La question pourra sans doute paraître déplacée à tous ceux qui considèrent que la fin justifie les moyens ; elle est pourtant nécessaire.
Pour fonder cette exigence, la Cour de cassation vise le "principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI)". Or, force est de constater qu'aucune de ces dispositions n'est de nature à justifier l'exigence d'une contrepartie pécuniaire à la clause de non-concurrence. Ce n'est, en effet, pas parce qu'une atteinte à une liberté fondamentale est compensée par le versement d'une somme d'argent qu'elle n'en demeure pas moins une atteinte à une liberté fondamentale. La liberté ne s'achète pas. Par ailleurs, l'article L. 120-2 du Code du travail impose bien que toute atteinte à une liberté du salarié soit nécessaire et proportionnée, mais certainement pas qu'elle fasse l'objet d'une quelconque rémunération.
Il convient dès lors de se poser deux questions.
La solution est-elle, tout d'abord, justifiable par une autre règle qui n'aurait pas été mentionnée dans l'arrêt ? La Cour aurait pu, en effet, viser l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9) et l'exigence d'une cause/contrepartie à l'obligation de non-concurrence. Une telle proposition avait déjà été faite mais il est extrêmement difficile d'admettre l'argument. Le contrat de travail forme en effet un tout et l'exigence de cause, formulée à l'article 1131, doit s'apprécier globalement, c'est-à-dire en comparaison avec les avantages que le salarié retire globalement du contrat de travail. On remarquera, par ailleurs, que l'article L. 120-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5438ACE) comprend déjà pareille exigence en imposant que l'atteinte à la liberté du salarié soit nécessaire, c'est-à-dire qu'elle repose sur une juste cause.
Force est donc de constater que la solution ne repose sur aucun principe juridique digne de ce nom. Vient alors la seconde question : de quel droit la Cour de cassation se permet-elle d'exiger que la clause soit rémunérée ? Certes, la raison d'être de la mesure apparaît nettement et l'intérêt du salarié est ici pleinement respecté. Mais le juge n'est pas ministre d'équité. Il ne lui appartient pas de modifier les règles du jeu lorsqu'il considère que l'un des joueurs risque de perdre la partie. Le Code civil, en son article 5 (N° Lexbase : L2230AB9), le lui interdit d'ailleurs formellement : "il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises". Cette compétence normative appartient, dans un Etat de droit où règne le principe de la séparation des pouvoirs, aux seules autorités investies par la Constitution, et en premier lieu au Parlement. Ce pouvoir normatif appartient aussi, par délégation législative, aux partenaires sociaux ou aux parties au contrat de travail qui peuvent, au niveau qui est le leur, prévoir une amélioration du statut des salariés. Or, on sait que de nombreuses conventions collectives prévoient le principe d'une contrepartie financière ; de quel droit la Cour de cassation se substituerait-elle aux représentants des salariés et des employeurs pour généraliser ce principe ?
Au-delà de la question précise de la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence se joue par conséquent une autre réalité, celle d'un pouvoir judiciaire qui sort de ses fonctions et s'arroge le droit de faire et refaire la loi. Tous ceux qui avaient spéculé sur le changement de têtes au sein de la Chambre sociale de la Cour de cassation pour espérer un infléchissement de la politique jurisprudentielle très favorable aux salarié en seront pour leurs frais !