Décision
Cass. soc., 13 avril 2005, n° 03-42.965, Société Eure-et-Loir habitat c/ M. André Billaud, FS-P+B (N° Lexbase : A8766DH7) Rejet (CA Versailles, 17e Chambre sociale, 27 mars 2003) Texte concerné : C. trav., art. L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI) Mots clefs : contrat de travail ; clause de résidence ; nullité ; protection de la vie privée. |
Faits
1. MM. Billaud, David et Hérin ont été engagés, par la société Eure-et-Loire Habitat, en qualité d'employés d'immeubles chargés d'assurer l'entretien des espaces verts, des espaces libres et des parties communes, du service des ordures ménagères, de l'exécution de petites réparations, de la surveillance générale des ensembles immobiliers et des installations de chauffage et de tâches administratives à raison de 42 heures par semaine. Leur contrat de travail prévoyant que pour l'exécution de leurs fonctions, ils devaient obligatoirement résider sur place dans l'ensemble immobilier, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour voir annuler ces clauses. 2. Les juges d'appel ayant prononcé la nullité de la clause d'obligation de résidence, la société employeur a formé un pourvoi en cassation. A l'appui de celui-ci, la société arguait, notamment, qu'elle était pleinement fondée à solliciter de ses employés d'immeubles le respect d'une obligation de résidence qui était indispensable pour permettre à ceux-ci d'accomplir régulièrement leurs tâches et pour répondre non seulement à la protection des intérêts légitimes de la société d'HLM, mais aussi à la poursuite de l'amélioration générale des conditions de vie attachées au logement social et à la recherche de la sécurité des grands ensembles. |
Problème juridique
Les salariés peuvent-ils être tenus, en vertu d'une clause de leur contrat de travail, d'une obligation de résidence ? |
Solution
1. Rejet 2. "La cour d'appel, qui a constaté que les salariés pouvaient exécuter les tâches qui leur étaient confiées à l'extérieur des lieux de travail, a exactement décidé que la clause d'obligation de résidence était nulle". |
Observations
1. Conditions de validité des clauses d'obligation de résidence
Conformément aux règles du droit commun, les parties sont, en principe, libres de fixer le contenu du contrat de travail. Une telle liberté n'est cependant pas sans limites. Celles-ci apparaissent d'autant plus nécessaires en la matière que l'une des parties peut être tentée de profiter de sa position de force pour imposer à l'autre certaines clauses. On ne sera, dès lors, pas surpris que la loi vienne parfois interdire purement et simplement certaines stipulations. On peut citer, à titre d'exemples, l'article L. 122-14-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5567AC8) prohibant les clauses couperet, ou encore les articles L. 141-9 (N° Lexbase : L5742ACN) et L. 121-3 (N° Lexbase : L5445ACN) du même code, interdisant respectivement les clauses d'indexation ou les clauses attributives de juridiction. De façon plus générale et en l'absence de textes spéciaux, doivent également être déclarées nulles les clauses contractuelles contraires à l'ordre public. Enfin, et pour en venir à ce qui nous intéresse directement ici, sont illicites les clauses portant atteinte aux droits fondamentaux de la personne ou au respect de la vie privée. On ne peut manquer d'évoquer, à ce titre, le désormais fameux article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI) qui précise que "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché". Cette disposition constitue, à n'en point douter, un efficace instrument de protection des droits et libertés du salarié et la Cour de cassation en fait une généreuse application, vérifiant à l'aune de celle-ci la validité de nombre de stipulations contractuelles. On ne saurait, cependant, omettre de souligner que cet article prend également en compte l'intérêt de l'entreprise.
Il résulte clairement de l'article L. 120-2 du Code du travail que des restrictions peuvent être apportées aux droits et libertés des salariés, dès lors qu'elles sont justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché. En d'autres termes, les clauses du contrat de travail qui portent atteinte aux droits et libertés du salarié ne seront déclarées illicites que si elles ne sont pas justifiées par l'intérêt de l'entreprise. Ce n'est qu'à cette condition que peut, par exemple, être limitée la liberté d'expression du salarié (Cass. soc., 14 décembre 1999, n° 97-41.995, M. Pierre c/ Société Sanijura et autre, publié N° Lexbase : A3127AGW, Dr. soc. 2000, p. 163, note J.-E. Ray). De même, on se souvient que la Cour de cassation a pu décider que, selon l'article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR), toute personne a droit au respect de son domicile. Le libre choix du domicile personnel et familial étant l'un des attributs de ce droit, une restriction à cette liberté par l'employeur n'est valable qu'à la condition d'être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et proportionnée, compte tenu de l'emploi occupé et du travail demandé, au but recherché (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 96-40.755, M. Spileers c/ Société Omni Pac, publié N° Lexbase : A4618AG7, Dr. soc., 1999, p. 287, obs. J.-E. Ray). Rendue à propos de la mise en oeuvre d'une clause de mobilité, il ne fait guère de doute que cette solution doit valoir pour les clauses d'obligation de résidence, que ce soit en application de l'article 8 de la CESDH ou, aujourd'hui, de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI). C'est ce que tend à signifier, en l'espèce, la Cour de cassation en affirmant, rappelons-le, que "la cour d'appel, qui a constaté que les salariés pouvaient exécuter les tâches qui leur étaient confiées, tout en résidant à l'extérieur des lieux de travail, a exactement décidé que la clause d'obligation de résidence était nulle". Il faut donc comprendre que les clauses d'obligation de résidence ne sont pas nulles par principe. Mais, dans la mesure où elles portent atteinte à la vie privée du salarié, elles ne peuvent être admises que si elles sont justifiées par l'intérêt de l'entreprise et proportionnées, compte tenu de l'emploi proposé, au but recherché. Or, tel n'était pas le cas en l'espèce, l'employeur n'ayant pu rapporter la preuve que les salariés ne pouvaient effectuer les tâches qui leur étaient contractuellement confiées qu'en habitant dans l'ensemble immobilier dans lequel ils travaillaient. L'arrêt commenté démontre ainsi, si besoin était, que ces conditions de validité font l'objet d'une appréciation rigoureuse par le juge et que, notamment, l'intérêt de l'entreprise doit être entendu de manière objective. 2. La sanction des clauses illicites
Le législateur prévoit parfois expressément que la violation de la règle qu'il édicte sera sanctionnée par la nullité. Ainsi en va-t-il, par exemple, de l'article L. 122-7 (N° Lexbase : L5557ACS), qui prévoit que "toute clause d'un contrat individuel fixant un délai-congé inférieur à celui qui résulte des dispositions de l'article L. 122-6 ou une condition d'ancienneté ou de services supérieure à celle qu'énoncent ces dispositions est nulle de plein droit". Mais, le plus souvent, une règle est énoncée sans que soient prévues les conséquences de sa méconnaissance. Tel est précisément le cas de l'article L. 120-2 précité. On considère, cependant, que le silence de la loi ne fait pas obstacle au prononcé de la nullité. Mais, il faut alors que les intérêts que tend à sauvegarder cette règle soient suffisamment importants pour justifier une telle sanction (v., en ce sens, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 8ème éd., 2002, § 85). Partant, et compte tenu du fait que l'article L. 120-2 tend à protéger les droits fondamentaux du salarié, on doit admettre que le juge puisse prononcer la nullité des clauses qui leur porteraient atteinte sans être pour autant justifiées par l'intérêt de l'entreprise. On ne peut, dès lors, qu'approuver la Cour de cassation pour avoir confirmé, en l'espèce, la nullité de la clause d'obligation de résidence prononcée par les juges du fond.
On sait que lorsqu'une clause d'un contrat est nulle, elle ne peut emporter nullité de l'acte tout entier que si celui-ci dépend réellement de cette clause, qui en constitue une "condition impulsive et déterminante". Autrement dit, il faut que la clause ait été déterminante dans l'intention des parties. Dans l'hypothèse inverse, lorsque la clause illicite est accessoire, sa nullité n'entraîne pas celle de la totalité du contrat. Pour en revenir au cas d'espèce, on peut avancer que la clause d'obligation de résidence n'était nullement déterminante du consentement du salarié. En revanche, on peut raisonnablement supposer que tel était le cas pour l'employeur. Est-ce à dire que sa nullité devait entraîner celle du contrat de travail tout entier ? Si une telle solution était admise, elle se retournerait contre celui-ci que la loi entend précisément protéger. Il est, par suite, logique que dans une telle situation, le contrat partiellement vicié soit maintenu (v., sur cette question, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, ouvrage préc., pp. 413-414). |