[A la une] La contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence peut ne pas être stipulée si elle est prévue par la convention collective

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale




Depuis que la Chambre sociale de la Cour de cassation a bouleversé les règles relatives à la validité des clauses de non-concurrence (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1225AZE  ; Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.387, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1227AZH ; Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 99-43.334, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0769AZI, lire Revirement de jurisprudence : la contrepartie financière est désormais une condition de validité de la clause de non-concurrence, Sonia Koleck-Desautel,  Lexbase Hebdo n° 33 du 24 juillet 2002 - édition sociale N° Lexbase : N3576AAP), les observateurs guettent tous les signes qui permettent de préciser la validité et le régime de ces clauses. Des difficultés peuvent naître lorsque le contrat de travail du salarié contient une clause de non-concurrence ne prévoyant pas de contrepartie pécuniaire, l'existence de cette contrepartie résultant de la convention collective applicable. Dans cette hypothèse, précise la Cour de cassation dans un arrêt du 10 mars 2004, la clause est valable. La solution oblige à bien situer la difficulté juridique dans le contexte de l'articulation du contrat de travail et du statut collectif (1). La solution adoptée répond parfaitement aux solutions habituellement acquises et emporte pleinement l'adhésion (2).
Décision

Cass. soc., 10 mars 2004, n° 02-40.108, M. Stéphane Lorand c/ Société JP Girardeau, F-P+B (N° Lexbase : A4929DB8)

Rejet (Rennes, 8 novembre 2001)

Obligation de non-concurrence ; contrepartie conventionnelle ; absence de contrepartie contractuelle ; renvoi aux dispositions conventionnelles ; validité de la clause du contrat de travail du VRP.

Lien base :

Faits

1. Un salarié a été engagé en qualité de VRP exclusif par contrat contenant une clause de non-concurrence. Après sa démission, l'employeur a saisi la juridiction prud'homale, notamment d'une demande de dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence ;

2. La cour d'appel de Rennes (8 novembre 2001) a déclaré valable la clause de non-concurrence figurant au contrat de travail et condamné le salarié à verser à l'employeur une somme à titre de dommages-intérêts pour violation de la clause.

Solution

1. "La contrepartie financière à la clause de non-concurrence prévue par l'article 17 de l'Accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 s'appliquait de plein droit dès lors que le contrat de travail, qui comportait une clause de non-concurrence, se référait à cet accord".

2. Rejet

Commentaire

1. Situation du problème de l'articulation du contrat de travail et de la convention collective

Le 10 juillet 2002, la Chambre sociale de la Cour de cassation décidait de révolutionner les conditions de validité des clauses de non-concurrence en exigeant le versement au salarié d'une contrepartie pécuniaire (précité).

Cette jurisprudence a, on le sait, plongé dans l'embarras des milliers d'employeurs contraints de renégocier les clauses qui étaient dépourvues de telles contreparties, en priant le ciel pour que les salariés ne s'opposent pas, comme ils sont en droit de le faire, à cette révision de leur contrat de travail (sur ces éléments, lire nos obs. à la RDC 2003, p. 145).

La situation des employeurs est toutefois plus confortable dès lors que le principe et le montant d'une contrepartie pécuniaire ont été prévus par la convention collective applicable. Une difficulté concernant l'articulation du contrat de travail et de la convention collective doit toutefois être réglée à titre préalable.

L'article L. 135-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5715ACN) dispose, en effet, que la convention collective s'applique à l'ensemble des contrats de travail, à moins que ces derniers ne comportent des dispositions plus favorables aux salariés. Les situations de concours entre convention collective et contrat de travail dépendent toutefois du degré d'impérativité des obligations professionnelles mises à la charge des salariés, en l'occurrence, de l'obligation de non-concurrence.

Certaines conventions collectives peuvent, tout d'abord, imposer l'obligation de non-concurrence aux salariés. Dans cette hypothèse, il suffira à l'employeur d'informer le salarié, lors de son embauche, de l'existence de cette obligation pour qu'elle lui soit valablement opposable (Cass. soc., 8 janvier 1997, n° 93-44.009, Mme Pied c/ Société Gras Savoye, publié N° Lexbase : A1480ACS D. 1991, somm. p. 152, obs. J. Goineau).

Mais, d'autres conventions se contentent de réglementer le régime de ces clauses, sans en imposer la présence dans les contrats de tous les salariés. L'employeur devra alors insérer dans le contrat de travail une clause soumettant formellement le salarié à une obligation de non-concurrence, s'il prétend lui imposer.

C'est précisément le cas de l'obligation de non-concurrence mise à la charge des VRP par l'Accord National Interprofessionnel du 3 octobre 1975 . Son article 17 organise d'une manière minutieuse son régime, mais ne contient pas d'obligation générale mise à la charge de tout VRP.

Dans notre affaire, le contrat contenait bien une clause de non-concurrence, mais ne prévoyait pas expressément le paiement d'une contrepartie pécuniaire. Or, le salarié avait fait concurrence à son employeur après sa démission et prétendait échapper à toutes poursuites, en excipant de la nullité de la clause dépourvue de contrepartie.

Pour justifier sa position, le salarié prétendait que "l'obligation de non-concurrence à laquelle il était tenu résultait, non de la convention collective des VRP, mais de son seul contrat de travail, la convention collective se bornant à autoriser le contrat de travail à comporter, dans les limites qu'elle précise, une telle clause (...) dès lors la clause du contrat de travail, qui ne prévoyait pas d'indemnité compensatrice, en violation des dispositions de l'article 17 de la convention collective précitée est nulle, son silence ne pouvant être suppléé par l'application de la convention collective". En d'autres termes, le salarié tentait de démontrer que le contrat de travail aurait dû formellement reprendre l'existence de la contrepartie pécuniaire pour que la clause soit valable.

Or, la cour d'appel de Rennes (8 novembre 2001) n'avait pas été de cet avis, pas plus que la Chambre sociale de la Cour de cassation qui rejette ici le pourvoi. Selon la Haute juridiction, en effet, "la contrepartie financière à la clause de non-concurrence prévue par l'article 17 de l'Accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 s'appliquait de plein droit dès lors que le contrat de travail, qui comportait une clause de non-concurrence, se référait à cet accord".

Cette solution nous paraît pleinement justifiée.

2. Appréciation du principe de complémentarité retenu : une solution pleinement justifiée

Selon la Chambre sociale de la Cour de cassation, les dispositions de la convention collective "s'appliquent de plein droit dès lors que le contrat de travail se réfère à cet accord". Cette analyse nous paraît pleinement justifiée sur un plan juridique et parfaitement opportune.

Lorsque la convention collective se contente de déterminer le régime applicable aux obligations professionnelles du salarié, ces dispositions s'appliquent de plein droit aux contrats de travail, dès lors que les parties contractantes ont indiqué vouloir soumettre le salarié à ces obligations. Il s'agit d'une application classique de l'article L. 135-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5715ACN). Pour qu'une situation de concours apparaisse entre le régime conventionnel de l'obligation de non-concurrence et la clause de non-concurrence stipulée par les parties, encore faut-il que le contrat de travail comporte des éléments de régime particuliers. Ces éléments, pour entrer en conflit avec les dispositions conventionnelles, doivent être exprimés dans le contrat. Le silence gardé par les contractants sur tout ou partie du régime ne signifie pas qu'ils ont souhaité implicitement s'opposer aux dispositions conventionnelles. Pour qu'il en soit ainsi, encore faut-il qu'ils aient inscrit une clause contractuelle en ce sens ou, à tout le moins, qu'ils appliquent dans leurs relations des mesures distinctes de la convention collective.

Cette analyse, qui vise à n'admettre comme ayant valeur contractuelle que les éléments explicitement voulus par les parties, est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation concernant les autres éléments essentiels du contrat de travail. Ainsi, la rémunération versée au salarié ne doit pas nécessairement être considérée comme contractuelle par nature. Si l'employeur se contente d'appliquer au salarié les dispositions du statut collectif, sans la moindre individualisation, alors cette rémunération n'est pas contractuelle par son origine. Par conséquent, si les dispositions conventionnelles sont révisées, la rémunération du salarié le sera également par la force des choses et le salarié ne pourra s'opposer à ces variations en invoquant son contrat de travail (Cass. soc., 27 juin 2000, n° 99-41.135, M. Crochard c/ Société Air France N° Lexbase : A6700AHM Dr. soc. 2000, p. 828, chron. Ch. Radé, chron. p. 1007, chron. P. Waquet ; Cass. soc., 10 juin 2003, n° 01-40.985, M. François Chebanier c/ Compagnie nationale Air France, publié N° Lexbase : A7225C84 Dr. soc. 2003, p. 887, obs. Ch. Radé).

Cet arrêt ne dit pas autre chose en refusant de considérer l'absence de référence par les parties à la contrepartie pécuniaire ; cette absence ne signifie pas que les parties refusent au salarié la contrepartie pécuniaire, mais bien au contraire qu'elles renvoient le régime de la clause aux dispositions conventionnelles.

Parfaitement fondée en droit, la solution est également opportune. Considérer, en effet, que le silence des parties vaut rejet de ce qui n'est pas exprimé équivaudrait à transformer le contrat de travail en une forteresse imprenable. Tout ce qui ne serait pas contractuel ne serait pas, et les conventions collectives perdraient leur rôle normatif puisque les salariés pourraient systématiquement s'opposer à l'application de toutes les clauses leur imposant des obligations professionnelles dès lors que le contrat n'a pas relayé ces dispositions.

S'agissant, singulièrement, du sort des clauses de non-concurrence, la solution est également indispensable pour assurer leur survie. Admettre, comme le suggérait le salarié ici, que la clause dépourvue de contrepartie contractuelle devrait être annulée serait ruiner les entreprises qui comptaient sur la convention collective pour compléter le régime de l'obligation de non-concurrence en octroyant au salarié la contrepartie financière exigée par la Cour de cassation depuis 2002.