**Cour d'Appel de Versailles
6e chambre, section Sociale
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**N° R. G. : 2003-03080
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Affaire : **S.A.R.L. CLIMEX
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**6 avril 2004
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**REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS**
[[5]]****
INTIMEE :
Madame Aa A
… … … …
… … … … …
Comparante -
Assistée de Me Françoise OCHS, avocat au barreau de PARIS,
substituée par 5e AMIRPOUR Parissa
[[5]][[5]]****
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du nouveau code de
procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Mars 2004, en audience
publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur BALLOUHEY,
Président chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour,
composé de :
Monsieur François BALLOUHEY, Président,
Monsieur Jacques BOILEVIN, Conseiller,
Monsieur Gérard POIROTTE, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Ab B,
FAITS ET PROCEDURE,
[[5]]
Statuant sur l'appel régulièrement formé par la société CLIMEX, d'un jugement
du conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt, en date du 18 décembre
2002, dans un litige l'opposant à Madame Aa A, et qui, sur sa
demande en paiement d'indemnité de préavis, indemnité conventionnelle de
licenciement, indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse a :
CONDAMNE la société CLIMEX à payer à Madame Aa A :
diverses sommes à titre d'indemnité de préavis,
d'indemnités de congés payés y afférents,
indemnité conventionnelle de licenciement et
la somme de 15 244,90 _ d'indemnité de licenciement sans cause réelle et
sérieuse ainsi qu'une somme en application de l'article 700 du nouveau Code de
procédure civile ;
Pour l'exposé des faits la Cour renvoie au jugement ;
La société CLIMEX par conclusions écrites déposées et visées à l'audience,
conclut :
À L'INFIRMATION du jugement,
Au bien fondé du licenciement pour faute grave,
Au débouté de Madame Aa A de toutes ses demandes,
Au paiement de 1 500 _ en application de l'article 700 du nouveau Code de
procédure civile ;
Madame Aa A, par conclusions écrites déposées et visées à l'audience
conclut :
À LA CONFIRMATION du jugement,
Excepté pour le montant de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et
sérieuse qui sera portée à 22 000 _ et le paiement de 2 000 _ en application
de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la Cour,
conformément à l'article 455 du nouveau code de procédure civile, renvoie aux
conclusions déposées et soutenues à l'audience ainsi qu'aux prétentions orales
telles qu'elles sont rappelées ci-dessus ;
MOTIFS DE LA DECISION
Après onze ans de travail au sein de la société CLIMEX sises depuis l'origine
à Meudon (Haut de Seine, Ouest de l'Ile de France) Madame Aa A a dû
prendre partie face à la décision de la société de se dé-localiser à l'Est de
l'Ile de France dans le département du Val de Marne à Champigny.
Le 24 octobre 2001 la société CLIMEX notifiait à Madame Aa A un
licenciement pour faute grave au motif suivant :
"Vous avez refusé, le 10 octobre 2001, au cours d'un entretien, de poursuivre
l'exécution de votre contrat de travail à Champigny sur Marne (94)lieu de dé-
localisation de notre société à compter du 5 novembre 2001 .
Ce refus d'accepter une modification des conditions d'exécution de votre
contrat de travail constitue une faute grave."
Avant l'entretien préalable à licenciement du 19 octobre la direction avait
informé le 14 août 2001 Madame Aa A, comme l'ensemble des vingt
personnes constituant le personnel de la société, du transfert de l'entreprise
et du déménagement définitif au plus tard le 31 décembre 2001 lui demandant
d'indiquer sous un mois son choix de suivre ou non l'entreprise. Le 14
septembre Madame Aa A répondait par écrit en indiquant son
attachement à l'entreprise, son souhait de suivre celle-ci dans sa dé-
localisation, sa demande de voir prendre en compte ses frais de transport, une
participation à ses frais de repas, un aménagement des horaires de travail
hebdomadaire en journée continue, une revalorisation de salaire pour tenir
compte de la servitude nouvelle liée au temps de transport, elle concluait sa
lettre par une demande de discussion sur ces observations.
Le 3 octobre par une lettre commençant par l'exposé des raisons de cette dé-
localisation, - à savoir le non renouvellement du bail obligeant à rechercher
de nouveaux locaux - la société lui répondait en considérant que cette réponse
constituait un refus et lui impartissait un dernier délai au delà duquel la
procédure de licenciement pour faute grave serait mise en oeuvre ce qui fut
fait par une convocation à entretien préalable à licenciement le 12 octobre
2001.
L'attestation de Monsieur Ac ne peut contredire les termes claires de la
lettre du 14 septembre qui consiste en une acceptation de principe sous
réserve de discussion d'un aménagement des conditions d'exécution du travail.
L'attesta- tion de la gérante ne peut être retenue car en sa qualité de
représentant légal de la société elle ne peut se constituer des preuves à elle
même ;
Il est établi par les pièces produites qu'il n'y a pas eu de discussion sur
les demandes contenues dans la lettre de Madame Aa A en date du 14
septembre ; Le licenciement pour faute grave est intervenu avant même le
transfert et alors qu'elle exécutait son travail aux conditions et lieu alors
en vigueur à Meudon ;
Pour la société la décision de dé-localisation répond à un impératif
économique, clairement exprimé dans la lettre du 3 octobre, qui entraîne des
conséquences collectives sur les conditions et le lieu d'exécution du travail
et sur les conditions de vie du personnel tant au travail que dans leur vie
privé. Le licenciement de Madame Aa A a pour cause déterminante la
volonté de l'employeur de changer de lieu d'exploitation pour cause non
inhérente à sa volonté ni à celle des salariés mais résultant d'une situation
de nature économique résultant de la résiliation du bail, les licenciements
qui s'en sont suivis sont, quelque soit leur qualifications des licenciements
pour motifs économiques, qu'en poursuivant la rupture du contrat de travail de
Madame Aa A pour faute grave la société CLIMEX n'a pas donné de
cause réelle et sérieuse de licenciement à sa décision.
L'entreprise occupant 20 salariés devait donc être dotée de délégués du
personnel dont le rôle est, en application de l'article L 422-1 du code du
travail, d'être consulté lorsque l'entreprise envisage un licenciement
collectif pour motif économique au moins égal à dix dans une même période de
trente jours ; la décision de procéder au licenciement des salariés qui
n'accepteraient pas de suivre l'entreprise ne réside pas dans une cause
personnelle propre à chaque salarié mais dans le refus éventuel de plus de dix
salariés d'accepter le changement de lieu de travail pour cause économique
pouvant entraîner le licenciement d'au moins dix salariés dans une même
période de trente jours, peu important que le motif énoncé du licenciement
soit imputable au salarié ; la consultation des délégués auraient du être
envisagée pour l'examen des réclamations relatives aux salaires que cette dé-
localisation pouvaient susciter et que Madame Aa A a clairement
exprimé dans sa lettre du 14 septembre.
En tout cas Madame Aa A conservait le droit de présenter
personnellement des demandes à caractère salariale.
En ne répondant pas à la demande de Madame Aa A concernant une
revalorisation de salaire accompagnant un aménagement des conditions de
travail, la société CLIMEX a manqué aux obligations que lui impose le dernier
alinéa de l'article L 422-1 du code du travail et a manqué à l'obligation de
loyauté contenu dans le contrat de travail.
Si le lieu de travail s'entend d'un espace géographique non strictement limité
à l'adresse même de l'entreprise et peut, sauf stipulation contractuelle
expresse, s'entendre d'une zone géographique à l'intérieur de laquelle le
change- ment de lieu ne constitue qu'un changement des conditions de travail,
il appar-tient au juge du fond de rechercher et de définir cette zone de façon
objective ;
L'employeur ne propose aucune justification objective au changement de lieu
des Hauts de Seine au Val de Marne :
Ces deux départements constituent des entités administratives distinctes
pouvant mener dans les secteurs de l'aménagement foncier, de l'aide aux entre-
prises et des missions locales pour l'emploi, des politiques publiques
distinctes qui ont un effet sur l'activité économique des entreprises et sur
l'emploi. Pour sa part la Région Ile de France connaît d'action en ces
domaines mais celles-ci ne se substituent pas à celles des départements ; La
mission de la Région Ile de France en matière de transport et communication
met en évidence la grande disparité de situation en ces domaines selon les
communes et dans les relations des communes de l'Ile de France entre elles,
tant en matière de transports des personnes que des biens liés à l'activités
économiques que des télécommunications ; ces deux dépar- tements représentent
des bassins d'emploi distincts doté de leur lieu de formation professionnelles
et des zones d'activités économiques présentant des différences et des
spécificité.
En conséquence le changement de lieu de travail sans modification du contrat
de travail des personnels de l'entreprise ne doit ni poursuivre des objectifs
économiques définis par le législateur comme devant emporter la mise en oeuvre
de procédure de licenciement pour motif économique ni tenter d'éluder les
droits individuels ou collectifs des salariés en matière d'emploi, de salaires
et de condi- tions de travail ;
Le changement de lieu de travail pour qu'il n'emporte pas modification du
contrat de travail doit s'effectuer dans des conditions constantes de
neutralité sur l'emploi et d'équivalence d'activité économique, sans qu'il
s'accompagne de changement dans l'organisation de l'activité ou de la
situation économique de l'entreprise, et oblige de définir un espace
géographique plus homogène que L'Ile de France ;
Faute pour l'employeur d'expliquer pourquoi il a dû se dé-localiser dans un
autre département et qu'il ne pouvait pas le faire dans Meudon, dans la
proximité de cette commune ou dans le même département, la société CLIMEX ne
met pas le juge à même de vérifier, non pas le bien fondé de son choix de
gestion, mais qu'il a fait son choix dans l'intérêt de l'entreprise et a agit
de bonne foi sans volonté de fraude.
La Cour confirme le jugement en ce qui concerne l'absence de cause réelle et
sérieuse de licenciement ; La Cour a des éléments pour évaluer l'indemnité de
licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 20 400 _ pour tenir
compte de la difficulté pour la salariée de retrouver un emploi à l'âge de 55
ans, difficultés démontrées par la persistance actuelle de son chômage alors
que sa qualification de secrétaire opératrice de saisie ne constitue pas une
qualification recherchée sur le marché de l'emploi local comme national ;
Les dispositions de l'article L 122-14-4 du code du travail sont dans le
débat, Madame Aa A a plus de deux ans d'ancienneté dans une
entreprise occupant habituellement au moins onze salariés et a perçu des
indem- nités de chômage de l'ASSEDIC; la Cour a des éléments suffisant pour
fixer à trois mois les indemnités à rembourser par la société CLIMEX.
L'équité commande de mettre à la charge de la société CLIMEX une somme de 1500
_ en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au
profit de Madame Aa A au titre de l'instance d'appel en plus de la
somme allouée de ce chef par le conseil de prud'hommes.
La société CLIMEX doit être déboutée de ses demandes dont celle en application
de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La COUR,
STATUANT publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME partiellement le jugement et statuant à nouveau :
CONDAMNE la société CLIMEX à payer à Madame Aa A la somme de :
20 400 _
(VINGT MILLE QUATRE CENT _UROS)
d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et ce avec intérêt
de droit au taux légal du jour du jugement pour les sommes fixées par les
premiers juges et sur le surplus du jour de la notification de l'arrêt,
Ordonne à la société CLIMEX le remboursement aux ASSEDIC des Yvelines des
indemnités de chômages perçues par Madame Aa A dans la limite de
trois mois ;
Ordonne la notification de l'arrêt aux ASSEDIC des Yvelines,
CONFIRME le jugement en ses autres condamnations,
DEBOUTE la société CLIMEX de sa demande en application de l'article 700 du
nouveau Code de procédure civile,
CONDAMNE la société CLIMEX à payer à Madame Aa A la somme de 1 500._
(MILLE CINQ CENT _UROS) en application de l'article 700 du nouveau Code de
procédure civile pour les frais en appel,
CONDAMNE la société CLIMEX aux dépens.
Arrêt prononcé par Monsieur BALLOUHEY, Président, et signé par Monsieur
BALLOUHEY, Président et par Monsieur GAVACHE, Greffier, présent lors du
prononcé
Le GREFFIER,Le PRESIDENT,
[[0]] Arrêt 2003-03080 [[1]] 6 avril 2004 [[2]] CA Versailles [[3]] 6 Sociale
Présidence : M. F. BALLOUHEY, Conseillers : M. Ad Ae, M. Af Ag
[[4]]
Contrat de travail, exécution, Modification, Modification imposée par
l'employeur, Modification du lieu de travail, Changement de secteur
géographique, Recherche nécessaire//
Le lieu de travail s'il peut s'entendre, sauf stipulation contractuelle
expresse, d'un espace géographique non strictement limité à l'adresse de
l'entreprise et s'il peut en conséquence être modifié pour s'étendre à
l'intérieur d'une zone géographique, c'est sous le contrôle du juge du fond à
qui il appartient de rechercher et de définir les éléments objectifs
permettant de dire si le changement de lieu de travail emporte ou non
modification du contrat de travail.
Pour être exclusif d'une modification du contrat de travail, le changement de
lieu de travail des personnels de l'entreprise doit, d'une part, ni poursuivre
des objectifs économiques définis par la loi comme devant emporter la mise en
uvre d'une procédure de licenciement économique, ni se traduire par
l'éviction des droits individuels ou collectifs des salariés en matière
d'emploi, de salaires et de conditions de travail, d'autre part, le changement
de lieu doit s'effectuer à conditions constantes de neutralité pour l'emploi,
d'équivalence d'activité économique de l'entreprise et d'organisation de son
activité.
Il s'ensuit qu'en cas de changement du lieu d'exploitation de l'entreprise
pour une cause indépendante de la volonté de l'employeur, ici la résiliation
du bail, il incombe à ce dernier de mettre le juge à même de vérifier que le
choix du lieu de la nouvelle implantation a été fait dans l'intérêt de
l'entreprise et qu'il a agit de bonne foi sans volonté de fraude.
Tel n'est pas le cas de l'employeur qui ayant transféré le lieu d'exploitation
des Hauts de Seine au Val de Marne, l'Ile de France ne constituant pas un
espace géographique homogène, ne justifie pas pourquoi il a fait ce choix et
non pas celui de demeurer dans la même commune, sa proximité ou encore dans le
même département.