[Jurisprudence] Bref retour sur les conditions de validité des clauses de mobilité géographique

par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


Parce qu'elle permet à l'employeur d'organiser la mutation d'un salarié dans un secteur géographique différent, sans qu'il lui soit nécessaire de requérir son accord préalable, la clause de mobilité présente une utilité pratique évidente. Mais, il apparaît alors nécessaire que le salarié connaisse, dès l'acceptation de la clause, la zone géographique dans laquelle sa mutation pourra intervenir. C'est là chose logique, dès lors que l'on entend faire du contrat un instrument de prévisibilité au service des parties ou encore "un bloc de stabilité qui protège l'emploi du salarié" (Ph. Waquet, La modification du contrat de travail et les changements des conditions de travail, RJS 12/96, p. 793). Aussi est-il parfaitement justifié que la Cour de cassation exige que la clause de mobilité définisse de façon précise sa zone géographique d'application et qu'elle ne confère pas à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée.



Résumé

Une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée.

1. L'obligation de définir précisément le champ d'application géographique de la clause de mobilité

Jusqu'à une date relativement récente, la validité des clauses de mobilité géographique n'était pas soumise à des conditions particulières. Seule une atteinte à une liberté fondamentale du salarié pouvait entraîner la nullité de la clause (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 96-40.755, M. Spileers c/ Société Omni Pac, publié N° Lexbase : A4618AG7).

Un arrêt rendu le 19 mai 2004 avait, toutefois, semblé marquer un certain infléchissement de la jurisprudence pour le moins libérale de la Cour de cassation en la matière. Par cette décision, dont on doit relever qu'elle n'avait pas été publiée, la Chambre sociale paraissait ériger la limitation de l'espace géographique à l'intérieur duquel une mutation serait possible en condition de validité de la clause de mobilité géographique (Cass. soc., 19 mai 2004, n° 02-43.252, F-D N° Lexbase : A2013DCK ; lire les obs. de S. Martin-Cuenot, La fin des clauses de mobilité "indéterminées", Lexbase Hebdo n° 123 du 3 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1787ABS).

La Cour de cassation allait définitivement asseoir sa jurisprudence dans un important arrêt rendu le 7 juin 2006, en affirmant, de la façon la plus nette, qu'une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et qu'elle ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée (Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-45.846, FS-P+B N° Lexbase : A9457DPX ; lire nos obs., La clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application, Lexbase Hebdo n° 221 du 29 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N0070AL8). La décision sous examen constitue une confirmation de cette solution qui doit être entièrement approuvée.

En effet, s'il convient de faire produire leur plein effet aux obligations contractuelles, encore faut-il que celles-ci soient suffisamment déterminées, au risque de mettre le débiteur à la merci de son créancier. Si la Cour de cassation a fait le choix de fonder sa solution sur l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) (cf. l'arrêt précité du 7 juin 2006), elle aurait, également, pu viser l'article 1129 du même code (N° Lexbase : L1229AB7). Rappelons, en effet, qu'aux termes de cette disposition "il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce". Or, une clause de mobilité qui ne comporte pas la définition précise de sa zone géographique d'application paraît insuffisamment déterminée quant à son objet (v. sur la question, E. Dockès, La détermination de l'objet des obligations nées du contrat de travail, Dr. soc. 1997, p. 140).

Il est important de relever que la Chambre sociale ne se contente pas d'exiger que la clause de mobilité définisse de manière précise sa zone géographique d'application. Elle affirme, en outre, que celle-ci "ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée". Là encore, la solution ne peut que susciter l'approbation. Admettre le contraire reviendrait, en fait, à nier la distinction entre sphère contractuelle et pouvoir de direction de l'employeur et à conférer à la clause de mobilité une singulière géométrie variable abandonnée au bon vouloir de l'employeur. A nouveau, l'exigence que l'objet de l'obligation soit déterminé donne tout son sens à la solution.

Encore que l'on puisse considérer que cette remarque relève de l'évidence, il importe de souligner que la solution retenue par la Cour de cassation en 2006 produit un effet rétroactif. En d'autres termes, ce n'est pas parce qu'une clause de mobilité a été conclue antérieurement à cette date qu'elle échappe aux exigences nouvelles. L'arrêt commenté en témoigne puisque, en l'espèce, la clause de mobilité figurait dans un contrat de travail conclu en 2001.

Par suite, toute clause de mobilité qui ne comporterait pas une définition précise de son champ d'application géographique et qui confèrerait à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée est nulle et ne saurait produire aucun effet (1). La seule issue pour les employeurs souhaitant conserver toute leur portée aux clauses de mobilité aujourd'hui illicites réside, en conséquence, dans la renégociation de la clause. Mais, pour parvenir à cette fin, ces derniers se doivent de recueillir le consentement des salariés concernés, ce qui, à l'évidence, n'est guère acquis.

En exigeant que la zone géographique d'application de la clause de mobilité soit définie de façon précise, la Cour de cassation ne rejette pas nécessairement les stipulations qui viendraient à faire varier la portée de la clause en fonction de critères objectifs. Mais, encore faut-il que ceux-ci soient suffisamment précis et déterminés. En l'espèce, la clause de mobilité précisait que l'employeur pouvait modifier le secteur d'activité du salarié "à tout moment selon les nécessités du service" (2). Or, et ainsi que le relève la Cour de cassation, une telle stipulation revenait à conférer à la clause un caractère indéterminé et ne permettait pas à l'employeur de doubler le nombre de départements que le salarié avait à visiter sans son accord.

2. Autres conditions de validité

On rappellera, tout d'abord, que les rédacteurs des clauses de mobilité doivent tenir compte des éventuelles dispositions conventionnelles applicables au contrat de travail qui, fréquemment, encadrent le jeu de la clause de mobilité. Au-delà, on ne saurait affirmer, sans faire preuve d'une certaine imprudence, que le fait d'avoir défini de manière précise le champ d'application géographique de la clause de mobilité et de n'avoir pas conféré à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée suffit à en assurer la validité.

En effet, et bien que la Cour de cassation n'ait, pour l'heure, posé aucune exigence en la matière, il n'est pas certain qu'elle ne soumette pas un jour la validité des clauses de mobilité aux conditions posées par le fameux article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI) (v. en ce sens, P.-H. Antonmattei, Les clauses du contrat de travail, Ed. Liaisons, 2005, pp. 45-46). Par conséquent, et ainsi que le préconise ce dernier auteur, "il est donc plus prudent de tenir compte de ces dispositions lors de l'insertion d'une clause de mobilité géographique. L'employeur doit ainsi vérifier que celle clause est justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché" (ibid., p. 46).

On se bornera, ici, à rappeler que ce n'est pas parce que la clause de mobilité est licite qu'elle autorise l'employeur à faire tout et n'importe quoi en matière de mutation géographique du salarié concerné. On sait, notamment, que la clause de mobilité peut être utilisée de façon abusive par l'employeur (v., par ex., Cass. soc., 22 janvier 2003, n° 00-41.935, FS-D N° Lexbase : A7382A48). Il est toutefois à souligner que la clause de mobilité est présumée mise en oeuvre de bonne foi par l'employeur. C'est donc au salarié qu'il incombe de démontrer qu'elle l'a été pour des raisons étrangères à l'intérêt de l'entreprise (Cass. soc., 23 février 2005, n° 04-45.463, F-P+B+R+I N° Lexbase : A8816DGM et les obs. de Ch. Radé, La bonne foi de l'employeur et la mise en oeuvre de la clause de mobilité, Lexbase Hebdo n° 158 du 10 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4888ABN). La théorie de l'abus de droit permet ainsi, d'une certaine manière, de neutraliser les clauses de mobilité au stade de leur mise en oeuvre, c'est-à-dire lors de l'exécution du contrat de travail.

En outre, il convient de rappeler, pour conclure, que la clause de mobilité géographique ne doit pas être détournée de son objet et que, à ce titre, elle ne permet pas à l'employeur d'imposer au salarié un partage de son temps de travail entre plusieurs établissements de l'entreprise (Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-42.224, FS-P+B N° Lexbase : A1103DTZ ; lire les obs. de S. Tournaux, La clause de mobilité limitée à la modification du lieu de travail, Lexbase Hebdo n° 243 du 11 janvier 2007 - édition sociale N° Lexbase : N7199A9I ; RDT 2007, p. 166 avec nos obs.).


(1) Le salarié pourra donc demander au juge de prononcer la nullité de la clause de mobilité. En outre, et la décision le démontre, le licenciement consécutif au refus d'une mutation imposée en vertu d'une telle clause illicite sera sans cause réelle et sérieuse.
(2) Dans l'arrêt du 7 juin 2006, la clause de mobilité litigieuse stipulait que la mobilité géographique du salarié pouvait "le cas échéant, être étendue en cas d'extension d'activité".
Décision

Cass. soc., 17 juillet 2007, n° 05-45.892, Société Spirella France, F-D (N° Lexbase : A4582DXY)

Rejet (CA Rennes, 8ème ch. prud'homale, 20 octobre 2005)

Textes concernés : C. civ., art. 1129 (N° Lexbase : L1229AB7) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. trav., art. L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI) ; C. trav., art. L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74).

Mots-clefs : contrat de travail ; clause de mobilité géographique ; conditions de validité.

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