Dans cette affaire, un salarié avait encaissé des sommes de clients pour le compte de son employeur et ne les lui avait pas rétrocédées, ce qui était d'ailleurs constitutif d'un véritable abus de confiance. L'intéressé avait été licencié pour faute grave et l'employeur avait obtenu la saisie du solde débiteur de caisse pour un montant supérieur à 100 000 francs (plus de 15 000 €). Le salarié avait alors formé un pourvoi en cassation notamment pour contester les conditions dans lesquelles la saisie avait été admise. Ce salarié prétendait en effet que sa responsabilité civile ne pouvait être retenue qu'en présence d'une faute lourde de sa part, impliquant la preuve d'une intention de nuire à l'employeur. Sur ce point, le pourvoi a été rejeté et l'arrêt confirmé, la Cour de cassation ayant considéré que la "cour d'appel s'était bornée à ordonner le versement de sommes que le salarié avait encaissées pour le compte de son employeur" et que, par voie de conséquence, cette dernière n'était pas "tenue de retenir une faute lourde à son encontre pour le condamner à exécution son obligation contractuelle".
Sans remettre en cause fondamentalement le principe de l'immunité dont jouit traditionnellement le salarié dans le cadre de sa responsabilité contractuelle (I), cet arrêt en circonscrit sensiblement le domaine lorsqu'est en cause l'obligation de restitution d'un solde de caisse, hypothèse qu'il convient désormais de bien distinguer de la précédente (II).
I - Il est en effet admis, depuis 1958, qu'un salarié ne saurait engager sa responsabilité civile contractuelle en raison de l'inexécution ou de l'exécution défectueuse de son contrat de travail qu'en cas de faute lourde (Cass. soc., 27 nov. 1958 : D. 1959, Jurispr. p. 20, note R. Lindon), laquelle implique, depuis 1990, la preuve d'une intention de nuire à son employeur ou à l'entreprise (Cass. soc., 5 avr. 1990 : Bull. civ. V, n° 175, p. 106 N° Lexbase : A4122AH7). Sans d'ailleurs que la jurisprudence ait jamais dégagé très nettement le fondement de cette mesure de faveur, on considère que l'exigence d'une faute lourde s'explique par l'état de subordination du salarié qui interdit de lui reprocher sa faute légère et par l'idée que l'employeur accepte implicitement, en concluant le contrat de travail, le risque de voir le salarié lui causer un dommage dans l'exercice "normal" de sa prestation. C'est pourquoi le fondement textuel avancé pour justifier cette immunité est généralement l'article 1135 du Code civil (N° Lexbase : L1235ABD), la solution retenue apparaissant à la fois comme dictée par l'équité (l'état de subordination) et comme une suite logique du contrat de travail (les risques de l'activité devant peser sur l'entrepreneur).
Cette immunité a été progressivement étendue en présence d'une clause relative à la responsabilité civile du salarié insérée dans le contrat de travail (Cass. soc., 10 nov. 1992 : Bull. civ. V, n° 538 N° Lexbase : A9400AAE), en présence de dispositions d'un règlement intérieur relatives à la responsabilité des salariés (Cass. soc., 9 juin 1993 : Bull. civ. V, n° 161 N° Lexbase : A1664AAU) ou lorsque ce dernier signe une reconnaissance de dette (Cass. soc., 12 avr. 1995 : RJS 1995, n° 487 N° Lexbase : A0960AB8 ).
La jurisprudence considère même que cette immunité doit également s'appliquer aux conventions accessoires conclues par le salarié et l'employeur, comme le contrat de dépôt où la preuve d'une faute lourde commise par le salarié est aujourd'hui également exigée (Cass. soc., 31 oct. 1989 : JCP E 1990, II, 15773, note B. Teyssié N° Lexbase : A7768AGS ).
Cette immunité interne se double désormais d'une immunité externe. Depuis l'arrêt Costedoat rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 25 février 2000 (N° Lexbase : A8155AG7), il est en effet admis que "n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant" (Cass. ass. Plén., 25 févr. 2000 ; Costedoat : JCP G 2000, II, 10295, concl. R. Kessous, note M. Billiau ; Ch. Radé, "Les limites de l'immunité civile du préposé", Resp. civ. et assur. 2000, chron. 22). On sait depuis l'arrêt Cousin que cette immunité cède devant la preuve d'une faute intentionnelle (Cass. ass. plén., R., 14 déc. 2001 ; Cousin : BICC n° 551 du 1er mars 2002, conc. R. de Goutte ; Resp. civ. Et assur. 2002, chron. 4, par H. Groutel N° Lexbase : A7314AX8).
II - En comparaison des solutions qui viennent d'être rappelées, l'arrêt rendu le 19 novembre 2002 semble donc singulièrement en retrait puisqu'il n'exige pas la preuve d'une faute lourde du salarié dès lors qu'est en cause non pas sa responsabilité personnelle mais l'obligation de restituer à l'employeur les sommes perçues pour son compte. Selon la Chambre sociale de la Cour de cassation, l'obligation en cause, dont la violation justifie la saisie opérée sur le compte bancaire du salarié, est une obligation "contractuelle". On regrettera malheureusement que l'arrêt n'apporte pas plus de précisions sur la nature de ce contrat. S'agit-il en effet du contrat de travail, qui sert de fondement à cette obligation de restitution, ou d'une convention accessoire conclue par le salarié en complément du contrat de travail ?
Ce qui est sûr, c'est que la Cour de cassation a considéré que le débat ne portait pas sur l'obligation principale du salarié (dite obligation de bonne exécution du contrat de travail), mais sur une obligation contractuelle accessoire portant sur la restitution de sommes perçues pour le compte de l'employeur.
Cette analyse contractuelle met donc en évidence une nouvelle obligation accessoire dont le régime diffère alors du régime de l'obligation principale. La violation de l'obligation principale (bien exécuter le contrat de travail) ne donne lieu à responsabilité qu'en cas de faute intentionnelle, alors que la violation de l'obligation accessoire (restituer les sommes perçues pour le compte de l'employeur) n'exige pas une telle preuve.
Une autre explication aurait été possible et, selon nous, plus exacte. On peut en effet considérer que le salarié qui reçoit indûment une somme d'argent destinée à son employeur doit la restituer à son titulaire (l'employeur), sauf à bénéficier d'un enrichissement sans cause. L'appauvri (l'employeur) dispose alors à son encontre de l'action de in rem verso (C. civ., art. 1371 N° Lexbase : L1477ABC). Comme cette action ne dérive pas du contrat de travail mais d'un fait qui lui est extérieur, il est alors logique que l'immunité du salarié ne joue pas puisqu'elle se trouve circonscrite au seul contrat de travail.
Il est alors intéressant de s'interroger sur la portée pratique de la décision et sur la ligne de partage entre l'immunité du salarié et l'obligation de restitution. Relève alors de l'immunité "contractuelle" tout ce qui concerne les dommages corporels et matériels causés à l'employeur ou à l'entreprise dans le cadre de l'exécution du contrat de travail. En revanche, relève de l'obligation de restitution toutes les hypothèses où le salarié reçoit une chose, à charge pour lui de la restituer à son employeur. Dans cette hypothèse, l'obligation de restitution constitue une obligation distincte de l'obligation de bonne exécution du contrat de travail. Il s'agit donc d'une obligation de faire, ou plus exactement d'une obligation de payer lorsqu'elle porte sur la restitution d'une créance de somme d'argent. Dans cette hypothèse, le créancier peut en obtenir l'exécution en nature par le biais d'une saisie, ce qui avait été le cas en l'espèce.
On peut donc affirmer que cette nouvelle jurisprudence devrait logiquement être cantonnée aux seules hypothèses où un tiers a remis au salarié des sommes pour le compte de l'employeur. La jurisprudence relative notamment aux erreurs de caisse ne devrait pas être remise en cause car la faute du salarié consiste non pas à ne pas restituer à l'employeur des sommes perçues effectivement pour son compte mais bien de ne pas avoir perçu certaines sommes, ce qui est très différent. En revanche, la situation des salariés pourrait bien être désormais moins favorable dès lors qu'ils auraient reçu des mains d'un tiers de l'argent qui aurait été perdu. Dans cette hypothèse, et l'argent étant une chose fongible, la solution adoptée ici, si elle devait être appliquée, conduirait en réalité à rendre le salarié pleinement responsable de cette perte, sans qu'il soit nécessaire de prouver une faute lourde. On le voit, il faudra attendre d'autres décisions de la Cour de cassation pour que l'articulation des solutions classiques et de cette nouvelle orientation soit précisée.