SOC.PRUD'HOMMESFB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 15 décembre 2004
Rejet
M. BOUBLI, conseiller doyen faisant fonctions de président
Arrêt n° 2470 F D
Pourvoi n° H 02-46.635
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par M. Yves Z, demeurant Saint-Nazaire,
en cassation d'un arrêt rendu le 19 septembre 2002 par la cour d'appel de Rennes (8e chambre), au profit de la Société de contrôle techniques (SOCOTEC), société anonyme, dont le siège est Saint-Quentin-en-Yvelines, défenderesse à la cassation ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 16 novembre 2004, où étaient présents M. Boubli, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Trédez, conseiller rapporteur, Mme Quenson, conseiller, Mmes Auroy, Grivel, conseillers référendaires, M. Duplat, avocat général, Mme Bringard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Trédez, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. Z, de Me Bouthors, avocat de la Société de contrôle techniques, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que M. Z a été engagé par la société SOCOTEC le 1er février 1971 en qualité d'ingénieur, rattaché à l'agence de Niort puis à celle de Saint-Nazaire à compter du 1er février 1976 dont il est devenu directeur le 1er avril 1996 ; qu'après avoir été en arrêt de travail pour maladie de mai à novembre 1998, il a perdu ses fonctions de directeur de l'agence et s'est vu confier diverses fonctions pour l'agence de Saint-Nazaire, pour le groupe agence Loire-Atlantique Vendée et pour la direction territoriale ; qu'après avoir été muté provisoirement à l'agence de Nantes, il a refusé d'être nommé chef de l'agence de Nevers puis de celle de Périgueux ; qu'après avoir été licencié le 29 novembre 2000 le salarié a saisi la juridiction prud'homale ;
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt attaqué (Rennes, 19 septembre 2002) de l'avoir débouté de ses demandes alors, selon le moyen
1°/ que selon l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit au respect de son domicile ; que le libre choix du domicile personnel et familial est l'un des attributs de ce droit ; qu'en vertu de l'article L. 120-2 du Code du travail, une restriction à cette liberté par l'employeur, fût-elle prévue par une convention collective, n'est valable qu'à la condition d'être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et proportionnée, compte tenu de l'emploi occupé et du travail demandé, au but recherché ; qu'en s'abstenant de vérifier cette double condition, alors que le salarié avait refusé les mutations proposées précisément en raison des bouleversements qu'entraînait pour sa famille le changement de domicile qu'elles impliquaient, la cour d'appel a violé le texte précité ;
2°/ que l'avenant au contrat de travail daté du 28 octobre 1998 et signé par le salarié le 16 novembre suivant stipulait que celui-ci perdait ses fonctions de directeur d'agence ainsi que la prime mensuelle correspondant à ce poste, s'en voyait attribuer de nouvelles "compte tenu de ses compétences et des responsabilités exercées dans la société jusqu'à ce jour", et que son lieu de travail restait Saint-Nazaire, sans indiquer nulle part que ces dispositions étaient provisoires dans l'attente d'une amélioration de l'état de santé du salarié ; que la cour d'appel, qui, pour écarter la confirmation par ce document du caractère contractuel de la fixation du lieu de travail à Saint-Nazaire, a énoncé que ces dispositions avait un caractère d'urgence et étaient provisoires, a méconnu le sens et la portée de cet avenant en violation de l'article 1134 du Code civil ;
3°/ que caractérise la contractualisation du lieu de travail le maintien du salarié dans une même ville pendant 24 ans, confirmé par avenant au contrat de travail ; qu'en décidant le contraire la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil et L. 122-14-3 du Code du travail ;
4°/ que la contractualisation du lieu de travail peut encore résulter d'une disposition en ce sens de la convention collective applicable ; qu'en l'espèce, l'article 46 de la convention collective nationale des ingénieurs, assimilés et cadres, dont l'application n'est pas contestée, dispose que "tout changement de lieu d'emploi comportant changement de résidence fixe qui n'est pas accepté par l'IAC est considéré comme licenciement et réglé comme tel ", ce dont il résulte que le lieu de travail, en tant qu'il détermine le lieu de résidence, est un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans l'accord du salarié ; qu'en décidant le contraire, s'agissant de propositions de mutation de Saint-Nazaire vers Nevers ou Périgueux qui impliquaient pour le salarié un changement de résidence, la cour d'appel a violé le texte précité, ensemble l'article L. 122-14-3 du Code du travail ;
5°/ qu'à supposer même que le lieu de travail ne fût pas contractualisé, la cour d'appel était tenue, en l'absence de clause de mobilité prévue par le contrat de travail, de préciser en quoi la nature des activités de l'entreprise ou les fonctions inhérentes à la qualification d'ingénieur du salarié auquel le poste de directeur d'agence et la prime mensuelle correspondante avaient été retirés par avenant, justifiaient qu'une mutation dans un autre secteur géographique, éloigné, puisse lui être imposée après 24 années d'activité professionnelle dans le même secteur ; qu'en se bornant à relever que les offres de mutation avaient été faites de bonne foi, sans abus de la part de l'employeur, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que ces offres avaient une quelconque nécessité pour l'entreprise, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1134 du Code civil et L. 122-14-3 du Code du travail ;
6°/ qu'en énonçant dans la lettre de licenciement que la situation faite à M. Z par l'avenant à son contrat de travail en date du 11 novembre 1998 avait nécessairement un caractère provisoire, ce que ledit avenant ne stipulait nullement, et que ce caractère provisoire résultait du fait que les fonctions de moindre importance confiées par cet avenant à M. Z ne correspondaient pas à son niveau de qualification et aux besoins de l'entreprise, l'employeur avait fait très clairement ressortir qu'il entendait se séparer d'un salarié dont le coût salarial lui paraissait excessif ; qu'un tel motif de licenciement est illicite, comme ne répondant pas aux exigences posées par la loi pour justifier un licenciement économique, et ne pouvait en aucun cas être imputé au salarié qui s'est borné à refuser la mutation proposée ; qu'ainsi le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et que la cour d'appel a violé les articles L. 122-14-3 et L. 321-1 du Code du travail ;
Mais attendu, d'une part, que la mention du lieu de travail dans le contrat de travail ayant valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu, c'est sans méconnaître le sens de la lettre du 29 octobre 1998 fixant le lieu d'emploi à Saint-Nazaire, que la cour d'appel a estimé qu'en aucune façon les parties n'avaient entendu donner au lieu de travail le caractère contractuel qu'il n'avait pas auparavant ;
Attendu, d'autre part, qu'après avoir rappelé que son état de santé avait nécessité un allégement de ses charges et qu'il avait accepté d'être remplacé à l'agence de Saint-Nazaire pour se voir confier diverses missions, c'est sans méconnaître les dispositions conventionnelles que l'employeur a proposé au salarié dont l'état de santé était redevenu satisfaisant de nouvelles fonctions de responsabilité correspondant à son niveau de qualification et de salaire ;
Et attendu, enfin, que la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise et qui a relevé que les propositions de mutation faites par l'employeur qui prenait en charge les frais de transport et d'installation et qui rétablissait la prime spécifique attachée à la fonction avaient été faites de bonne foi, a pu décider que le refus du salarié justifiait la rupture du contrat de travail ;
Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Z aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille quatre.