[A la une] Loi de modernisation sociale : présentation du volet économique
Une nouvelle loi plus contraignante pour les entreprises (fiche n°1)

par Marie Dominique Dubrac, Juriste en droit social



La loi de modernisation sociale, dans son volet relatif aux licenciements économiques, augmente les contraintes tant dans la procédure à suivre que dans les relations avec les représentants du personnel et l'administration.

1) Une tentative de définition plus restrictive du motif économique

Par décision en date du 12 janvier 2002, le Conseil constitutionnel a estimé contraire à la Constitution la nouvelle définition du motif économique de licenciement telle que votée définitivement par l'Assemblée nationale le 19 décembre dernier. Les hauts magistrats ont en effet estimé que cette définition porte "à la liberté d'entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l'objectif poursuivi du maintien de l'emploi" (voir l'article "Loi de modernisation sociale : le Conseil constitutionnel censure la nouvelle définition du licenciement économique", N° Lexbase : N1688AAR).

Depuis 1989 (loi n°89-549 du 2 août 1989), le Code du travail définit le licenciement pour motif économique de la façon suivante :

"Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques" (article L. 321-1 du Code du travail).

Cette définition met en exergue deux éléments sans lesquels le licenciement ne peut être justifié pour motif économique.

Le nouveau texte n'intervenait que sur l'élément causal (ou originel) du licenciement. L'élément matériel ou objectif du licenciement était inchangé. Par conséquent, le licenciement économique aurait continué :

- d'être non inhérent à la personne du salarié ;
- de résulter d'une suppression d'emploi ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail.

En revanche, les causes justificatives du licenciement économique telles qu'elles résultaient de la loi avant censure du Conseil constitutionnel étaient restreintes.

Le nouveau texte les limitait exclusivement à 3 cas :
- les difficultés économiques sérieuses n'ayant pu être surmontées par tout autre moyen ;
- les mutations technologiques mettant en cause la pérennité de l'entreprise ;
- les nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise.

Le législateur voulait ainsi faire du licenciement économique l'ultime décision à prendre.

A l'issue de la décision du Conseil constitutionnel précitée, la définition du motif du licenciement économique de l'article L. 321-1 ci-dessus subsiste en l'état dans le Code du travail. A une réserve près cependant : le Gouvernement estimera peut-être devoir revenir sur cette définition sous la pression de ses partenaires de la majorité parlementaire, une hypothèse qui semble peu probable aujourd'hui.

2) Des obligations en amont, incontournables avant la décision de licenciement économique

Si le texte confirme la jurisprudence de l'obligation d'adaptation, il crée également de nouvelles obligations à la charge de l'entreprise :

- tous les efforts de formation et d'adaptation à l'évolution de l'emploi doivent avoir été réalisés ;
- dans les entreprises où la durée collective de travail est fixée à un niveau supérieur à 35 heures hebdomadaires ou supérieur à 1600 heures dans l'année, l'employeur doit avoir conclu un accord de réduction du temps de travail ou à défaut avoir engagé des négociations tendant à la conclusion de cet accord (résurgence de l'amendement dit "Michelin") ;
- l'entreprise doit être en règle en matière d'élections des représentants du personnel ; à défaut, le licenciement économique est irrégulier et ouvre droit au versement d'une indemnité minimum d'un mois de salaire brut (sans préjudice des indemnités de licenciement et de préavis dues).

Sur l'obligation de reclassement préalable à la décision de licenciement et également incontournable, voir Fiche 2 - "Consécration du droit au reclassement" qui sera publiée dans Lexbase Hebdo n° 7.

Remarques de l'expert

Ces obligations multiplient les risques de blocage et de retard pour le démarrage de la procédure de licenciement économique.

Et le nouveau texte suscite d'ores et déjà quelques interrogations pour la formation : comment va s'apprécier la mesure des efforts de formation ? Est-ce au regard des moyens dont dispose l'entreprise ou au regard du groupe ? Cette nouvelle exigence légale est susceptible de créer des contentieux.

3) La justification du licenciement économique

L'employeur est tenu de s'expliquer sur ses choix économiques à plusieurs moments de la procédure :

- en cas de nomination d'un expert en livre IV ;
- en cas de recours à un médiateur.

Remarques de l'expert

Jusqu'ici, la législation sur le licenciement économique ne portait que sur le livre III (projet de plan social). La nouvelle législation englobe désormais le livre IV (projet économique et financier) et oblige l'employeur à justifier ses choix économiques.
D'ores et déjà, une question se pose : quel sera le degré d'intervention du juge dans la stratégie économique de l'entreprise ? S'agit-il d'une remise en cause de l'arrêt SAT (Ass. plén. 8 décembre 2000, n° 97-44.219, N° Lexbase : A0328AUP qui avait rappelé que le juge n'a pas à contrôler les choix de gestion opérés par l'employeur ) ?

4) L'alourdissement des procédures

L'alourdissement des procédures résulte tant de la diversification des procédures que de la multiplication des experts et de la saisine du médiateur. Il entraîne un allongement des délais de procédure.

a) Distinction des procédures livre IV et livre III du Code du travail

Les procédures liées au livre IV (projet économique et financier) et au livre III (projet social) du Code du travail sont désormais clairement dissociées :

- la concomitance des consultations des représentants du personnel livre IV et livre III est supprimée ;
- le projet de plan de sauvegarde de l'emploi (ex-plan social) du livre III ne peut être examiné tant que la consultation livre IV avec les représentants du personnel n'est pas terminée.

Remarques de l'expert

La fin de la concomitance entraîne nécessairement un allongement des délais de procédure. Livre IV et livre III sont désormais deux étapes successives et distinctes.
Ces nouvelles obligations multiplient les risques de blocage et de retard pour l'examen des mesures sociales.

b) Multiplication des recours à l'expert-comptable

Il est désormais possible pour le comité d'entreprise de faire appel à un expert-comptable non seulement sur le livre III mais également dès le livre IV.
Dans les deux cas, sa rémunération incombe à l'employeur.

Remarques de l'expert

Le recours à l'expert-comptable sur le livre IV a toute son utilité puisqu'il intervient pendant la phase économique de la procédure. Mais son recours en livre III est maintenu. Rien n'interdit à ce que l'expert-comptable soit différent en livre IV et en livre III.

c) Le recours à un médiateur

Le comité d'entreprise peut y avoir recours dans 2 cas :

- en cas d'exercice de son droit d'opposition sur un projet de restructuration ayant un impact sur l'emploi ;
- en cas de divergences importantes avec l'employeur en cas de projet de cessation totale ou partielle d'activité d'un établissement ayant pour conséquence la suppression d'au moins 100 emplois.
Ce recours a pour conséquence de suspendre la procédure en cours.

La loi a pris soin de clarifier les conséquences juridiques de l'acceptation de la recommandation du médiateur (le projet de loi initial l'avait omis) : la recommandation a les effets juridiques d'un accord collectif (au sens des articles L. 132-1 et suivants du Code du travail, N° Lexbase : L5292ACY).

Remarques de l'expert

L'intervention d'un médiateur soulève des discussions :
-  le pour : l'intervention d'un tiers peut contribuer à décrisper la situation sociale, et de ce fait être une solution opportune ;
- le contre : le risque que les partenaires sociaux voient dans le recours au médiateur un élément supplémentaire destiné à faire durer la procédure et retarder les échéances.

5) Le renforcement du rôle des représentants du personnel

La nouvelle loi développe de manière importante les attributions du comité d'entreprise (comité de groupe et comité d'entreprise européen) en créant de nouveaux cas d'information et en renforçant sa capacité d'intervention.

a) En cas d'annonce publique

Ses compétences sont élargies en cas d'annonce publique effectuée par le chef d'entreprise. Deux situations sont à distinguer :

- si l'annonce publique porte sur un projet de nature à affecter l'emploi, le comité d'entreprise doit être informé préalablement ;
- si l'annonce publique porte exclusivement sur la stratégie économique de l'entreprise, le comité d'entreprise peut demander une réunion dans les 48 heures.

Remarques de l'expert

Le législateur, par ces mesures, répond aux voeux de l'opinion. Désormais, l'employeur ne peut plus court-circuiter le comité d'entreprise en informant prioritairement la presse d'une décision de restructuration.

b) En cas de projet de restructuration ayant un impact sur l'emploi

C'est dans ce cas que la nouvelle loi a considérablement renforcé la capacité d'intervention du comité d'entreprise :

- il peut formuler des propositions alternatives au projet du chef d'entreprise, et ce dès le livre IV. L'employeur est tenu d'apporter une réponse motivée ;
- il dispose de moyens nouveaux : la possibilité de recourir à un expert-comptable, la possibilité d'exercer un droit d'opposition sur le projet de restructuration ayant un impact sur l'emploi (dès le livre IV), et un droit de saisine du médiateur en cas de divergences importantes avec l'employeur.

Remarques de l'expert

Le comité d'entreprise a désormais les moyens d'intervenir à tous les stades de l'élaboration d'un projet de décision de restructuration. Cela risque d'entraîner une augmentation du formalisme des relations entre le comité d'entreprise et l'employeur .

c) Information du suivi du plan de sauvegarde de l'emploi (ex-plan social)

Il est informé du suivi de la mise en oeuvre effective des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi (ex-plan social).

d) Information de l'entreprise sous-traitante

Le comité d'entreprise de l'entreprise sous-traitante est informé lorsque le projet de restructuration est de nature à affecter son volume d'activité et de l'emploi.

Remarques de l'expert

L'objectif de cette nouvelle mesure est de permettre à des entreprises "dépendantes d'autres entreprises" d'être informées de tout projet susceptible d'entraîner pour elles une variation d'activités ou d'emploi et de pouvoir anticiper d'éventuelles difficultés. La nouvelle loi omettant de préciser le moment de l'information par l'entreprise donneur d'ordre, d'éventuels litiges sont à craindre entre donneur d'ordre et sous-traitant si l'information est trop tardive.

e) Développement du recours au juge

Le nouveau texte multiplie les opportunités pour le comité d'entreprise de saisir le juge (TGI). Et les pouvoirs du juge, même en procédure d'urgence, sont élargis.
Ainsi, le comité d'entreprise peut demander au juge l'annulation de la procédure si aucune négociation sur la réduction du temps de travail n'a été engagée.

6) Le renforcement du contrôle de l'administration

La Direction départementale du travail et de l'emploi (DDTE) est désormais présente tout au long de la procédure :

- elle peut intervenir jusqu'à la dernière réunion du comité d'entreprise pour compléter ou modifier le plan de sauvegarde de l'emploi (ex-plan social) ;
- l'employeur est obligé de répondre à ses propositions (à défaut, il ne peut envoyer les lettres de licenciement) ;
- à l'issue de la procédure, l'employeur doit adresser à l'administration le plan de sauvegarde à l'emploi (ex-plan social) définitivement arrêté (délai de réponse de 8 jours à compter de la réception du plan) ;
- en cas de constat de carence, à la demande du comité d'entreprise, une réunion supplémentaire avec l'employeur doit être tenue en vue d'un nouvel examen du plan de sauvegarde de l'emploi.

Remarques de l'expert

Le fait que l'administration puisse contrôler le plan de sauvegarde de l'emploi en fin de procédure paraît remettre en cause le concept selon lequel un plan social doit être "fort" dès le départ (1ère réunion livre III). Le constat de carence en fin de procédure risque de délégitimer le contrôle de l'administration et est susceptible de renforcer l'action syndicale tout au long de la procédure.


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