[Jurisprudence] Les qualités requises pour devenir représentant du personnel



S'il est évidemment nécessaire d'être salarié pour accéder aux fonctions de représentant du personnel, on ne saurait considérer que tout salarié peut prétendre exercer un mandat représentatif. En effet, outre certaines conditions tenant notamment à l'âge et à l'ancienneté du salarié, il faut encore que celui-ci ne puisse pas être assimilé au chef d'entreprise. C'est ce que vient rappeler et préciser la Chambre sociale de la Cour de cassation dans deux arrêts rendus le 21 mai 2003, en soulignant que doit être exclu du droit d'exercer les fonctions de délégué ou de représentant syndical, le salarié titulaire d'une délégation particulière d'autorité établie par écrit, permettant de l'assimiler au chef d'entreprise.

Les deux espèces en cause étaient relatives à la désignation d'un cadre en qualité de délégué syndical et également, pour l'une, en tant que représentant syndical au comité d'établissement. Désignations qui avaient été contestées par l'employeur, au motif principal que les salariés concernés devaient être assimilés au chef d'entreprise. La Cour de cassation a refusé de faire droit à ces demandes dans chacun des deux arrêts, confirmant la décision des juges du fond dans l'un (Cass. soc., 21 mai 2003, n° 01-60.882 et 02-60.016) et la cassant dans l'autre, au visa des articles L. 412-11 (N° Lexbase : L6331ACH) et L. 412-14 (N° Lexbase : L6334ACL) du Code du travail (Cass. soc., 21 mai 2003, n° 02-60.100). Les motifs qui sous-tendent ces solutions sont similaires, la Chambre sociale affirmant que "le tribunal d'instance, qui a fait ressortir que la salariée n'avait aucune délégation particulière d'autorité, établie par écrit, permettant de l'assimiler au chef d'entreprise, a exactement décidé que l'intéressée, quelle que soit sa fonction, ne pouvait être exclue du droit d'exercer des fonctions de représentant syndical" (n° 01-60.882 et 02-60.016) et "qu'en l'absence d'une délégation particulière d'autorité établie par écrit permettant de l'assimiler au chef d'entreprise, le salarié ne peut pas être exclu du droit d'être désigné comme délégué syndical" (n° 02-60.100).

Pour être importants, les deux arrêts commentés ne surprendront pas, dans la mesure où la Cour de cassation vient appliquer à la désignation des délégués et des représentants syndicaux, des solutions qu'elle avait déjà dégagées relativement à l'électorat et à l'éligibilité aux fonctions de délégué du personnel et de membre du comité d'entreprise. En effet, dans une décision en date du 6 mars 2001 (Cass. soc., 6 mars 2001, n° 99-60.553, Société Buffalo Grill c/ Union locale CGT et autres, publié : RJS 5/01, n° 620 N° Lexbase : A4814ARQ), la Chambre sociale a affirmé "qu'il résulte de l'article L. 513-1 du Code du travail que seuls les cadres détenant sur un service, un département ou un établissement de l'entreprise une délégation particulière d'autorité établie par écrit permettant de les assimiler à un chef d'entreprise, sont exclus de l'électorat et de l'éligibilité aux fonctions de délégués du personnel et de membre du comité d'entreprise pour la durée de cette délégation particulière" (1).

Il est à remarquer que ce dernier arrêt a été rendu au visa de l'article L. 513-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6575ACI) concernant l'électorat, l'éligibilité et l'établissement des listes électorales en vue de l'élection des conseillers prud'homaux (2). La Cour de cassation a donc choisi d'appliquer ces dispositions aux élections professionnelles dans l'entreprise, en l'absence de textes particuliers dans cette hypothèse (3). On notera cependant qu'antérieurement, la Chambre sociale avait su élaborer une jurisprudence spécifique en la matière. Elle avait ainsi estimé que ne pouvaient être électeurs les salariés détenant en fait des pouvoirs leur permettant d'être assimilés au chef d'entreprise (Cass. soc., 6 octobre 1999, n° 98-60.375, Adapei de la Loire c/ Syndicat CFDT des services de santé et des services sociaux, publié : RJS 11/99, n° 1389 N° Lexbase : A4831AGZ). L'arrêt du 6 mars 2001 n'a pas apporté de grands bouleversements, au moins d'un point de vue pratique, par rapport à cette jurisprudence, dans la mesure où les critères qui étaient alors retenus restent proches de ceux de l'article L. 513-1 du Code du travail. La seule véritable différence réside dans la reprise de l'exigence d'une délégation écrite posée par ce texte, alors que la jurisprudence se référait à la situation de fait.

Tel est le critère retenu par la Chambre sociale dans les deux arrêts commentés, pour exclure les salariés des fonctions de délégué ou de représentant syndical. Désormais donc, seule la production d'une délégation particulière d'autorité, établie par écrit, permettra d'assimiler un salarié au chef d'entreprise et de l'exclure par-là même des fonctions de représentants du personnel, quelles qu'elles soient. Peu importe, en conséquence, la situation de fait et les pouvoirs que viendraient à détenir concrètement un salarié. La Cour de cassation se réfère à un critère uniquement formel que l'on pourra juger critiquable, mais qui a le mérite de la simplicité et qui devrait éviter ou faciliter le règlement de nombre de contentieux. Cela devrait notamment permettre de passer outre quelques distinctions pour le moins subtiles, entre le salarié présidant effectivement le comité d'entreprise, qui ne peut être désigné délégué syndical, et le salarié amené à présider un comité d'établissement, mais qui n'a encore jamais exercé cette présidence à la date de la désignation et qui peut être investi d'un tel mandat (Cass. soc., 24 juin 1998, n° 96-60.352, M. Fontaine et autre c/ Société Main Sécurité, publié N° Lexbase : A5663ACQ) (4).

La solution retenue mérite en outre d'être approuvée en ce qu'elle conduit à reconnaître aux cadres supérieurs le droit d'accéder à des fonctions représentatives et à participer aux élections des institutions représentatives du personnel. Ce qui ne saurait être négligé, à une époque où la catégorie des cadres dirigeants tend à s'accroître, parfois de manière quelque peu artificielle.

On notera que dans les deux espèces commentées, la Cour de cassation ne vise pas spécialement les cadres, mais, de façon plus générale, les salariés. De même, il n'est pas fait référence aux salariés qui viendraient à détenir une délégation d'autorité sur "un service, un département ou un établissement de l'entreprise". Peu importe donc le statut du salarié ou les fonctions exercées, seule compte la délégation d'autorité établie par écrit. La Chambre sociale donne ainsi une large portée à la solution retenue, même si, concrètement, celle-ci ne devrait concerner, au premier chef, que des cadres.

On notera, pour terminer, que la vérification de la qualité du salarié devrait être opérée au moment de la désignation ou de l'élection. Il en résulte qu'une délégation d'autorité qui interviendrait postérieurement à la désignation ou à l'élection ne saurait la remettre en cause, de même, sans doute, qu'une régularisation par écrit d'une délégation d'autorité octroyée antérieurement. Toutefois, et s'agissant du cas particulier d'un délégué ou d'un représentant syndical, il sera toujours possible au syndicat qui l'aura désigné de lui retirer son mandat, en raison de son assimilation au chef d'entreprise.

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Solution confirmée et étendue à l'éligibilité des candidats aux fonctions de représentants des salariés au conseil d'administration par un arrêt du 6 février 2002 (Cass. soc., 6 février 2002, n° 00-60.488, Mme Michèle Lucchini, épouse Jourdan c/ Crédit commercial de France (CCF), publié : RJS 4/02, n° 472 N° Lexbase : A9243AXM).

(2) Aux termes de ce texte, doivent être classés dans le collège employeur les cadres détenant sur un service, un département ou un établissement de l'entreprise, une délégation particulière d'autorité, établie par écrit, permettant de les assimiler à un employeur. Dans l'espèce en cause le litige concernait l'établissement des listes électorales en vue de l'élection des délégués du personnel. La contestation portait sur l'inscription d'un cadre détenant des fonctions de gestionnaire du personnel sur la liste des salariés, les employeurs étant pour ces élections écartés de l'électorat.

(3) Ainsi qu'il l'a été dit, l'arrêt de cassation commenté a été rendu au visa des articles L. 412-11 (N° Lexbase : L6331ACH) et L. 412-14 (N° Lexbase : L6334ACL) du Code du travail, dont on doit relever qu'ils ne contiennent aucune exigence relative à l'absence d'une délégation particulière d'autorité établie par écrit. On doit par suite considérer que la solution retenue, qui mérite d'être approuvée, est purement prétorienne. Il est vrai que la Chambre sociale ne pouvait appliquer aux représentants syndicaux l'article L. 513-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6575ACI) qui concerne les élections prud'homales, alors que ces derniers sont désignés par un syndicat représentatif.

(4) Les employeurs auront en tous cas intérêt à ne pas omettre de rédiger par écrit les délégations d'autorité qu'ils pourraient conférer à leurs cadres.