Cass. civ. 1, 03-05-2006, n° 05-10.411, FS-P+B, Cassation partielle.



CIV. 1                D.S

COUR DE CASSATION

Audience publique du 3 mai 2006

Cassation partielle

M. ANCEL, président

Arrêt n° 724 FS P+B

Pourvoi n° V 05-10.411

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant

Sur le pourvoi formé par l'association Établissement français du sang, dont le siège est Paris ,

en cassation d'un arrêt rendu le 14 octobre 2004 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (1e chambre B), au profit

1°/ de M. André Y, demeurant Antibes,

2°/ de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Alpes-Maritimes, dont le siège est Nice , défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 14 mars 2006, où étaient présents M. Ancel, président, Mme Duval-Arnould, conseiller référendaire rapporteur, MM. Bargue, Gridel, Charruault, Mme Crédeville, M. Gallet, Mme Marais, conseillers, Mmes Cassuto-Teytaud, Gelbard-Le Dauphin, M. Creton, Mme Richard, M. Jessel, conseillers référendaires, M. Cavarroc, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Duval-Arnould, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'association Établissement français du sang, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. Y, les conclusions de M. Cavarroc, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Donne acte à l'EFS du désistement partiel de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la Caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes ;

Attendu qu'après avoir appris en 1992 qu'il était contaminé par le virus de l'hépatite C, M. Y a recherché la responsabilité du Centre de transfusion sanguine des Alpes-Maritimes aux droits duquel se trouve l'Établissement français du sang (EFS) ; que par arrêt du 28 mai 2003, la responsabilité de l'EFS a été retenue en application de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;

Sur le moyen unique pris en ses trois premières branches

Attendu que l'EFS fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à payer à M. Y une indemnité en réparation d'un préjudice spécifique de contamination, alors selon le moyen

1°/ que le préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C n'existe qu'autant que la maladie a atteint un stade avancé et exposant la victime au risque d'une issue fatale ; qu'en se bornant à relever, pour allouer à M. Y une indemnité au titre d'un préjudice spécifique de contamination, que sa pathologie était évolutive et qu'il se plaignait d'asthénie, de vertiges, des vomissements et de céphalées, sans démontrer la gravité de l'atteinte hépatique ni le risque de son évolution vers une issue fatale, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé les éléments constitutifs d'un préjudice spécifique de contamination, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;

2°/ qu'en toute hypothèse, il n'existe pas de préjudice spécifique de contamination lorsque l'aggravation de la pathologie résulte non de la dégradation inéluctable de l'état de santé du patient mais de son refus de se soumettre aux traitements préconisés par les médecins ; qu'ayant constaté que l'expert avait attribué le caractère évolutif de la maladie de M. Y à son refus de se soumettre à une thérapeutique spécifique, la cour d'appel a néanmoins retenu l'existence d'un préjudice spécifique de contamination, motif pris de ce que le refus de se soigner participerait de la spécificité du préjudice de contamination ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article 1147 du Code civil ;

3°/ que le fait que l'évolution défavorable de la pathologique hépatique soit imputable au refus du patient de se soumettre aux traitements prescrits par les médecins exclut l'existence d'un préjudice spécifique de contamination ; que le patient conserve cependant le droit d'obtenir la réparation intégrale des préjudices liés à sa contamination par le virus de l'hépatite C ; qu'en retenant pour condamner l'EFS à payer une indemnité à M. Y au titre d'un préjudice spécifique de contamination, que le refus de ce dernier de se soumettre aux traitements préconisés par les médecins ne pouvait entraîner la perte ou la diminution de son droit à réparation, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, violant de nouveau l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel a constaté que l'affection dont était atteint M. Y avait un caractère essentiellement évolutif, que s'il refusait de subir de nouveaux traitements et présentait une asthénie, des vertiges, des vomissements et des céphalées, les chances d'effet positif de tels traitements n'étaient selon l'expert que de 50% et qu'il y avait lieu de tenir compte des spécificités physiologique et psychologique de M. Y, âgé de 27 ans à la découverte de la contamination ; que sans être tenue de procéder à d'autres constatations ni avoir eu recours à un motif inopérant, elle en a exactement déduit que les éléments constitutifs d'un préjudice spécifique de contamination étaient réunis et que le refus de M. Y de se soumettre aux traitements préconisés, dès lors qu'il n'avait pas l'obligation de les suivre, ne pouvait entraîner ni la perte ou la diminution de son droit à indemnisation, ni la prise en compte d'une aggravation susceptible de découler d'un tel choix ; qu'en ses trois branches, le moyen n'est donc pas fondé ;

Mais sur le moyen unique pris en sa quatrième branche

Vu l'article 1147 du Code civil ;

Attendu que l'arrêt attaqué a condamné l'EFS à payer outre une indemnité en réparation du préjudice spécifique de contamination, une indemnité au titre, du pretium doloris subi ; qu'elle a ainsi réparé de ce dernier chef un préjudice qui avait déjà été indemnisé ;

PAR CES MOTIFS

CASSE et ANNULE mais seulement en ses dispositions relatives à l'indemnisation du préjudice subi par M. Y, l'arrêt rendu le 14 octobre 2004, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce la cause et les parties concernées dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne M. Y aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. Y ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois mai deux mille six.