Résumé
La définition précise de la zone géographique est une condition de validité de la clause de mobilité. |
Décision
Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-45.396, Mme Françoise Piazzoli, F-P+B (N° Lexbase : A4407DQB) Cassation (CA Bastia, chambre sociale, 11 mai 2004) Textes visés : C. trav., art. L. 122-6 (N° Lexbase : L5556ACR), L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT), L. 122-9 (N° Lexbase : L5559ACU) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots-clés : Clause de mobilité. Zone géographique. Définition précise. Liens base : |
Faits
1. Embauchée depuis 1996 par la société Groupama en tant que chargée de clientèle polyvalente, Mme P. exerçait son activité à Folelli tandis que son contrat de travail prévoyait que "les évolutions dans l'organisation de l'entreprise pourront amener cette dernière à modifier tant l'établissement que le bureau de rattachement". Après un congé sabbatique de plus d'un an, Mme P. se voit, à son retour, imposer une mutation à l'agence de Corte, mutation qu'elle refuse. Elle est licenciée pour faute grave le 6 août 2002 en raison de ce refus. Mme P. saisit la juridiction prud'homale. 2. L'affaire est menée devant la cour d'appel de Bastia, laquelle déboute la salariée de sa demande d'indemnités et conclut à l'existence d'une faute grave. Sa décision est motivée par le fait que l'emploi précédemment occupé par la salariée est désormais occupé, que le poste lui ayant été proposé à la mutation s'avérait être un emploi similaire et que la mutation était régulière, si bien que son refus était injustifié. |
Solution
1. "Attendu, cependant, qu'une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application" 2. Cassation |
Commentaire
1. La définition précise de la zone géographique d'application de la clause de mobilité
Depuis que la Cour de cassation a délimité en 1996 deux zones distinctes entre contrat de travail et pouvoir de direction de l'employeur (Cass. soc., 10 juillet 1996, n° 93-41.137, M. Vanderdonckt c/ Groupe des assurances nationales (GAN), publié N° Lexbase : A2054AAC), la pratique contractuelle s'est attachée à ménager des sphères de flexibilité dans le contrat de travail dont les clauses de mobilité sont certainement l'un des exemples les plus aboutis. Ces clauses n'ont, pendant longtemps, été limitées que par le principe de proportionnalité issu de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI). Mais c'est surtout au niveau de leur mise en oeuvre que ces clauses pouvaient être limitées puisque leur application ne devait pas se caractériser par un abus de droit. Pour le reste, la jurisprudence décidait que les parties restaient libres de fixer ou non des limites géographiques à la clause (V. Cass. soc., 20 octobre 1988, n° 86-43.227, Meunier c/ SA Agir N° Lexbase : A1328AAG ; Cass. soc., 10 juin 1997, n° 94-43.889, Société SG2 Services c/ M. Meriot et autre N° Lexbase : A1648ACZ), même s'il fallait tout de même que la clause soit rédigée dans des termes clairs et non équivoques (V. Cass. soc., 27 mai 1998, n° 96-40.929, M. Mizon c/ M. Saint Olive et autres N° Lexbase : A2877ACK). L'évolution a été pressentie lors d'un arrêt inédit, arrêt de rejet de surcroît, rendu par la Chambre sociale le 19 mai 2004 (Cass. soc., 19 mai 2004, n° 02-43.252, F-D N° Lexbase : A2013DCK et les obs. de S. Martin-Cuenot, La fin des clauses de mobilité "indéterminées", Lexbase Hebdo n° 123 du 3 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1787ABS). Les clauses sans limitation géographique vivaient leurs dernières heures puisque, par un arrêt cette fois publié et comportant une motivation ferme (V. Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-45.846, FS-P+B N° Lexbase : A9457DPX et les obs. de G. Auzero, La clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application, Lexbase Hebdo n° 221 du 29 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N0070AL8), la Cour de cassation a pu décider que, désormais, "une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et qu'elle ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée". La première proposition de la motivation de l'arrêt du mois de juin est reprise à l'identique dans l'espèce commentée, confirmant bien que la zone géographique d'application de la clause de mobilité doit désormais être définie avec précision.
On peut, tout d'abord, rappeler que, comme le suggère le Professeur Auzero (v. article précité), l'institution de cette nouvelle condition de validité ne semble pas faire obstacle à une variabilité du secteur géographique selon des critères qui devraient nécessairement demeurer objectifs. Il faut, cependant, reconnaître que la détermination du caractère objectif ou subjectif des critères de variation pouvant être envisagés peut s'avérer être de mise en oeuvre délicate. Doit-on considérer, par exemple, que la modification de la structure d'un groupe, telle que l'absorption d'une nouvelle société, dont les établissements se situent dans des lieux différents, constitue un critère objectif ou subjectif ? On le sent bien, la réponse peut, dans certains cas, s'avérer être délicate. La limitation induite de cette nouvelle condition est d'autant plus relative que rien n'empêche de déterminer une zone géographique large du moment qu'elle demeure précise. L'échelle d'un continent et, a fortiori, d'un Etat paraît revêtir ce caractère de précision. Mais c'est, ensuite, et surtout, une question de loyauté et de respect des libertés individuelles du salarié. La précision dans la détermination de la zone géographique de la clause permet au salarié d'avoir connaissance, dès la signature de son contrat de travail, des lieux dans lesquels il peut être amené à être muté. L'espèce n'est probablement pas très marquante à cet égard puisque la mutation de la salariée s'effectuait sur une distance de cinquante kilomètres. Pourtant, on pouvait très bien imaginer, du fait de l'imprécision de la clause, que la salariée soit mutée dans l'un des multiples établissements de son entreprise en France, voire à l'étranger (1). Ce débat ne va pas sans rappeler celui concernant la licéité des clauses de variabilité (V. Cass. soc., 27 février 2001, n° 99-40.219, Groupe des assurances nationales (GAN Vie) c/ M. Rouillot N° Lexbase : A0505ATU ; V. Ch. Radé, Haro sur le contrat : à propos de la prohibition des clauses de variation dans le contrat de travail, Dr. soc. 2001, p. 514 ; C. Puigelier, Nullité de la clause par laquelle l'employeur se réserve la possibilité de modifier en tout ou partie le contrat de travail, JCP éd. E, 2001, p. 1391). Instituer comme condition à la validité des clauses de mobilité que la zone géographique d'application soit définie avec précision permet d'éviter une certaine potestativité dans la modification unilatérale d'un élément du contrat de travail qu'est la zone géographique (2) puisque les deux parties seront en accord tant sur le principe de la modification unilatérale que sur son ampleur éventuelle. Reste une conséquence qui, si elle paraît évidente, n'a été abordée ni dans l'espèce, ni dans l'arrêt fondateur : celui de la sanction. La réponse paraît évidente puisque, s'agissant d'une condition de validité, la sanction traditionnelle de l'absence d'un tel caractère devrait être la nullité de la clause. Mais qu'advient-il du licenciement prononcé en raison du refus d'un salarié de se conformer à une clause viciée ? Les deux arrêts s'étant succédés au début de cet été paraissent donner des réponses disparates. 2. Les interrogations relatives à la sanction de la nouvelle condition
Si la règle semble, au moins à première vue, ne pas avoir été modifiée entre juin et juillet, on constate pourtant que deux éléments ont évolué. On relève, ainsi, que le motif de la chambre sociale a perdu sa seconde proposition. Il n'est plus fait mention en juillet de la prohibition de clauses donnant "à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée". Deux interprétations nous paraissent envisageables. Cela peut, tout d'abord, relever des faits des deux espèces qui n'étaient pas tout à fait identiques puisque dans la première affaire, la mutation avait été imposée dans le cadre d'une extension d'activité intervenue après l'engagement du salarié. La clause de mobilité avait initialement prévu que la zone géographique pourrait être étendue en cas d'extension d'activité. Cela revenait donc à la fois à prévoir un secteur imprécis, mais également à laisser une certaine marge de manoeuvre à l'employeur quant à l'extension de ce secteur. Voilà l'illustration de la difficulté d'apprécier s'il s'agit ou non d'un critère objectif ou subjectif ! Au contraire, dans l'arrêt commenté, le secteur géographique n'avait pas varié par intervention de l'employeur si bien que la seconde partie de la motivation de juin devenait sans objet. Pour autant, la Cour aurait pu conserver cette partie de phrase sans être taxée d'avoir statué par obiter dictum. On peut donc, alors, imaginer que la Cour ait souhaité abandonner cette partie de l'argumentation qui, à notre sens, était surabondante. En effet, si la zone géographique est précisément définie, l'employeur ne peut de facto pas modifier unilatéralement cette zone. La seconde modification prête, à notre sens, plus à interrogation. En effet, alors que la solution avancée est sensiblement la même, les visas ont, eux, été sensiblement remaniés. Alors qu'étaient visés les articles L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) du Code du travail et 1134 du Code civil, sont aujourd'hui visés les articles L. 122-6, L. 122-8 et L. 122-9 du Code du travail en sus de l'inévitable article 1134 du Code civil. Faut-il comprendre par là que le licenciement prononcé contre un salarié, ayant refusé une mutation prévue par une clause insuffisamment précise, ne doit plus être considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse, mais simplement constitutif d'une faute sérieuse, qui ouvre malgré tout droit à indemnités de préavis et de licenciement ? Une telle solution mènerait à renier le caractère de condition de validité de la précision du secteur géographique. En effet, s'il s'agit bien d'une condition de validité et que la clause imprécise est nulle, il faut alors traiter le refus de mutation du salarié comme un refus de changement de zone géographique de travail classique, qui on le sait est une modification du contrat de travail requérant l'accord du salarié et dont le refus ne peut être fautif (Cass. soc., 31 mars 1999, n° 97-40.887, Mme Chantal Pochon c/ Société SCEA Bricheux N° Lexbase : A3084AGC). Au contraire, les juges ont parfois pu considérer qu'un salarié pouvait n'avoir commis qu'une faute sérieuse au lieu d'une faute grave pour avoir refusé un changement dans ses conditions de travail lorsque des circonstances particulières entouraient la mutation dans un même secteur géographique (V. Cass. soc., 4 juin 1998, n° 96-41.414, Société La Voix du Nord c/ M. Prum N° Lexbase : A5615ACX). Mais dans cette dernière hypothèse, il ne s'agit plus, alors, d'une question de licéité de la clause de mobilité, mais de mise en oeuvre de celle-ci, mise en application tempérée par les circonstances d'espèce. Néanmoins, et il faut l'espérer, il se pourrait qu'une autre raison ait justifié cette modification du fondement juridique de la solution.
La logique voudrait donc, s'il s'agit bien d'une nouvelle condition de validité de la clause de mobilité, que son défaut donne lieu à la nullité de la clause et donc à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé au motif du refus de la mutation par le salarié. Cette solution n'est peut-être pas remise en cause par la solution commentée. En effet, si la Cour donne l'impression de se situer au niveau de l'application et non de la validité de la clause, cette sensation n'est sûrement générée que par la spécificité des faits. La mutation imposée à la salariée, de Folelli à Corté, en Corse, ne correspondait qu'à un déplacement du lieu de travail d'au plus cinquante kilomètres. Etait-ce suffisant pour considérer qu'il s'agissait d'une modification du contrat de travail ou bien, au contraire, d'un changement dans les conditions de travail que la salariée ne pouvait donc refuser au risque de voir cet acte qualifié de faute grave ? Le rayon de vingt kilomètres habituellement admis, comme la confusion générée par la nullité de la clause de mobilité suffiraient, à notre sens, à justifier que la faute ne soit que sérieuse. Les visas redeviendraient alors tout à fait justifiés et, surtout, la nouvelle condition de validité de précision de la zone géographique ne serait pas désavouée. Il faut donc espérer que ce sont de telles considérations qui font, en l'espèce, la base du raisonnement de la Cour de cassation. |