Décision
Cass. soc., 20 avril 2005, n° 03-41.802, Compagnie IBM France c/ M. Michel Chatard, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9303DHZ) Rejet (cour d'appel d'Orléans, chambre sociale, 9 janvier 2003) Textes concernés : article L. 212-4-9 du Code du travail (N° Lexbase : L9588GQ8) Mots clef : salariés à temps partiel ; priorité sur les emplois à temps plein ; information par l'employeur ; modalités ; intranet Liens base : |
Faits
M. Chatard, salarié de la société IBM France depuis le 20 octobre 1966 en qualité d'aide opérateur puis de programmeur analyste, a travaillé, à sa demande, à temps partiel à partir de juillet 1993. Il a postulé depuis décembre 1998 pour un emploi à temps plein. Estimant que son employeur n'avait respecté ni l'obligation de porter à sa connaissance la liste des emplois disponibles ni la priorité d'emploi dont il bénéficiait, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes de dommages-intérêts. La cour d'appel d'Orléans a fait droit à ses demandes |
Problème juridique
L'employeur peut-il se contenter d'informer les salariés employés à temps partiel par la voie de l'intranet de l'entreprise des emplois à temps plein disponibles ? |
Solution
1° "si l'employeur peut porter à la connaissance de ses salariés les emplois disponibles par voie de communication électronique, notamment sur le réseau intranet de l'entreprise, il est tenu, en application de l'article L. 212-4-9 du Code du travail (N° Lexbase : L9588GQ8), de procéder à une diffusion spécifique concernant les emplois pouvant correspondre à la catégorie professionnelle, ou à un emploi équivalent, des salariés à temps partiel souhaitant occuper un emploi à temps complet, ou des salariés à temps complet souhaitant un emploi à temps partiel" 2° Rejet |
Commentaire
1. L'utilisation du réseau intranet de l'entreprise par l'employeur
L'article L. 212-4-9 du Code du travail (N° Lexbase : L9588GQ8) reconnaît aux salariés de l'entreprise une "priorité pour l'attribution d'un emploi ressortissant à leur catégorie professionnelle ou d'un emploi équivalent". Cette priorité vaut aussi bien pour les salariés à temps partiel concernant les emplois à temps plein que pour les salariés à temps plein qui souhaiteraient opter pour un temps partiel. Le texte précise que "l'employeur porte à la connaissance de ces salariés la liste des emplois disponibles correspondant". L'application de ces dispositions fait généralement difficulté lorsqu'il s'agit de déterminer quels sont les emplois qui doivent leur être effectivement proposés, mais peu sur les modalités de cette information. Jusqu'à présent, l'employeur employait des moyens conventionnels, mais jamais, à notre connaissance, la Cour de cassation n'avait eu à se prononcer sur la possibilité pour l'employeur d'utiliser le réseau intranet de l'entreprise.
Dans cette affaire, l'employeur avait diffusé, sur le réseau intranet, et conformément à une pratique aujourd'hui assez largement répandue dans les grandes entreprises, "une liste exhaustive et permanente, comportant le titre, la nature du travail, la localisation et la date de disponibilité" des emplois vacants, chaque salarié ayant de surcroît la possibilité d'accéder à des informations plus précises sur les postes proposés grâce à un code personnel d'accès. Un salarié prétendait ne pas avoir été rempli dans ses droits et avait obtenu 3 050 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui avait causé le défaut d'information individuelle, la cour d'appel d'Orléans ayant considéré que l'employeur devait établir "au profit de chaque personne demandant un changement d'horaire, une liste personnalisée se restreignant aux postes correspondant à l'emploi occupé par le salarié demandeur". L'entreprise faisait valoir devant la Cour de cassation que l'article L. 212-4-9 du Code du travail ne précise pas les modalités d'information des salariés et que la mise en ligne sur le réseau intranet de l'entreprise de la liste intégrale des postes disponibles suffisait au regard des exigences légales. Tel n'est pas l'avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi et considère, à son tour, que "si l'employeur peut porter à la connaissance de ses salariés les emplois disponibles par voie de communication électronique, notamment sur le réseau intranet de l'entreprise, il est tenu, en application de l'article L. 212-4-9 du Code du travail, de procéder à une diffusion spécifique concernant les emplois pouvant correspondre à la catégorie professionnelle, ou à un emploi équivalent, des salariés à temps partiel souhaitant occuper un emploi à temps complet, ou des salariés à temps complet souhaitant un emploi à temps partiel".
De cette décision en demi-teinte, ressortent très nettement deux éléments qu'il convient de distinguer. En premier lieu, la Cour de cassation affirme que "l'employeur peut porter à la connaissance de ses salariés les emplois disponibles par voie de communication électronique, notamment sur le réseau intranet de l'entreprise". Cette information sur l'état des emplois disponibles dans l'entreprise permettra, ainsi, à ceux qui le souhaitent, de poser leur candidature pour d'autres fonctions et constitue ainsi un instrument de mobilité professionnelle interne intéressant. On peut même penser que cette pratique participe de l'obligation de bonne foi qui pèse sur l'employeur dans le cadre de l'exécution du contrat de travail (art. L. 120-4 du Code du travail N° Lexbase : L0571AZ8) dans la mesure où elle offre à des salariés la possibilité de bénéficier de progressions de carrière dans l'entreprise et satisfait, ainsi, à l'obligation d'adaptation qui pèse sur tout employeur. En revanche, et c'est sur ce point que portait la discussion, l'employeur ne peut se fonder uniquement sur cette diffusion sur le réseau intranet pour prétendre s'être libéré de l'obligation d'information qui pèse sur lui en vertu de l'article L. 212-4-9 du Code du travail (N° Lexbase : L9588GQ8). Il doit, en effet, "procéder à une diffusion spécifique concernant les emplois pouvant correspondre à la catégorie professionnelle, ou à un emploi équivalent", cette diffusion spécifique étant, par la force des choses, nominative alors que l'information disponible sur l'intranet est, nécessairement, collective et impersonnelle. 2. Les limites du recours à l'intranet La solution retenue nous semble bienvenue, même si elle appelle certaines précisions qui atténuent la sévérité apparente de la solution pour l'entreprise.
Sur un plan juridique, on relèvera que l'article L. 212-4-9 du Code du travail (N° Lexbase : L9588GQ8) ne précise pas les moyens par lesquels l'employeur "porte à la connaissance de ces salariés la liste des emplois disponibles correspondants" mais donne, toutefois, quelques indications qui justifient la décision qui a été prise. La priorité d'attribution ne concerne, en effet, que les salariés "qui souhaitent occuper ou reprendre" un emploi à temps plein ou à temps partiel. Cette priorité suppose donc que les salariés se soient manifestés auprès de l'employeur. Dès lors, c'est dans le cadre de la relation individuelle de travail liant l'employeur à chaque salarié que doit s'exercer ce droit à l'information, et non sur le terrain collectif. Or, le réseau intranet de l'entreprise présente un caractère nécessairement impersonnel. Certes, l'employeur peut permettre aux salariés d'accéder à des informations personnalisées, en leur attribuant des codes d'accès nominatifs, mais ce réseau demeure une base de données qui implique une démarche active du salarié pour accéder à l'information. Or, l'article L. 212-4-9 du Code du travail fait peser sur l'employeur cette obligation d'information, et ne pose aucune obligation d'information à la charge du salarié. Considérer, dans ces conditions, que la mise en ligne des postes est suffisante, conduirait à transformer la nature de la règle édictée par le Code du travail.
On ajoutera, sur un plan plus pratique, que tous les salariés n'ont pas nécessairement un accès facilité à l'intranet de l'entreprise (même si généralement des points d'accès sont mis en place dans les lieux de repos ou de restauration), ni nécessairement l'habilité nécessaire pour en exploiter toutes les potentialités. Exiger, dans ces conditions, une information nominative est donc de nature à garantir le respect effectif du droit à l'information. Par ailleurs, le salarié n'est pas nécessairement à même de faire la corrélation entre la liste des postes disponibles et sa capacité à occuper des postes "équivalents". Certes, il peut lui-même se faire une opinion en consultant la liste des postes disponibles, mais l'employeur doit éventuellement lui proposer d'autres postes auxquels il ne penserait pas nécessairement.
Si cette décision semble fermer la porte à ce que l'intranet puisse valablement se substituer à une information nominative des salariés, elle ne nous paraît pas interdire l'usage de l'intranet en complément d'une information particulière. On imagine, en effet, que l'entreprise pourrait adresser aux salariés qui en ont fait la demande la liste précise des emplois qu'ils pourraient prétendre occuper en les renvoyant sur l'intranet pour accéder au détail de ces emplois, à l'aide de codes permettant d'identifier précisément les informations disponibles. On pourrait même se demander, à la lecture de l'arrêt, si l'employeur ne pourrait pas se contenter de classer sur l'intranet de l'entreprise des listes d'emplois effectivement disponibles en fonction des catégories professionnelles, sans aller jusqu'à une information nominative des salariés. La Cour fait, en effet, référence à une "diffusion" de ces informations, sans reprendre à son compte l'exigence d'une information personnalisée adressée à chaque salarié qui figurait dans l'arrêt d'appel, et vise les "catégories" de salariés ayant manifesté leur désir de changer d'emploi, sans faire référence aux salariés considérés individuellement. Il faudra, sans doute, attendre de nouvelles décisions pour avoir la réponse à cette dernière question. |