Cass. soc., 11-05-2016, n° 14-26.285, F-D, Rejet



SOC. LG

COUR DE CASSATION

Audience publique du 11 mai 2016

Rejet

Mme VALLÉE, conseiller le plus ancien faisant fonction de président

Arrêt n 894 F D Pourvoi n K 14-26.285 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant

Statuant sur le pourvoi formé par M. Z Z Z, domicilié Ifs,

contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2014 par la cour d'appel de Caen (2 chambre sociale), dans le litige l'opposant 1 / à la société Eiffage énergie Basse-Normandie, dont le siège est Giberville,

2 / à Pôle emploi d'Ifs, dont le siège est Ifs,

défendeurs à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 30 mars 2016, où étaient présents Mme Vallée, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, M. Ricour, conseiller rapporteur, M. Schamber, conseiller, Mme Piquot, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Ricour, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. Z Z, de Me Carbonnier, avocat de la société Eiffage énergie Basse-Normandie, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 12 septembre 2014), que M. Z Z, engagé le 10 juillet 1972 par la société Sten, aux droits de laquelle se présente la société Eiffage énergie Basse-Normandie en qualité d'électricien et exerçant, à compter du 1 janvier 2003, les fonctions de responsable d'affaire, a été licencié pour faute grave le 20 février 2012 ;

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement repose sur une faute grave et de le débouter de l'ensemble de ses demandes, alors, selon le moyen

1 / que la faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués ; de sorte qu'en s'abstenant de s'interroger, comme elle y était expressément invitée, sur le point de savoir si, ayant attendu près d'un mois à compter de la connaissance des faits avant de convoquer M. Z Z à un entretien préalable, soit le 26 janvier 2012, l'employeur n'avait pas manqué à son obligation de mettre en oeuvre la procédure de licenciement dans un délai restreint, mettant ainsi obstacle à la qualification de faute grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale a regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

2 / qu'en s'abstenant de répondre, ne serait-ce qu'implicitement, au moyen pertinent tiré de ce que la procédure de licenciement, engagée près d'un mois après la connaissance des faits allégués, n'avait pas été mise en oeuvre dans le cadre d'un délai restreint, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions, violant les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

3 / que le juge a l'obligation de vérifier la cause exacte du licenciement au-delà des énonciations de la lettre de licenciement ; de sorte qu'en décidant, en l'espèce, que le licenciement de M. Z Z reposait sur le motif disciplinaire invoqué dans la lettre de licenciement, sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, si la procédure de licenciement, engagée à l'égard d'un salarié ayant un âge proche de la retraite, dans un contexte économique très difficile pour la société Eiffage énergie Basse-Normandie, qui mettait en place un plan de restructuration avec des suppressions d'emplois et en présence d'une vague anormale de licenciements disciplinaires parmi les salariés les plus anciens et les plus coûteux, ne dissimulait pas une mesure ayant, en réalité, un motif économique, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les dispositions des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

4 / que la faute grave n'est caractérisée qu'en présence d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; que tout salarié étant tenu de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé, les juges du fond ne peuvent imputer à un responsable d'affaires la totale responsabilité de la chute d'un ouvrier sur un chantier sans examiner avec soin les conditions dans lesquelles ce dernier exécutait ses travaux ni les circonstances précises de l'accident ; de sorte qu'en décidant, en l'espèce, que M. Z Z avait commis une faute grave en laissant M. ... intervenir en hauteur sans coéquipier ni nacelle sans préciser les conditions matérielles dans lesquelles M. ..., par ailleurs délégataire de sécurité, devait exécuter les travaux qui lui étaient confiés ni préciser les circonstances précises de la chute, afin de déterminer si le comportement de ce dernier n'avait pas joué un rôle prépondérant dans l'accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

5 / que la faute grave s'apprécie in concreto ; que la gravité de la faute commise s'apprécie en fonction de l'ancienneté du salarié, de la qualité de son travail et de l'attitude qu'il a adoptée pendant toute la durée de la collaboration ; de sorte qu'en décidant que le manquement à l'obligation de sécurité reproché à M. Z Z caractérisait une faute grave sans s'interroger sur le point de savoir si ce dernier, qui justifiait de 40 années d'ancienneté, avait fait l'objet précédemment de sanctions disciplinaires, de rappels à l'ordre ou de remarques sur le respect des règles de sécurité, sur la qualité de son travail ou sur son attitude, la cour d'appel a, de nouveau, privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

Mais attendu, d'abord, que le salarié n'ayant pas soutenu devant les juges du fond que l'employeur n'avait pas mis en oeuvre la procédure de licenciement disciplinaire dans un délai restreint après qu'il a eu connaissance des faits fautifs invoqués, la cour d'appel n'avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ;

Attendu, ensuite, que la cour d'appel, qui a constaté que l'intéressé avait affecté un salarié placé sous sa responsabilité à des travaux en hauteur sans appliquer les mesures de protection nécessaires pour assurer sa sécurité, ce salarié ayant été victime d'un accident du travail en chutant d'une échelle, a pu décider qu'eu égard à ses fonctions comportant une délégation de pouvoirs relativement à la sécurité des salariés, écartant par là-même toute autre cause de licenciement, que la faute commise par M. Z Z était d'une gravité telle qu'elle rendait impossible son maintien dans l'entreprise ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. Z Z aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. Z Z

L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure

EN CE QU'IL a décidé que le licenciement reposait sur une faute grave, déboutant M. Z Z de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;

AUX MOTIFS QUE La lettre de licenciement dont les termes fixent les limites du litige est ainsi rédigée " je vous informe de ma décision de vous notifier votre licenciement pour faute grave aux motifs suivants Le vendredi 30 décembre 2011, sur le chantier Télécom, M. ... ..., ouvrier placé sous votre responsabilité a été victime d'un accident du travail suite à une chute d'échelle ayant entraîné un arrêt de travail (..). Le compte rendu hiérarchique de l'accident et l'étude du dossier ont révélé que vous aviez confié à M. ... ... des travaux comprenant plusieurs interventions avec des travaux en hauteur sur une même journée alors qu'il était seul affecté sur ces chantiers. En tant que responsable d'affaires, vous n'êtes pas sans ignorer que les travaux en hauteur avec échelle doivent impérativement être affectés à des équipes de deux personnes et doivent être encadrés par des règles précises de sécurité. Or vous n'avez pas appliqué ces consignes fondamentales et formalisées lors de l'affectation de ces ordres de travaux à M. ... .... (...). Vous auriez dû prévoir soit une équipe de deux personnes, soit une nacelle pour accompagner M. ... .... Nous ne pouvons tolérer un tel laxisme et un tel manquement aux règles fondamentales de notre politique prévention (...). Ce comportement est constitutif d'un manquement flagrant aux règles de sécurité d'Eiffage Energie Basse Normandie et met en péril l'intégrité physique de nos collaborateurs et particulièrement des plus exposés qui travaillent sur les chantiers dont vous avez la responsabilité. Votre manque de rigueur et de professionnalisme notamment en matière réglementaire et de sécurité nous ont également été remontés par notre client Orange. (...). En conséquence, (...) Nous vous notifions votre licenciement pour faute grave " ; que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; que par ailleurs, s'impose à l'employeur vis à vis de son salarié, une obligation de sécurité reconnue comme étant de résultat ; que ceci implique que constitue une faute contractuelle engageant la responsabilité de l'employeur le fait d'exposer un salarié à un danger sans appliquer les mesures de protection nécessaires pour assurer sa sécurité et protéger sa santé physique et mentale ; que M. Z Z, qui ne remet plus en cause devant la cour la réalité de l'accident subi par M. ..., ne conteste pas avoir reçu dans le cadre de ses fonctions de responsable d'affaires, une délégation de pouvoirs relativement à l'hygiène et à la sécurité des salariés dont il ne conteste pas la validité ; que cette délégation prévoit expressément l'obligation pour le délégataire de procéder à une inspection commune ou une visite préalable avant travaux et à faire l'analyse des risques particuliers au chantier. (Cf. pièce N 7 de l'employeur) ; qu'il est également prévu qu'il doit définir avec ses collaborateurs l'ensemble des dispositifs de sécurité, les moyens de protection collectifs individuels et particuliers et leur mise à disposition ; que M. Z Z ne méconnaît pas avoir été informé par son employeur, de ce que le travail à l'échelle devait être exceptionnel et réservé en toute hypothèse à une équipe de deux salariés, " le travail seul à l'échelle étant strictement interdit " (cf. attestation de M. ..., pièce N 20 du salarié), ce que confirme M. ... (cf. pièce N 12 de l'employeur) selon lequel les travaux en hauteur devaient en principe se faire à deux et avec une nacelle ; que l'ensemble de ces éléments établit qu'en sa qualité de responsable d'affaires, M. Z Z devait, sur la base de l'ordre d'intervention définissant le travail qu'il escomptait confier à M. ..., et qui faisait référence à des travaux en hauteur (cf. pièce N 8-2 de l'employeur),

mettre à la disposition du salarié, les moyens de réaliser le travail sans danger, et notamment une nacelle ; que M. Z Z qui n'a jamais invoqué l'insuffisance des moyens mis à sa disposition pour la mise en oeuvre de sa délégation prétend, sans le démontrer, avoir fait toutes les recommandations utiles en matière de sécurité à M. ... ; qu'il importe peu que l'essentiel des membres de l'équipe de M. Z Z rappelle que les ordres d'interventions comportaient souvent des erreurs sur l'exacte nature (en hauteur ou pas), des travaux à effectuer, ou que ces mêmes collaborateurs affirment tous que M. Z Z interdisait clairement " d'exécuter des travaux à l'échelle lorsqu'on ne pouvait intervenir avec une nacelle ", dès lors qu'ayant envoyé M. ... sur des travaux prévus en hauteur, il a laissé partir ce dernier sans coéquipier, équipé d'une simple échelle, l'incitant ainsi implicitement à réaliser seul un éventuel travail en hauteur sans être équipé d'une nacelle ou au moins garanti par la présence d'un collègue, ce d'autant qu'aux termes de l'attestation de M. ..., que viennent conforter les déclarations écrites de M. ... (cf. pièces N 11 et 12 de l'employeur), ce dernier présentait un état de santé fragile l'isolant un peu du reste de l'équipe et lui rendant difficile la résistance aux prescriptions qui lui étaient données par M. Z Z, difficulté que la victime a également stigmatisée dans le compte rendu d'accident rédigé pour son employeur dès le 13 février 2012 (environ trois mois après l'accident), dans lequel elle précise qu'" il n'y avait que des travaux en hauteur pour la journée + il ne fallait pas partir mais il n 'est pas possible de refuser le travail " ; qu'alors que pèse sur l'employeur une obligation de sécurité résultat, à laquelle le salarié ne méconnaît pas avoir été sensibilisé à travers diverses formations et pour le respect de laquelle il a expressément reçu délégation, sans que soit évoquée de sa part une justification spécifique et sérieuse de l'entorse faite aux prescriptions de l'employeur concernant les travaux en hauteur, il y a lieu de considérer que M. Z Z a commis une faute dont la gravité justifie à elle seule la rupture immédiate du contrat de travail ; que dans ces conditions, le jugement entrepris sera infirmé, M. Z Z devant être débouté de l'ensemble de ses demandes ;

ALORS QUE, premièrement la faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués ; de sorte qu'en s'abstenant de s'interroger, comme elle y était expressément invitée (conclusions, p. 5), sur le point de savoir si, ayant attendu près d'un mois à compter de la connaissance des faits avant de convoquer M. Z Z à un entretien préalable, soit le 26 janvier 2012, l'employeur n'avait pas manqué à son obligation de mettre en oeuvre la procédure de licenciement dans un délai restreint, mettant ainsi obstacle à la qualification de faute grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale a regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

ALORS QUE, deuxièmement, en s'abstenant de répondre, ne serait-ce qu'implicitement, au moyen pertinent tiré de ce que la procédure de licenciement, engagée près d'un mois après la connaissance des faits allégués, n'avait pas été mise en oeuvre dans le cadre d'un délai restreint, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions, violant les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

ALORS QUE, troisièmement, le juge a l'obligation de vérifier la cause exacte du licenciement au-delà des énonciations de la lettre de licenciement ; de sorte qu'en décidant, en l'espèce, que le licenciement de M. Z Z reposait sur le motif disciplinaire invoqué dans la lettre de licenciement, sans rechercher, comme elle y était expressément invitée (conclusions, p. 11), si la procédure de licenciement, engagée à l'égard d'un salarié ayant un âge proche de la retraite, dans un contexte économique très difficile pour la société EIFFAGE ÉNERGIE Basse Normandie, qui mettait en place un plan de restructuration avec des suppressions d'emplois et en présence d'une vague anormale de licenciements disciplinaires parmi les salariés les plus anciens et les plus coûteux, ne dissimulait pas une mesure ayant, en réalité, un motif économique, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les dispositions des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

ALORS QUE, quatrièmement, la faute grave n'est caractérisée qu'en présence d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; que tout salarié étant tenu de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé, les juges du fond ne peuvent imputer à un responsable d'affaires la totale responsabilité de la chute d'un ouvrier sur un chantier sans examiner avec soin les conditions dans lesquelles ce dernier exécutait ses travaux ni les circonstances précises de l'accident ; de sorte qu'en décidant, en l'espèce, que M. Z Z avait commis une faute grave en laissant M. ... intervenir en hauteur sans coéquipier ni nacelle sans préciser les conditions matérielles dans lesquelles M. ..., par ailleurs délégataire de sécurité, devait exécuter les travaux qui lui étaient confiés ni préciser les circonstances précises de la chute, afin de déterminer si le comportement de ce dernier n'avait pas joué un rôle prépondérant dans l'accident, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

ALORS QUE, cinquièmement, la faute grave s'apprécie in concreto ; que la gravité de la faute commise s'apprécie en fonction de l'ancienneté du salarié, de la qualité de son travail et de l'attitude qu'il a adoptée pendant toute la durée de la collaboration ; de sorte qu'en décidant que le manquement à l'obligation de sécurité reproché à M. Z Z caractérisait une faute grave sans s'interroger sur le point de savoir si ce dernier, qui justifiait de 40 années d'ancienneté, avait fait l'objet précédemment de sanctions disciplinaires, de rappels à l'ordre ou de remarques sur le respect des règles de sécurité, sur la qualité de son travail ou sur son attitude, la Cour d'appel a, de nouveau, privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.