreau de PARIS,
plaidant.
INTIMÉS ET APPELANTS
SNC SOCIETE D'AVITAILLEMENT ET DE STOCKAGE DE CARBURANTS AVIATION
(SASCA)
1 place Gustave Eiffel
94150 RUNGIS
Représentée par Me Pierre MARBOT de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, avocat au
barreau de TOULOUSE, postulant, et par Me Michael H. DAHAN, avocat au barreau de PARIS,
plaidant.
SA TOTAL MARKETING SERVICES
24 cours Michelet
92800 PUTEAUX
Représentée par Me Pierre MARBOT de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, avocat au
barreau de TOULOUSE, postulant, et par Me Michael H. DAHAN, avocat au barreau de PARIS,
plaidant.
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été
débattue le 10 Janvier 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant
Caroline PARANT, présidente, et Alexandra PIERRE-BLANCHARD, conseillère, toutes deux
chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour,
composée de :
Caroline PARANT, présidente
Sonia DEL ARCO SALCEDO, conseillère
Alexandra PIERRE-BLANCHARD, conseillère
Greffière, lors des débats : Brigitte COUTTENIER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par Caroline PARANT, présidente, et par Brigitte COUTTENIER, greffière de chambre.
*******

EXPOSÉ DU LITIGE
Le 30 septembre 1977 les sociétés ELF France et Total Raffinage Distribution ont constitué un
groupement d'intérêt économique dénommé GAT : Groupement pour l'Avitaillement de Toulouse,
qui avait notamment pour objet la gestion des opérations de stockage et de mises à bord de
carburants et autres produits, l'entretien des bâtiments et véhicules, soit par l'intermédiaire du
personnel de chaque société membre du GIE mis à la disposition du groupement, soit par
l'intermédiaire du personnel embauché et géré directement par le groupement.
Le contrat de groupement du gie GAT a été modifié à effet au 1er janvier 2001 par l'entrée au sein du
groupement de la société BP [...].
M. Rodrigue Z a conclu à compter du 15 février 1999 de nombreux contrats de mission avec
les sociétés d'intérim Manpower et Vedior Bis et il a été mis à disposition du gie GAT en qualité
d'avitailleur sur le site de l'aéroport de Blagnac. La dernière mission, a pris fin le 31 octobre 2005.
Le 25 novembre 2011, à effet au 1er janvier 2012, les sociétés Total et BP [...]
apport partiel d'actif au bénéfice de la société en nom collectif, la Société Avitaillement et Stockage
Carburants Aviation, dite SASCA.
M. Z a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse le 6 juin 2013 de plusieurs demandes
dirigées contre la société SASCA et la société Total Marketing Services.
Par jugement de départition du 22 juin 2017, le conseil de prud'hommes de Toulouse a :
- rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription des demandes de Mr Z ,
- requalifié la relation contractuelle du 15 mars 1999 au 31 octobre 2005 en contrat à durée
indéterminée,
- jugé que la rupture de la relation contractuelle s'analyse en un licenciement sans cause réelle et
sérieuse,
- condamné solidairement la SA Total Marketing Services et la SNC SASCA Toulouse à payer à M.
Z les sommes suivantes ;
*5 000 euros à titre d'indemnité de requalification,
*12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*3 933,31 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
*3 210,86 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
*321,08 euros de congés payés afférents,
*2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
- rejeté le surplus des demandes des parties,
- rappelé que la décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit,
- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à 1 600 euros,
- condamné solidairement la SA Total Marketing Services et la SNC SASCA Toulouse aux dépens.
M. Z a relevé appel de ce jugement le 13 juillet 2017 et et les sociétés SASCA et Total
Marketing Services ont interjeté appel le 25 juillet suivant dans des conditions de délai et de forme
qui ne sont pas discutées.
La jonction des deux instances sera ordonnée dans un souci de bonne administration de la justice.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 janvier 2018 auxquelles il y a
lieu de se référer, Mr Z demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- requalifié en contrat à durée indéterminée la relation de travail temporaire écoulée du 15 février
1999 au 31 octobre 2005,
- requalifié la rupture intervenue le 31 octobre 2005 en licenciement,
- condamné solidairement les sociétés SASCA et Total Marketing Services à payer à Mr Z 5
000 euros sur le fondement de l'article L 1251-41 alinéa 2 et 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du
code de procédure civile,
- le réformer pour le surplus, et statuant à nouveau :
A titre principal
- juger le licenciement nul en application des articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail,
- ordonner sa réintégration au sein de la société SASCA en qualité d'avitailleur coefficient K 185 sur
le site de l'aéroport de Toulouse-Blagnac avec une ancienneté acquise depuis le 15 février 1999,
- condamner solidairement la société SASCA et la société Total Marketing Services à payer :
*12 113,16 euros en réparation du préjudice de perte des primes d'intéressement et de participation du 15
février 1999 au 1er novembre 2005 ,
*253 925,95 euros en réparation du préjudice de perte des rémunérations du 1er novembre 2005 au 31
décembre 2017,
*24 226,32 euros en réparation du préjudice de perte des primes d'intéressement et de participation du
1er novembre 2005 au 31 décembre 2017,
*1 874,84 euros (sauf à parfaire fonction des évolutions conventionnelles) tous les mois, en réparation du
préjudice de perte de rémunération, du mois de janvier 2018 jusqu'à la réintégration effective,
A titre subsidiaire :
- juger le licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
- condamner solidairement les sociétés SASCA et Total Marketing Services à lui payer :
*19 265,16 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*3 933,31 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
*3 210, 86 euros à titre d'indemnité conventionnelle de préavis,
*321,08 euros au titre des congés payés afférents,
*12 113,16 euros en réparation du préjudice de perte des primes d'intéressement et de participation du 15
février 1999 au 1er novembre 2005
En toute hypothèse,
- condamner solidairement les sociétés SASCA et Total Marketing Services au paiement de la
somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers
dépens de l'instance.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 janvier 2018, auxquelles il y a lieu de se
référer, la Société d'Avitaillement et de Stockage des Carburants Aviation (SASCA) et la
société Total Marketing Services, demandent à la cour de :
- débouter Mr Z de toutes ses demandes,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris.
- condamner Mr Z au paiement, de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du
code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 décembre 2018.
MOTIFS
La cour constate que le jugement entrepris n'est pas contesté en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir
tirée de la prescription des demandes de Mr Z de sorte que cette disposition a définitivement
été jugée.
Sur la demande de requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée
M. Z soutient que les contrats de mission conclus avec les sociétés d'intérim du 15 février
1999 au 31 octobre 2005 doivent être requalifiés en contrat à durée indéterminée conclus avec
l'entreprise utilisatrice GAT dont était membre, notamment, la société Total ; il prétend que les
contrats de mission ont eu pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et
permanente de l'entreprise utilisatrice, le gie GAT.
Il est rappelé qu'en application de l'article L. 1251-1 du code du travail, le recours au travail
temporaire a pour objet la mise à disposition temporaire d'un salarié par une entreprise de travail
temporaire au bénéfice d'un client utilisateur pour l'exécution d'une mission.
Chaque mission donne lieu à la conclusion :
1° D'un contrat de mise à disposition entre l'entreprise de travail temporaire et le client utilisateur, dit
"entreprise utilisatrice" ;
2° D'un contrat de travail, dit "contrat de mission", entre le salarié temporaire et son employeur,
l'entreprise de travail temporaire.
Et il résulte de l'article L. 1251-5 que le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni
pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de
l'entreprise utilisatrice.
Il s'évince de la lecture des contrats de mission signés entre Mr Z et les sociétés d'intérim
Manpower et Védior Bis que Mr Z a été embauché par ces sociétés d'intérim pour être mis à la
disposition du client le gie GAT.
Les contrats de mise à disposition successifs mentionnent comme client, soit les sociétés Total, Elf
Antar, BP, soit le GAT, étant précisé que, quand le contrat mentionne comme client utilisateur le
GAT, les contrats sont tamponnés à côté des mentions : 'signature et cachet de l'entreprise
utilisatrice' par les sociétés Elf Antar ou Total Raffinage Distribution, mais également parfois par le
GAT lui -même.
Les contrats signés en vue du remplacement d'un salarié absent sont accompagnés de la demande du
GAT qui précise, pour la durée de la période de mise à disposition demandée, le nom du salarié
absent à remplacer, en précisant qu'il s'agissait de salariés des sociétés Elf, Total ou BP.
C'est ainsi que :
- au cours de l'année 1999, 26 contrats ont été conclus ; Mr Z a pourvu un emploi d'avitailleur
pour le compte de la société Total et de la société Elf,
- au cours de l'année 2000, 13 contrats ont été conclus dont 3 pour le compte de la société Elf et 4
pour celui de la société Total,
- au cours de l'année 2001, 18 contrats ont été conclus dont 4 pour le compte de la société Elf , 9
pour celui de Total, les 7 autres conclus par le GAT ne pouvant être reliés à aucune société pétrolière
en particulier,
- au cours de l'année 2002, 20 contrats ont été conclus par le GAT qui est l'unique signataire des
contrats de mission avec son propre tampon de signature et il n'est pas produit de demandes de
délégation permettant d'identifier l'utilisation du salarié par une autre société pétrolière ; aucune
mission n'a été confiée à Mr Z entre le 30 septembre 2002 et le 27 mars 2003,
- au cours de l'année 2003, 6 contrats ont été conclus entre le 27 mars et le 8 juin 2003 par le GAT
sans qu'il soit possible de connaître la société pétrolière utilisant les services de Mr Z ; aucune
mission n'a été conclue entre le 9 juin 2003 et le 18 avril 2004,
- au cours de l'année 2004, 22 contrats ont été conclus, dont la moitié par le GAT pour le compte de
la société BP, et l'autre moitié par le GAT pour le compte de la société Total ; aucune mission n'a été
confiée à Mr Z entre le 6 décembre 2004 et le 14 février 2005,
- au cours de l'année 2005, 30 contrats ont été conclus, d'abord du 14 février 2005 au 11 septembre,
puis du 28 au 31 octobre, dont 9 pour remplacer des salariés de la société BP [...]
permettant pas de connaître la société pétrolière bénéficiaire des services de Mr Z .
Il a été rappelé que l'activité normale et permanente du gie GAT est la gestion des opérations de
stockage et de mises à bord de carburants et autres produits, l'entretien des bâtiments et véhicules,
soit par l'intermédiaire du personnel de chaque société membre du GIE mis à la disposition du
groupement, soit par l'intermédiaire du personnel embauché et géré directement par le groupement.
En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que, contrairement à ce qu'il soutient, Mr Z
a travaillé en qualité d'avitailleur sur le site de l'aéroport de Blagnac pour fournir du kérosène aux
aéronefs non pour pourvoir durablement un emploi lié à l'activité permanente du gie GAT mais pour
pourvoir, à titre temporaire, un emploi d'avitailleur lié à l'activité permanente des membres du GAT,
à savoir les sociétés pétrolières Total, Elf Antar ou BP, étant précisé que les missions ont été
interrompues entre le 30 septembre 2002 et le 27 mars 2003, soit pendant près de 6 mois, puis entre
le 9 juin 2003 et le 18 avril 2004, soit pendant plus de 10 mois.
De sorte qu'il sera débouté de sa demande de requalification de ses contrats de mission en un seul
contrat à durée indéterminée conclu avec le GAT et de sa demande en paiement d'une indemnité de
requalification par infirmation du jugement entrepris.
Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail
En l'absence de requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée, la rupture
des contrats de mission est normalement intervenue au terme du dernier contrat de mission soit le 31
octobre 2005.
Aucun licenciement n'ayant été prononcé ou n'étant intervenu de fait, Mr Z sera débouté de ses
demandes fondées sur un licenciement nul ou sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré qui a alloué à Mr Z des dommages et intérêts pour licenciement sans cause
réelle et sérieuse ainsi que le bénéfice de ses indemnités de préavis, de congés payés y afférents, et
de licenciement sera infirmé.
Sur la demande d'indemnisation du préjudice de perte de primes d'intéressement et de
participation
Il résulte des conclusions de Mr Z que les demandes relatives à l'intéressement et à la
participation sont fondées sur la requalification en contrat à durée indéterminée des contrats de
mission, Mr Z expliquant qu'une prime d'intéressement et de participation est versée chaque
année par la société Total à son personnel titulaire.
De sorte que le rejet de la demande de requalification des contrats de mission en contrat à durée
indéterminée conduit la cour à rejeter ces demandes par confirmation du jugement déféré.
Sur le surplus des demandes
M. Z qui succombe en ses demandes sera condamné aux dépens d'appel sans qu'il soit justifié
de faire, en cause d'appel, application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement entrepris qui a condamné solidairement la société Sasca et la société Total Marketing
Services aux dépens et au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code
de procédure civile sera infirmé sur ces points.
PAR CES MOTIFS
Ordonne la jonction des instances n° 17/03783 et 17/ 04008 en une instance qui portera le n°
17/03783,
Constate que la disposition du jugement entrepris qui a rejeté la fin de non recevoir tirée de la
prescription n'est critiquée par aucune des parties de sorte qu'elle est définitivement jugée,
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de Mr Rodrigue Z relatives
aux primes d'intéressement et de participation,
statuant à nouveau des chefs infirmés, et, y ajoutant,
Déboute Mr Z de sa demande de requalification des contrats de mission en contrat à durée
indéterminée,
Déboute Mr Z du surplus de ses demandes,
Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mr Z aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Caroline PARANT, présidente et par Brigitte COUTTENIER,
greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
Brigitte COUTTENIER Caroline PARANT