CE 1/6 SSR., 11-10-2010, n° 327660, publié au recueil Lebon
CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°s
327660, 328312
FEDERATION DES SYNDICATS DE TRAVAILLEURS DU RAIL SUD et autres
M. Pascal Trouilly, Rapporteur
Mme Maud Vialettes, Rapporteur public
Séance du 20 septembre 2010
Lecture du
11 octobre 2010
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux
Vu 1°), sous le n° 327660, la requête, enregistrée le 5 mai 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la FEDERATION DES SYNDICATS DE TRAVAILLEURS DU RAIL SUD, dont le siège est 17 boulevard de la Libération à Saint-Denis (93200), représentée par son secrétaire ; la FEDERATION DES SYNDICATS DE TRAVAILLEURS DU RAIL SUD demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision interministérielle du 6 mars 2009 en tant qu'elle approuve des modifications apportées au chapitre Ier du statut des relations collectives entre la Société nationale des chemins de fer français et son personnel relatives à la représentation syndicale, ainsi que ces modifications ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°), sous le n° 328312, la requête, enregistrée le 26 mai 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la FEDERATION FORCE OUVRIERE DES CHEMINOTS, dont le siège est 61, rue de la Chapelle à Paris (75018), représentée par son secrétaire général, et par M. Gérard LE MAUFF, demeurant 13, rue Dumoulin de la Gagnerie à Saint-Herblain (44800) ; la FEDERATION FORCE OUVRIERE DES CHEMINOTS et M. LE MAUFF demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision interministérielle du 6 mars 2009 en tant qu'elle approuve des modifications du chapitre Ier du statut des relations collectives entre la Société nationale des chemins de fer français et son personnel relatives à la représentation syndicale ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 septembre 2010, présentée par la FEDERATION DES SYNDICATS DE TRAVAILLEURS DU RAIL SUD ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 ;
Vu le décret n° 50-637 du 1er juin 1950 ;
Vu le décret n° 53-707 du 9 août 1953 ;
Vu le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pascal Trouilly, Maître des Requêtes,
- les observations de Me de Nervo, avocat de la SNCF,
- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me de Nervo, avocat de la SNCF ;
Considérant que la requête de la FEDERATION DES SYNDICATS DE TRAVAILLEURS DU RAIL SUD et celle de la FEDERATION FORCE OUVRIERE DES CHEMINOTS et de M. LE MAUFF sont relatives aux mêmes dispositions du statut des relations collectives entre la Société nationale des chemins de français et son personnel ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur les interventions du Syndicat des cheminots Force ouvrière de la Loire et du Syndicat des cheminots Force ouvrière de Lyon Mouche :
Considérant que le Syndicat des cheminots Force ouvrière de la Loire et le Syndicat des cheminots Force ouvrière de Lyon Mouche ont intérêt à l'annulation de la décision attaquée ; que leur intervention est, par suite, recevable ;
Sur la légalité externe de la décision interministérielle du 6 mars 2009 et des modifications qu'elle approuve :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 1er juin 1950, pour l'application duquel a été prise la décision litigieuse, laquelle approuve les modifications apportées au chapitre Ier du statut des relations collectives entre la Société nationale des chemins de fer français et son personnel : " Le statut des relations collectives entre la Société nationale des chemins de fer français et son personnel est élaboré par une commission mixte, présidée par un fonctionnaire du ministère des travaux publics, des transports et du tourisme, et comprenant des représentants de la Société nationale des chemins de fer français et des organisations syndicales les plus représentatives. / Il est soumis à l'approbation du ministre des travaux publics, des transports et du tourisme " ; que, par ailleurs, selon l'article 6 du décret du 9 août 1953 : " Dans les organismes contrôlés en vertu du présent décret ou par application des régimes spéciaux mentionnés à l'article 1er ci-dessus, les entreprises à statut figurant sur la liste arrêtée en exécution de l'article L. 134-1 du code du travail, ainsi que dans les organismes de sécurité sociale, les mesures relatives aux éléments de rémunération, ainsi qu'au statut et au régime de retraites du personnel, doivent, avant toute décision, être communiquées au ministre intéressé et au ministre des finances. (.) Ces mesures ne deviennent exécutoires qu'après avoir reçu l'approbation du ministre intéressé et du ministre des finances. " ; qu'il ressort du dossier que la décision attaquée du 6 mars 2009 avait également pour objet de constituer l'approbation prévue par ces dernières dispositions ;
Considérant que l'approbation ministérielle que prévoit l'article 1er du décret du 1er juin 1950 doit émaner du ministre chargé des travaux publics, des transports et du tourisme ; qu'en vertu du décret du 27 juillet 2005, M. Vieu, directeur des services de transport, bénéficiait en cette qualité, depuis sa nomination, d'une délégation de signature régulière du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, qui était le ministre chargé des travaux publics, des transports et du tourisme au sens de l'article 1er du décret du 1er juin 1950 ; que, par ailleurs, et pour l'application des dispositions de l'article 6 du décret du 9 août 1953, Mme Eyssartier, sous-directrice au ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, ainsi que M. Rioux, sous-directeur au ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, bénéficiaient également, en application du même décret du 27 juillet 2005, et depuis leur nomination, d'une délégation de signature de leurs ministres respectifs leur permettant de signer la décision attaquée ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'incompétence des signataires de cette décision doit être écarté ;
Considérant que si l'article 2 du décret du 1er juin 1950 dispose : " Le conseil d'administration de la Société nationale des chemins de fer français fixe la rémunération du personnel, et notamment les échelles de traitement et salaire de ce personnel avec l'agrément du ministre des travaux publics, des transports et du tourisme, et du ministre des finances et des affaires économiques ", il ressort des pièces du dossier que les modifications contestées du statut des relations collectives entre la Société nationale des chemins de fer français et son personnel sont relatives aux seules conditions de représentation syndicale, à l'exclusion de toute disposition portant sur la rémunération du personnel ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'elles relevaient de la compétence du conseil d'administration de la Société nationale des chemins de fer français ; que par ailleurs, contrairement à ce qu'ils soutiennent, aucune disposition législative ou réglementaire ne subordonne la légalité de la modification du statut des relations collectives à une consultation du comité d'entreprise ou des " comités d'établissement " de la Société nationale des chemins de fer français ;
Considérant qu'il ressort du procès-verbal de la séance du 5 décembre 2008 de la commission mixte prévue par l'article 1er du décret du 1er juin 1950 cité ci-dessus, que cette commission mixte peut être regardée comme ayant adopté, lors de cette séance, les termes de la modification statutaire litigieuse, avant qu'elle soit soumise à l'approbation ministérielle ; que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que cette adoption serait irrégulière faute d'avoir été précédée d'un vote ; que les requérants ne sauraient davantage soutenir que cette adoption, à partir d'un projet préparé et présenté devant la commission mixte par la Société nationale des chemins de fers français, méconnaîtrait les dispositions de l'article 1er du décret du 1er juin 1950 qui prévoient que la commission mixte doit " élaborer " les modifications du statut des relations collectives entre la Société nationale des chemins de fer français et son personnel ;
Sur la légalité des dispositions statutaires attaquées :
Considérant que le nouvel article 2 du statut, dans sa rédaction approuvée par la décision interministérielle du 6 mars 2009, dispose que : " Sont représentatives au niveau de l'entreprise les organisations syndicales qui satisfont aux critères définis à l'article L. 2121-1 du code du travail et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires aux comités d'établissements, quel que soit le nombre de votants. / Au niveau de chaque comité d'établissement, sont représentatives les organisations syndicales qui satisfont aux critères définis à l'article L. 2121-1 du code du travail et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections des titulaires au comité d'établissement, quel que soit le nombre de votants " ; que selon le nouvel article 3 du statut : " Chaque organisation syndicale représentative au niveau d'un comité d'établissement peut désigner des délégués syndicaux parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au 1er tour des dernières élections de ce comité d'établissement ou des délégués du personnel du périmètre correspondant " ; que ces délégués syndicaux peuvent, aux termes du même article, être " positionnés " tant au niveau des " comités d'établissement " de la Société nationale des chemins de fer français, lequels regroupent plusieurs établissements locaux, qu'au niveau de chacun des établissements locaux dans lesquels, en vertu de l'accord interne du 11 janvier 1996 relatif au droit syndical et à la représentation du personnel, sont élus des délégués du personnel ;
Considérant, en premier lieu, que selon l'article L. 2111-1 du code du travail, les dispositions du livre 1er de la 2ème partie de ce code relatives, notamment, à la représentativité syndicale " sont également applicables au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé, sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel " ; qu'il suit de là que, la Société nationale des chemins de fers français étant un établissement public, les dispositions litigieuses relatives à la représentativité syndicale pouvaient légalement déroger aux dispositions de l'article L. 2143-3 du code du travail ayant le même objet ; que les requérants ne peuvent dès lors utilement soutenir qu'elles seraient illégales au motif qu'elles méconnaîtraient l'article L. 2143-3 du code du travail ;
Considérant, en second lieu, qu'eu égard à l'effectif et aux conditions de fonctionnement des établissements locaux regroupés au sein des " comités d'établissements " de la Société nationale des chemins de fer français, au niveau desquels s'exercent les négociations entre les représentants des salariés et ceux de l'établissement, les dispositions litigieuses pouvaient, sans méconnaître les exigences qui découlent du principe de représentativité, principe général du droit applicable à l'ensemble des relations collectives de travail, ni être entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, prévoir que la représentativité syndicale serait, y compris pour des représentants du personnel propres à des établissements locaux, appréciée en fonction des élections aux seuls " comités d'établissements " ; que ni ces dispositions ni l'arrêté du 6 mars 2009 qui les approuve n'ont méconnu le principe d'égalité ou le droit, consacré par le Préambule de la Constitution de 1946, pour tout salarié, de participer par l'intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail ; que les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que ces dispositions auraient, pour ce motif, empiété sur le domaine réservé à la loi dans la définition de principes fondamentaux du droit du travail et seraient, de ce fait, entachées d'incompétence ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions attaquées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, verse aux requérants la somme demandée par ceux-ci au titre des frais exposés dans la présente instance et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les interventions du Syndicat des cheminots Force ouvrière de la Loire et du Syndicat des cheminots Force ouvrière de Lyon Mouche sont admises.
Article 2 : Les requêtes de la FEDERATION DES SYNDICATS DE TRAVAILLEURS DU RAIL SUD, de la FEDERATION FORCE OUVRIERE DES CHEMINOTS et de M. LE MAUFF sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la FEDERATION DES SYNDICATS DE TRAVAILLEURS DU RAIL SUD, à la FEDERATION FORCE OUVRIERE DES CHEMINOTS, à M. Gérard LE MAUFF, au Syndicat des cheminots Force ouvrière de la Loire, au Syndicat des cheminots Force ouvrière de Lyon Mouche, à la Société nationale des chemins de fer français, au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat et au ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
Délibéré dans la séance du 20 septembre 2010 où siégeaient : M. Bernard Stirn, Président de la Section du Contentieux, présidant ; Mme Christine Maugüé, M. Christophe Chantepy, Présidents de sous-section ; M. Jean Gaeremynck, Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Denis Piveteau, M. Yves Struillou, Conseillers d'Etat ; M. Pascal Trouilly, Maître des Requêtes-rapporteur et M. Jean Lessi, Auditeur.