Décision
Cass. soc., 1er décembre 2005, n° 05-43.031, Société Copagau, FS-P+B (N° Lexbase : A8575DL8) Cassation (CA Versailles, 6ème chambre sociale, 1er mars 2005 et 16 septembre 2003) Textes visés : C. trav., art. L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL) ; C. trav., art. L. 511-1 (N° Lexbase : L1723GZT) Mots-clefs : lien de subordination ; primauté des circonstances de fait sur la volonté des parties ; nécessité d'une immixtion de l'employeur dans l'exercice du travail lui-même. Lien bases : |
Résumé
L'arrêt du 1er décembre 2005 infléchit quelque peu la manière d'évaluer le degré d'immixtion de l'employeur dans l'activité du salarié. Cette immixtion, pour refléter l'existence d'un contrat de travail, doit être le fruit d'une décision de l'employeur lui-même et doit porter sur les conditions d'exécution du travail lui-même. |
Faits
Au cours des années 1998 et 1999, MM. Harfouche, Journo, Hamdani, Lubin et Pean ont conclu respectivement avec les sociétés Copagau, Taxitel et Copagly, appartenant au groupe G7, des contrats de "location de véhicule équipé-taxi" d'une durée de 3 mois pour le premier contrat, puis d'un an pour les suivants, moyennant le paiement d'une redevance mensuelle. Ils ont saisi la juridiction prud'homale afin de se voir reconnaître la qualité de salariés et d'obtenir le remboursement de la part patronale des cotisations sociales payées aux sociétés. Par arrêt du 1er mars 2005, la cour d'appel a condamné les sociétés loueuses à remettre un certificat de travail à leurs cocontractants, au motif que ces contrats plaçaient les locataires en situation de précarité, n'avaient pas pour véritable objet l'usage du véhicule fourni mais la faculté d'exercer la profession de conducteur taxi, imposaient aux locataires des obligations excédant la seule nécessité de la location d'un véhicule, conféraient aux loueuses un pouvoir de direction et de contrôle sur l'activité des conducteurs de taxi, se traduisant par une ingérence dans la liberté du locataire d'organiser son travail et une immixtion dans l'exercice de la profession de taxi et que ces mêmes contrats instituaient, sous couvert du mode de paiement de la location, un système de rémunération par salaire variable, donnaient aux loueurs un pouvoir disciplinaire encore supérieur à ceux de la commission de discipline et comportaient, enfin, des clauses caractéristiques de l'activité salariée. |
Solution
1. Cassation 2. "Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné [...] le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail [...] l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait, dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs [...]". "En se bornant à analyser certaines clauses du contrat, sans rechercher si indépendamment des conditions d'exécution du travail imposées par les nécessités de police administrative, dans les faits, les sociétés avaient le pouvoir de donner des ordres et des directives relatifs non pas au seul véhicule objet du contrat de location mais à l'exercice du travail lui-même, d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner les manquements, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé le lien de subordination, n'a pas donné de base légale à sa décision". |
Commentaire
1. Le rappel des principes applicables en matière de qualification d'un contrat de travail 1.1. La primauté des circonstances de fait sur la volonté exprimée par les parties La Cour de cassation pose, depuis très longtemps, le principe selon lequel l'existence d'un contrat de travail ne dépend pas de la volonté des parties mais des circonstances de fait dans lesquelles est exécuté le contrat. Il peut, en effet, arriver que les parties n'aient, au départ, aucunement entendu se soumettre au droit du travail. Dans cette hypothèse, les juges font prévaloir la pratique sur la volonté qu'elles ont exprimée. L'arrêt commenté du 1er décembre 2005 reprend, ainsi, la traditionnelle formule selon laquelle "l'existence d'une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination donnée par celles-ci à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur" (voir, déjà, Ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-15.290, SA Ecole des Roches, N° Lexbase : A3665ABD, D. 1983, 381, concl. Cabannes ; Cass. soc., 25 février 2004, n° 01-46.785, F-D N° Lexbase : A3814DBU). La dénomination du contrat n'a donc aucune incidence sur sa qualification (Cass. soc., 19 décembre 2000, n° 98-40.572, M. Labbane c/ Chambre syndicale des loueurs d'automobiles de place de 2e classe de Paris Ile-de-France et autre, publié N° Lexbase : A2020AIN ; Cass. soc., 29 janvier 2002, n° 99-42.697, FS-P+B+R N° Lexbase : A8606AXZ). Dans un arrêt récent du 25 octobre 2005, la Cour de cassation a même décidé que l'associé d'une société en participation pouvait se voir reconnaître la qualité de salarié (Cass. soc., 25 octobre 2005, n° 01-45.147, FS-P+B N° Lexbase : A1443DLZ, lire Stéphanie Martin-Cuenot, Requalification d'une société en participation ou l'application du principe "Participe qui peut et non qui veut", Lexbase Hebdo n° 189 du 10 novembre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N0520AKH). 1.2. Les circonstances de fait caractéristiques du lien de subordination Selon la Cour de cassation, les juges doivent rechercher si les circonstances de fait font apparaître un lien de subordination. Selon l'arrêt du 1er décembre 2005 (qui ne fait, là encore, que reprendre la jurisprudence traditionnelle), le lien de subordination "est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné" (voir Cass. soc., 13 novembre 1996, n° 94-13.187, Société générale c/ Urssaf de la Haute-Garonne, publié N° Lexbase : A9731ABZ). On sait que la jurisprudence a précisé que "le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail" (Cass. soc., 13 novembre 1996, préc.). Il n'existe, en réalité, aucune liste prédéterminée des éléments nécessaires pour caractériser le lien de subordination. Celui-ci sera apprécié au cas par cas à partir de la technique dite du "faisceau d'indices". Si la détermination par l'employeur du lieu et de l'horaire de travail ainsi que la présence d'une rémunération sont des indices pertinents, c'est surtout le pouvoir d'ingérence de l'employeur dans l'activité de la personne qui sera déterminant. Les juges du fond doivent donc rechercher si l'une des parties au contrat a le pouvoir de s'immiscer dans le travail lui-même, d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner les manquements. La Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel de Paris au motif que les juges du fond n'avaient pas recherché si le prétendu employeur disposait effectivement d'un tel pouvoir. 2. L'existence d'un lien de subordination subordonnée à l'immixtion de l'employeur dans l'exercice du travail lui-même L'arrêt commenté du 1er décembre 2005 affirme qu'"en se bornant à analyser certaines clauses du contrat, sans rechercher si indépendamment des conditions d'exécution du travail imposées par les nécessités de police administrative, dans les faits, les sociétés avaient le pouvoir de donner des ordres et des directives relatifs non pas au seul véhicule objet du contrat de location mais à l'exercice du travail lui-même, d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner les manquements, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé le lien de subordination, n'a pas donné de base légale à sa décision". La formulation de cet attendu appelle quelques commentaires. Il convient, en premier lieu, d'observer que les stipulations du contrat, pas plus qu'elles ne peuvent conduire le juge à écarter automatiquement la qualification de contrat de travail, ne peuvent le conduire à retenir automatiquement une telle qualification. La Cour de cassation sanctionne, en l'espèce, les juges du fond qui avaient estimé que certaines clauses du contrat étaient "caractéristiques de l'activité salariée", sans vérifier si tel était le cas dans les faits. Il convient, ensuite, d'observer que la Cour de cassation impose aux juges du fond de distinguer, parmi les contraintes imposées par l'employeur au salarié, entre celles résultant des "nécessités de police administrative", et celles résultant des initiatives de l'employeur lui-même. Dans le même ordre d'idées, la Cour de cassation impose aux juges du fond, dans l'arrêt commenté, de distinguer entre le pouvoir de donner des ordres relatifs au véhicule objet du contrat de location et le pouvoir de donner des ordres relatifs au travail lui-même. Cette manière d'évaluer le degré d'immixtion de l'employeur dans le travail du salarié marque une évolution de la jurisprudence de la Chambre sociale en la matière.
Dans l'arrêt "Labbanne" du 19 décembre 2000 (Cass. soc., 19 décembre 2000, précité), la Cour de cassation avait en effet retenu, parmi les éléments permettant de conclure à l'existence d'un lien de subordination : Il nous semble que ces éléments d'appréciation, qui étaient en 2000 considérés comme pertinents pour mettre en évidence l'existence d'un lien de subordination, sont devenus, au regard de la décision commentée du 1er décembre 2005, totalement inopérants. L'arrêt du 1er décembre 2005 ne modifie pas les principes juridiques applicables à la qualification de contrat de travail. Il conduit cependant à infléchir quelque peu la manière d'évaluer le degré d'immixtion de l'employeur dans l'activité du salarié. Cette immixtion, pour refléter l'existence d'un contrat de travail, doit être le fruit d'une décision de l'employeur lui-même (et non la mise en oeuvre par le donneur d'ordre d'une décision qui lui est extérieure) et doit porter sur les conditions d'exécution du travail lui-même (et non sur des activités autres que le "travail" comme, en l'espèce, les conditions de l'utilisation du véhicule objet du contrat). |