Cass. soc., 31-05-2017, n° 15-25.408, F-D, Rejet



SOC. MF

COUR DE CASSATION

Audience publique du 31 mai 2017

Rejet

Mme VALLÉE, conseiller le plus ancien faisant fonction de président

Arrêt n 931 F D Pourvoi n C 15-25.408 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Entreprise générale de terrassement (EGT) société par actions simplifiée dont le siège est Seyssins,

contre l'arrêt rendu le 23 juillet 2015 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale section B), dans le litige l'opposant à M. Abdelaziz Y Y, domicilié Seyssinet-Pariset,

défendeur à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 26 avril 2017, où étaient présents : Mme Vallée, conseiller le plus ancien faisant fonction de président et rapporteur, Mme Schmeitzky-Lhuillery, M. Schamber, conseillers, Mme Rémery, avocat général, Mme Lavigne, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Vallée, conseiller, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Entreprise générale de terrassement, de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat de M. Alami Y, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 23 juillet 2015) que M. ... a été engagé le 30 août 1999 par la société Entreprise générale de terrassement en qualité de conducteur ; que la relation de travail était soumise aux dispositions de la convention collective des ouvriers des travaux publics ; qu'estimant ne pas avoir perçu la rémunération conventionnelle minimale, le salarié a saisi la juridiction prud'homale ;

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de faire droit à cette demande et de le condamner à verser des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, alors, selon le moyen, que l'article 4-1-2 de de la convention collective des ouvriers des travaux publics dispose que la rémunération annuelle comprend tous les éléments bruts de rémunération acquis dans le cadre de l'année civile y compris les congés payés, la prime de vacances versée aux conditions conventionnelles, tous les éléments permanents du salaire et qu'en sont exclus, les primes et gratifications ayant un caractère aléatoire ou exceptionnel ; que le caractère variable d'un élément de rémunération ne lui confère pas un caractère aléatoire dès lors que son fait générateur est fonction d'éléments objectifs et prédéterminés ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la prime de bilan, versée depuis 30 ans à chaque salarié de la société EGT est fonction des résultats annuels de l'entreprise et de l'ancienneté des salariés ; qu'en relevant que son montant variait chaque année et que son versement n'était pas garanti en cas de résultat déficitaire de l'entreprise, pour en déduire qu'elle constituait une libéralité de l'employeur et non un élément de salaire obligatoire pour ce dernier, lorsque le versement depuis 30 ans à chaque salarié d'une prime de bilan fonction des résultats de l'entreprise confère à cette prime un caractère obligatoire pour l'employeur, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, ensemble 4-1-2 de la convention collective des ouvriers des travaux publics ;

Mais attendu qu'ayant constaté que la prime litigieuse était déterminée unilatéralement et qu'elle ne résultait pas d'un calcul précis et constant de l'employeur qui pouvait décider en toute liberté de l'opportunité de son versement et de son montant, la cour d'appel a exactement décidé qu'elle devait être exclue de l'assiette de la rémunération conventionnelle minimale garantie en raison de son caractère aléatoire ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Entreprise générale de terrassement aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Entreprise générale de terrassement à payer à M. ... la somme de 3 000 euros et la déboute de sa demande de ce chef ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mai deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Entreprise générale de terrassement.

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la prime de bilan versée par la société EGT n'a pas un caractère de salaire au sens de la convention collective et d'AVOIR en conséquence condamné la société EGT à verser à M. ... les sommes de 15 428, 62 euros à titre de rappel de salaires, 1542, 86 euros à titre de congés payés afférents et 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ainsi que 2000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile

AUX MOTIFS PROPRES QUE " Sur la demande de rappel de salaire Que le salarié soutient que son salaire de base est inférieur au minimum résultant de la convention collective des ouvriers des travaux publics; Que l'article 4.1.2. de la convention collective des ouvriers des travaux publics précise que la rémunération annuelle comprend tous les éléments bruts de rémunération acquis dans le cadre de l'année civile y compris :- les congés payés ;

- la prime de vacances versée aux conditions conventionnelles ;

- tous les éléments permanents du salaire;

qu'en sont exclus, les primes et gratifications ayant un caractère aléatoire ou exceptionnel;

certes la prime litigieuse a été versée à l'ensemble des salariés depuis plus de 30 ans mais elle était déterminée unilatéralement par l'employeur et ne résulte pas d'un calcul précis et constant;

que l'employeur ne s'explique d'ailleurs pas sur les modalités de son calcul et se contente d'affirmer qu'elle est calculée en fonction de deux critères :les résultats annuels de l'entreprise et l'ancienneté du salarié; que le conseil des prud'hommes a, à juste titre, constaté qu'il s'agit d'une simple libéralité qui ne lit en aucun cas pour l'avenir, puisque l'employeur peut décider en toute liberté de l'opportunité du versement ainsi que du montant;

qu'il s'agit d'une prime de bilan qui est fonction des résultats de l'entreprise; que ces résultats ne sont pas garantis et sont variables; que le salarié a d'ailleurs perçu des sommes très différentes selon les années; qu'ainsi en décembre 2008, il a perçu 5 500 euros mais n'a plus perçu que 2 000 euros en décembre 2009 puis en 1 800 euros en décembre 20 l 0 ; que cette prime présente par conséquent un caractère aléatoire et n'a donc pas à être intégrée dans le salaire annuel du salarié; que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit que le salarié est fondé à réclamer un rappel de salaire ;

que le salaire minimum conventionnel est calculé sur la base de 151,67 heures; que le salarié a effectué tous les mois 17,33 heures supplémentaires; que l'employeur présente un calcul des sommes restant dues en omettant de prendre en compte ces 17,33 heures qui devaient être valorisées sur la base du salaire minimum et non pas être intégrées dans celui- ci ; Attendu que pour l'année 2007, le salaire annuel minimum résultant de la convention collective pour les salariés niveaux II position 2 était de 19740 euros pour 151,67 heures de travail mensuel, ce qui correspond à un salaire mensuel de 1645 ê ; que le salarié n'a perçu que 1 356,36 euros pour 15,67 h ; que son salaire était donc non seulement inférieure de 288,64 euros au minimum de la convention collective; que ses heures supplémentaires devaient également être calculées sur le minimum de base; qu'il en résulte que le salarié aurait dû percevoir pour la période de juillet à décembre 2007, une somme supplémentaire de 1 964,46 euros outre congés payés afférents ;

que pour l'année 2008, la rémunération minimale conventionnelle était de 20 332 euros soit 1 694,33 euros par mois alors que le salarié n'a été payé que 1 356,36 euros pour 151, 67 h et que ses heures supplémentaires ont été payées sur cette base; qu'il a subi pour 2008 un manque à gagner de 4 169,80 euros outre congés payés afférents ;

que pour l'année 2009, le salaire annuel minimum résultant de la convention collective était de 20779 euros soit 1 731,58 euros par mois alors que le salarié n'a été payé que 1 397,05 euros sur la base de 151, 67 h ; qu'il a subi un manque à gagner de 4 587,72 euros outre congés payés afférents;

que le salarié a été en arrêt de travail à compter du 21 août 2010 ; que l'employeur a assuré le maintien de son salaire à 100 % pendant 90 jours; que le salaire annuel minimum était de 20 883 euros soit 1 740,25 euros par mois alors que le salarié a été rémunéré sur la base de 1 397,05 euros; que la somme restant due pour 2010 est de 4 706,64 euros outre congés payés afférents ;

Attendu qu'en 2011, 2012, 2013 et 2014, le salarié a été en arrêt de travail; que l'employeur n'étant plus tenu de lui verser un complément de salaire, il n'a plus perçu que des indemnités journalières de sécurité sociale; que le manque à gagner sur ses indemnités journalières ne peut être pris en compte au titre de rappel de salaire; qu'il convient de le débouter de ses demandes à ce titre;

que le montant total du par l'employeur au titre des rappels de salaire de 2007 à 2010 est donc de 15 428,62 euros ;

que le jugement entrepris sera infirmé de ce chef;

Sur l'exécution déloyale de la convention collective

Attendu que l'employeur n'a pas respecté ses obligations lui incombant au titre de la convention collective nationale des ouvriers des travaux publics; que ce n'est qu'à la suite d'un contrôle URSSAF effectué en avril 2012 qu'il a procédé à une augmentation de salaire; qu'à compter de cette date, sa mauvaise foi est flagrante puisqu'il ne pouvait ignorer qu'il n'avait pas respecté les dispositions de la convention collective pendant plusieurs années; qu'il n'a cependant procédé à aucune régularisation de salaire;

Attendu que le manquement de l'employeur à ses obligations a non seulement entraîné une minoration des salaires mais également à partir de 2011, une minoration des indemnités journalières du salarié qui ont été calculées sur la base d'un salaire minoré; que le préjudice matériel et moral en résultant pour le salarié sera évalué à la somme de 20 000 euros ;

Attendu qu'il convient de prononcer la compensation des sommes allouées avec celles déjà versées au titre de l'exécution provisoire;

Attendu que l'équité commande de confirmer la somme allouée par les premiers juges sur le fondement l'article 700 du code de procédure civile et d'allouer à Abdelaziz Alami Y la somme supplémentaire de 2 000 euros pour ses frais irrépétibles résultant de l'appel interjeté par l'employeur, qui sera également condamné aux dépens "

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE " Cette prime ne résulte pas d'un accord. Elle est versée depuis plus de 30 ans. Elle est déterminée unilatéralement par l'employeur chaque année par une estimation globale de la prime pour l'entreprise, différente chaque année et répartie pour les salariés en fonction de leur ancienneté.

Le calcul de cette prime de bilan, même si l'on peut penser qu'il est déterminé au regard du bénéfice attendu, ne résulte pas d'un calcul précis et constant par rapport à un élément du bilan.

Le Conseil reconnaît le caractère généreux de cette pratique en usage dans la SAS EGT depuis de longues années, mais rien ne dit que cette prime serait assurée en cas de résultat déficitaire ou que son montant serait du même ordre.

Il s'agit d'une simple libéralité que ne lie en aucun cas pour l'avenir, puisque l'employeur peut décider en toute liberté de l'opportunité du versement ainsi que du montant " (Lamy social 1132).

Ce caractère aléatoire (il n'existe aucun engagement contractuel) et le montant différent accordé chaque année jusqu'à présent à monsieur Abdelaziz Y Y ne peuvent donc lui donner un caractère permanent et donc de rémunération globale à comparer avec la convention collective "

ALORS QUE l'article 4-1-2 de de la convention collective des ouvriers des travaux publics dispose que la rémunération annuelle comprend tous les éléments bruts de rémunération acquis dans le cadre de l'année civile y compris les congés payés, la prime de vacances versée aux conditions conventionnelles, tous les éléments permanents du salaire et qu'en sont exclus, les primes et gratifications ayant un caractère aléatoire ou exceptionnel ; que le caractère variable d'un élément de rémunération ne lui confère pas un caractère aléatoire dès lors que son fait générateur est fonction d'éléments objectifs et prédéterminés ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la prime de bilan, versée depuis 30 ans à chaque salarié de la société EGT est fonction des résultats annuels de l'entreprise et de l'ancienneté des salariés; qu'en relevant que son montant variait chaque année et que son versement n'était pas garanti en cas de résultat déficitaire de l'entreprise, pour en déduire qu'elle constituait une libéralité de l'employeur et non un élément de salaire obligatoire pour ce dernier, lorsque le versement depuis 30 ans à chaque salarié d'une prime de bilan fonction des résultats de l'entreprise confère à cette prime un caractère obligatoire pour l'employeur, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil, ensemble 4-1-2 de la convention collective des ouvriers des travaux publics.